Dérives et remèdes

En Belgique, la chirurgie esthétique se développe comme une véritable jungle. Pour lutter contre certaines dérives, une proposition de loi veut mettre de l’ordre et apporter des remèdes. Dans l’intérêt des patients. Enfin !

Opération le lendemain de la première consultation « ,  » promotions du mois  » (augmentation du volume des seins pour seulement 1 999 euros, liposuccion pour 999 euros, blanchiment des dents en une heure pour 450 euros…),  » deux opérations à la fois en une seule anesthésie « , etc. Voilà ce que l’on peut trouver sur les sites Internet de certaines cliniques privées installées en Belgique et dont les  » chirurgiens esthétiques qualifiés  » sont inconnus au bataillon du conseil de l’ordre des médecins belge. Et pour cause, il interdit la publicité à ses membres.  » Nous sommes face à une véritable prolifération de sites Web de cliniques esthétiques et de praticiens vantant leurs mérites personnels et leurs activités avec des photos « avant – après » « , s’insurge la sénatrice MR Dominique Tilmans. Et que dire de ces émissions de télé-réalité offrant à des candidates prêtes à tout un relooking complet avec interventions chirurgicales esthétiques filmées ? Que dire encore de ces publicités pour safari esthétique dans des pays tiers à prix low cost ? Les interventions de chirurgie et de médecine esthétiques sont devenues si banalisées que certains oublient qu’il ne s’agit jamais d’actes anodins.  » C’est incroyable à constater, mais il n’y a aucun cadastre de la médecine esthétique en Belgique « , déplore Dominique Tilmans

Législation aux abonnés absents

La sénatrice libérale a été sensibilisée par le cas d’une jeune fille très ronde qui souhaitait une réduction mammaire.  » Elle a été opérée dans un centre privé par un médecin qui n’avait pas les qualifications nécessaires. Cela s’est vraiment mal passé. Une vraie catastrophe. La jeune fille a été littéralement charcutée, a subi plusieurs opérations par la suite et doit vivre avec de nombreuses cicatrices. Aujourd’hui, beaucoup de femmes et d’hommes passent par la médecine esthétique. Il faut les prévenir qu’il y a aussi des dangers. Une opération chirurgicale n’est jamais sans risques. Il peut toujours y avoir des complications. Il faut se renseigner auprès des associations professionnelles, et d’autres sources fiables pour être certain de ne pas se tromper.  » Ce n’est pas tant l’ampleur du phénomène, devenu un véritable produit de consommation, un véritable business, que l’absence de législation, de normes, d’encadrement, qui l’a fait réagir. En collaboration avec la Société royale belge de chirurgie plastique, l’Association professionnelle des chirurgiens plasticiens belges, l’Union professionnelle de dermatologie et de vénérologie, la Société belge de médecine esthétique, la sénatrice a travaillé à l’élaboration de trois propositions de loi portant sur la publicité, les installations et les compétences. Trois problématiques sont à résoudre.  » D’abord, il y a les centres de médecine esthétique et de chirurgie esthétique qui ne sont pas agréés et ne répondent à aucune norme, développe Dominique Tilmans. Il est important de légiférer à ce sujet et de fixer les agréations pour que n’importe qui ne puisse plus opérer et qu’une législation adaptée garantisse la sécurité des patients. Ensuite, la définition des actes esthétiques devra déterminer qui peut faire quoi. Enfin, la publicité sur les actes de chirurgie et médecine esthétiques sera réglementée. « 

Ethique et esthétique

Si la formation et la reconnaissance en chirurgie esthétique (discipline faisant partie de la chirurgie plastique) sont parfaitement régulées et reconnues en Belgique, il n’en va pas de même pour la pratique sur le terrain des actes de médecine et de chirurgie esthétiques. Actuellement, en Belgique, tous les médecins, qu’ils soient généralistes, spécialistes, dentistes… peuvent poser n’importe quel acte d’esthétique médicale. Le seul frein du praticien ? Sa responsabilité professionnelle devant son patient, si ce n’est, bien entendu, son éthique personnelle.  » Tout le monde peut faire tout ! s’indigne Denis Goldschmidt, chirurgien plasticien, ancien président de la Société royale belge de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique. En Belgique, la loi ne l’interdit pas. Alors qu’en France les compétences sont listées par spécialité. On a vu arriver chez nous des médecins français qui ne pouvaient plus exercer chez eux. Depuis plusieurs années, on assiste à la multiplication de comportements déviants de certains praticiens, y compris parfois de chirurgiens plasticiens reconnus, ou de certaines institutions regroupant des praticiens probablement plus attirés par les sirènes d’un marché au potentiel juteux que par la pratique d’un art médical. Cette mercantilisation de l’esthétique médicale se développe d’autant plus qu’il n’existe pas ou peu de garde-fous législatifs. C’est un gros problème de santé publique. « 

En réaction à ces pratiques déviantes, la Société royale belge de chirurgie plastique a établi une charte éthique par laquelle ses membres s’engagent, notamment, à parfaire constamment leurs connaissances, à informer clairement les patients des bénéfices, mais aussi des limites et des risques, des opérations envisagées et à ne pas faire de publicité personnelle. Pour Dominique Tilmans, ces bonnes intentions ne sont pas suffisantes. Un encadrement législatif se révèle nécessaire en matière de compétences. Confrontés aux mêmes problèmes, plusieurs pays européens ont légiféré dans le domaine.  » Actuellement, la législation n’impose pas d’être formé dans une spécialisation pour la pratiquer, remarque Jean-Luc Nizet, chef du service de chirurgie plastique et maxillo-faciale du CHU de Liège, fondateur de la Botaclinic, président de la Commission d’agrément en chirurgie plastique au ministère de la Santé. La proposition de loi établit une grille répertoriant les praticiens. Les chirurgiens plasticiens pourront poser tous les actes. Les autres spécialistes agiront sur leur territoire anatomique. Ainsi, un ORL s’occupera du nez, un ophtalmologue des paupières, mais pas l’inverse. La médecine n’est pas un produit, mais un service. L’objectif est de se battre contre les dérives commerciales de la chirurgie esthétique. « 

 » Nous avons visé avant tout la protection des patients pour permettre l’enregistrement des pratiques esthétiques et un contrôle des formations « , souligne Béatrice De Donder, présidente de l’Union professionnelle des dermatologues. Un site Internet devrait permettre au patient de s’y retrouver.

Liposuccions : une question de quantité

Parce qu’elle emprunte des techniques à la dermatologie, à l’endocrinologie et à la chirurgie plastique, la médecine esthétique est au c£ur des débats. Jean Hébrant, président de la Société belge de médecine esthétique, se bat depuis des années pour l’organisation d’une formation digne de ce nom pour cette compétence particulière, assortie d’une reconnaissance officielle.  » Je suis convaincu de la nécessité d’une exigence de formation dans les facultés de médecine comme en Espagne et en Italie. Si on se réfère aux lois de Bologne, la formation durerait trois ans et en horaire décalé le week-end. Nous sommes obligés d’organiser notre propre formation. Elle a été mise en place sur plusieurs années. Le médecin esthétique doit rester à sa place et ne doit pas faire de liftings ou d’abdominoplasties. La médecine esthétique prévient le vieillissement du côté apparence avec des moyens médicaux (non chirurgicaux) comme les injections. Les actes que nous pouvons poser sont toute la médecine esthétique (comblements, toxine botulique, peelings, lasers), sauf les injections mammaires. Mais tous ceux qui, en Belgique, font de la liposuccion depuis plus de cinq ans pourront continuer. Les autres, qui n’ont pas la pratique de cinq ans, présenteront leurs travaux auprès du collège que nous avons instauré et dans lequel les médecins esthéticiens seront, bien entendu, représentés. Cela accentue la sécurité du patient.  » Pour Denis Goldschmidt, les grosses liposuccions doivent être faites dans un encadrement et par des chirurgiens.  » S’il existait une auto-restriction, il ne faudrait pas légiférer, constate-t-il. Nous sommes demandeurs depuis toujours d’un assainissement du climat de l’esthétique médicale. Il n’y a rien de pire que de travailler dans une ambiance où tout est permis et rien n’est encadré. « 

Finies les pubs racoleuses

Dans sa législation en matière de chirurgie esthétique, la France ne fait pas de quartier : la publicité est interdite. En Belgique, l’absence d’une réglementation complète en matière de publicité sur les interventions esthétiques et les conséquences médicales de ces actes ouvre la porte à toutes les dérives. Inspirée de la déontologie médicale, la proposition de loi entend s’appliquer à tous les médecins et dentistes lorsqu’ils posent des interventions esthétiques.  » De cette manière, cette loi concernerait tant les généralistes que les spécialistes, mais aussi des établissements exploités par des non-médecins, ainsi que toute personne qui ferait de la publicité relative à des interventions d’esthétique médicale « , reprend Dominique Tilmans. Ce principe de l’interdiction de la publicité est cependant assorti d’une exception. L’information personnelle, permettant à un praticien de se faire connaître et de donner un minimum d’informations sur ses activités, serait autorisée. La publicité devra être conforme à la réalité, discrète et claire. Elle ne pourra, évidemment, pas être trompeuse, pas plus que comparative, ni avec des arguments financiers. Les résultats de traitements, tels que les photos  » avant – après  » ne pourront être utilisés à des fins publicitaires. L’information personnelle devra toujours mentionner le titre du médecin sous lequel il est inscrit à l’ordre des médecins et la formation suivie. Lorsqu’elle portera sur plusieurs actes esthétiques, l’information personnelle devra mentionner, au minimum : les contre-indications éventuelles, les effets secondaires, les conditions de réalisation et les risques, les soins et les alternatives éventuelles.  » En permettant uniquement ce type d’informations, nous atteindrons notre objectif qui est d’interdire la publicité racoleuse et de rabattage.  » Selon la proposition de loi, sera considérée comme publicité trompeuse  » celle qui, relative à la chirurgie esthétique ou à des interventions à visée esthétique, telles qu’injection ou infiltration, ne mentionne pas, de manière précise et complète, certains éléments, en ce compris la qualification du praticien chargé de l’intervention, les résultats qui peuvent être attendus et les possibles complications et/ou effets secondaires « .

Cliniques sans contrôles

Pour répondre à la demande sans cesse croissante, les centres extrahospitaliers de médecine et/ou de chirurgie esthétique se multiplient comme des petits pains. Actuellement, ces cliniques privées extrahospitalières ne sont pas contrôlées. Il n’existe aucune norme concernant les installations privées où l’on pratique des actes d’esthétique médicale invasive. Ainsi, un médecin, sans formation particulière, peut ouvrir un centre privé de chirurgie esthétique dans un but essentiellement commercial. Et cela, sans subir aucun contrôle en matière d’encadrement, d’établissement, de formation et d’hygiène. Certains centres esthétiques font venir des médecins étrangers pour opérer, alors qu’ils ne sont pas inscrits à l’ordre des médecins. D’abord, les patients rencontrent un médecin qui leur donne un avis. Ensuite, ils sont opérés par un autre. A ce stade, médecine et chirurgie esthétiques ont quitté le monde médical pour celui du commerce le plus débridé. Comment est-ce possible ?  » Actuellement, aucun contrôle n’est exercé sur les cliniques privées extrahospitalières. Il est primordial de les soumettre à des normes architecturales, organisationnelles et fonctionnelles « , souligne Dominique Tilmans. Face à la multiplication de ces cliniques business, la proposition de loi balise la réglementation. Elle classe les centres extrahospitaliers en quatre catégories, de A à D, en fonction des actes qui y sont posés et du type d’anesthésie qui y sont liés. Par exemple, les opérations qui impliquent une anesthésie générale imposent la présence d’un anesthésiste. Les installations devront donc désormais répondre à des normes précises quant aux infrastructures, au personnel et au matériel médical nécessaire. En concertation avec des représentants des associations professionnelles, un état des lieux de la pratique a été réalisé. Objectif : cibler les problèmes et proposer des solutions. Un collège composé de médecins membres des associations professionnelles de pratique d’esthétique médicale et d’extérieurs définira les actes pouvant être effectués dans chacune de ces installations. Il remettra des avis sur les normes requises en fonction de chaque type d’installation. Selon que tel établissement réalise tel type d’intervention au moyen de tel type d’anesthésie, il devra répondre à des normes minimales déterminées. Celles-ci devront être enregistrées auprès du SPF Santé. L’autorisation sera accordée pour une durée limitée et renouvelable et pourra être retirée lorsque l’installation ne sera plus conforme. Bien plus qu’un lifting, c’est une véritable métamorphose que vont vivre la chirurgie et la médecine esthétiques. Très bientôt, espérons-le.

JACQUELINE REMITS

 » LA MÉDECINE ESTHÉTIQUE EST DEVENUE UN VRAI BUSINESS  »  » LA MÉDECINE N’EST PAS UN PRODUIT, MAIS UN SERVICE  » LA PUBLICITÉ DEVRA ÊTRE CONFORME À LA RÉALITÉ, DISCRÈTE ET CLAIRE LES CLINIQUES EXTRAHOSPITALIÈRES NE SONT PAS CONTRÔLÉES

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