Député-bourgmestre : une espèce en voie de disparition

Michel Delwiche
Michel Delwiche Journaliste

Seuls 25 % des députés wallons pourront être en même temps bourgmestre, échevin ou président de CPAS après 2014. Ce décumul imposé n’enchante personne et brouille les cartes des prochaines élections communales.

Jean-Paul Wahl (MR) est député wallon et bourgmestre de Jodoigne. En octobre prochain, il emmènera la liste libérale dans cette brabançonne maison bleue avec l’espoir de rempiler à la tête de sa commune. En 2014, il devrait se présenter aux élections régionales pour se faire réélire député. Il ne pourra toutefois pas cumuler les deux mandats. A moins d’un miracle (mais sait-on jamais ?), il ne figurera pas parmi les 25 % de députés autorisés à cumuler parlement wallon et collège communal. Il devra alors se mettre en congé d’un côté ou de l’autre. Se déclarer député empêché pour pouvoir rester bourgmestre, ou bourgmestre empêché pour garder son siège de député. Après les communales de 2018, la démission de l’un des deux mandats sera la règle.

Le décret wallon voté en décembre 2010 après des débats houleux a voulu, sous l’impulsion donnée à l’olivier par Ecolo, hisser le drapeau de la bonne gouvernance en limitant le nombre de députés autorisés à faire partie d’un exécutif communal (bourgmestre, échevin et président du CPAS). Seuls seront encore autorisés à cumuler, les 25 % de députés de chaque groupe politique qui auront, aux élections régionales, obtenu les meilleurs taux de pénétration (le pourcentage des voix de préférence du candidat par rapport au nombre d’électeurs de sa circonscription). Au départ, Ecolo voulait même interdire toute possibilité de cumul, synonyme de concentration de pouvoirs ou de conflit d’intérêt, et faisait valoir que le parlementaire est élu pour représenter les intérêts de tous et non ceux de sa commune, et que député pourrait être un métier à temps plein. Au PS et au CDH, rogne et grogne se sont manifestées. Cette réforme concerne en effet une majorité des 75 députés wallons, puisque le parlement compte aujourd’hui 26 bourgmestres, 10 échevins et deux présidents de CPAS (18 sur 29 au PS, 13 sur 19 au MR et 7 sur 13 au CDH).

La loyauté du PS et du CDH

Isabelle Simonis, chef du groupe PS, avait ainsi placé le vote peu enthousiaste des socialistes sous le signe de la loyauté envers l’accord de majorité, tout en reconnaissant la nécessité d’édicter des règles strictes  » afin de baliser et d’enrayer certaines dérives d’hommes et de femmes politiques parfois fort gourmands  » qui ont dévalorisé l’image du monde politique tout entier. Le projet ne réjouissait pas grand monde, et  » il est difficile de traiter un texte qui va s’appliquer à nous-mêmes « , résumait-elle crânement. Isabelle Simonis, bourgmestre de Flémalle, n’avait en effet pu réaliser en 2009 que le 158e taux de pénétration (2,9 %), avec pourtant près de 10 000 voix, mais dans un arrondissement qui a élu cinq députés socialistes, dont la tête de liste Michel Daerden (63 580 voix). Avec le nouveau décret, elle n’aurait pu cumuler. C’est l’inverse pour Sébastian Pirlot, l’unique député PS de Neufchâteau-Virton, qui a obtenu le 5e taux de pénétration de Wallonie (17,4 %) avec 11 900 voix.

Maxime Prévot, chef de groupe CDH et entre-temps devenu bourgmestre de Namur, avait, lui aussi, invoqué la loyauté pour justifier le vote d’un texte qu’il n’approuvait pas.  » Il est vrai, avait-il déclaré, qu’il est plus facile et plus populaire, plus simple, voire particulièrement simpliste, de prôner la suppression des cumuls de mandats plutôt que de batailler pour convaincre mutuellement l’opinion publique que 95 % des parlementaires que nous sommes travaillent ardemment et efficacement. « 

Paul Furlan (PS), ministre des Pouvoirs locaux, qui défendait – c’est son job – le texte gouvernemental, avait insisté sur la nécessité pour le parlement de garder un lien étroit avec les réalités de terrain, par le biais d’élus locaux qui connaissent la pratique de la gestion communale, mais en évitant que le parlement devienne l’assemblée générale des pouvoirs locaux, en limitant  » les effets dévastateurs du sous-régionalisme « . D’où le compromis de 25 %,  » une proportion significative, mais minoritaire des membres de ce parlement « , qui n’a aucune prétention scientifique.

Bourgmestres empêchés et députés suppléants

 » Ce truc de 25 %, c’est du bluff, de la poudre aux yeux, estime Jean-Paul Wahl (156e taux, avec 3 %) et cela va une fois de plus favoriser le vedettariat : plus l’élu est connu, plus il peut cumuler ! Qu’est-ce que les gens vont comprendre ? Des députés qui auront obtenu un maïorat en octobre 2012 devront choisir en 2014, après les prochaines élections régionales. Et les gens vont se dire  » On l’a élu bourgmestre, et il ne peut plus l’être ?  » Ou  » On l’a élu député, et il se retire ?  » Ou encore  » Evidemment, ils s’arrangent entre eux, cela lui permet de placer quelqu’un « … Moi en tout cas, si je dois choisir, je choisirai de rester bourgmestre, comme sans doute la majorité des mandataires MR concernés. « 

Techniquement, les choses devraient être plus simples en Région bruxelloise, où l’accord de gouvernement prévoit la même limitation à 25 %, mais cette fois sur la base des voix de préférence puisqu’il n’y a qu’une seule circonscription. L’ordonnance n’est toutefois toujours pas votée et, au sein de la majorité, PS et Open-VLD s’en sont désolidarisés, estimant que le texte, d’inspiration wallonne, leur avait été imposé par les présidents du PS, du CDH et surtout d’Ecolo, et qu’il existait une insécurité juridique. Le PS et l’Open-VLD ont ainsi déclaré qu’ils allaient attendre l’arrêt de la Cour constitutionnelle ( lire ci-dessous). Les partis flamands, eux, ont refusé de se voir imposer le texte, et ont obtenu gain de cause : les échevins flamands ne seront pas concernés. Les chances de voir l’ordonnance votée avant les élections communales s’amenuisent.

Au sud du pays, le décret  » décumul  » pèse sur l’élaboration des listes d’octobre prochain et rend le poids de la particratie encore plus lourd. Les stratèges, dans une cuisine dont ils sont les seuls à comprendre l’alchimie, peuvent décider de ne pas mettre en tête de liste des députés actuels qui auraient peu de chances d’avoir un taux de pénétration suffisant en 2014, et seraient donc contraints de choisir entre les deux mandats. Ils peuvent tout autant faire l’inverse pour pousser un député suppléant sans réelle légitimité électorale ou imposer un bourgmestre ff (faisant fonction) de leur choix. C’est le  » compromis à la wallonne  » ?

MICHEL DELWICHE

Pas d’hypocrisie : pour une commune, c’est bien d’avoir un député, et encore mieux un ministre

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