Dépolitiser les nominations : un leurre !

Même si l’attribution des postes dans la fonction publique est moins subjective grâce au Selor, la réforme Copernic n’a pas tenu ses promesses. Faut-il s’en offusquer ? Faut-il changer de système ?

Personne ne contestera les compétences de Hans D’Hondt, le patron du SPF Finances. L’homme est brillant et bien taillé pour diriger la plus grosse administration du pays. N’empêche, la nomination, en 2010, de l’ancien chef de cabinet d’Yves Leterme (CD&V) n’en était pas moins politique. Cela sentait l’arrangement…

En effet, le neveu de l’ex-ministre CVP Paula D’Hondt a été le seul à se voir couronner d’un A (très apte) à l’issu des épreuves du Selor. Les onze autres candidats, loin d’être des manches, ont été recalés, y compris l’ex-patron du SPF Finances Jean-Claude Laes, étiqueté MR, à qui on a infligé un C (moins apte) sans appel. L’ancien grand argentier Didier Reynders (MR) n’a pas eu d’autre choix que de désigner le candidat du CD&V qui préparait son retour au ministère des Finances. Les challengers évincés ont bombardé le Conseil d’Etat de recours en annulation. En tête de la fronde, Jean-Claude Laes reprochait au patron du Selor Marc Van Hemelrijck, qui présidait le jury, de lui avoir raboté le temps de parole, lors de l’épreuve orale.

Il est également piquant de constater que les autres postes clés du SPF Finances sont occupés en majorité par des néerlandophones (8 contre 2 francophones aux postes de managers) et par une écrasante majorité de CD&V, d’Open VLD et de MR. Deux postes encore à pourvoir seraient promis à des CD&V. Hasards du Selor ? Le Gerfa (Groupe d’étude et de réforme de la fonction administrative) n’y croit pas, lui qui qualifie le Selor de  » machine de sélection des apparatchiks « . Il est vrai que, si cela se passe pour la tête des Finances, le reste de l’administration est vraisemblablement contaminé.

Sans être aussi excessif, un haut fonctionnaire étiqueté MR, régulièrement appelé à siéger dans des jurys pour des postes de management, reconnaît qu’il y a moyen d’influencer la sélection des jurés.  » Le Selor agit comme un fournisseur de services, analyse-t-il. Le jury et le type d’examen doivent être validés par le ministre-client. Sans que je le sache, ma présence dans tel ou tel jury n’a peut-être pas été fortuite. Cela dit, il reste, malgré tout, une part d’aléatoire. Ne fût-ce que parce que nous ne pouvons pas répondre à toutes les demandes de siéger dans un jury. « 

La sélection par le Selor se joue surtout à l’épreuve orale. Au cours de celle-ci, on juge essentiellement le comportement du candidat et sa capacité de réaction à des situations données. Exemples : vous êtes confronté à un cas de corruption de fonctionnaires, que faites-vous ? Un de vos collaborateurs se drogue, comme réagissez-vous ? Les mêmes  » case studies  » sont posées depuis des années. Elles circulent même sur le Net.

Le jury est composé de huit membres, avec une parité linguistique parfaite : deux fonctionnaires de même rang que celui du poste en lice, deux universitaires spécialisés en management, deux universitaires spécialisés dans le domaine de la fonction briguée, un cadre du Selor et son adjoint. Les jurés délibèrent et évaluent les candidats selon les critères définis dans le  » descriptif de fonction « . Pour les postes à haute responsabilité, Marc Van Hemelrijck ou son administrateur délégué adjoint président eux-mêmes les commissions de sélection.  » Le président se cantonne habituellement à un rôle de notaire, mais il peut néanmoins influencer les discussions « , note un autre fonctionnaire siégeant dans des commissions.

Une fois les candidats évalués, intervient le choix discrétionnaire du ministre dans la corbeille des A (très aptes) et des B (aptes). Si des A ont été attribués, le choix se porte en général sur l’un d’eux. Au risque sinon de déclencher une avalanche d’actions devant le Conseil d’Etat.  » Il y a des malades du recours comme il y a des malades du concours Selor, note un directeur général. Si certaines actions sont justifiées, il y a aussi beaucoup d’abus. « 

Lors de son lancement en février 2000, la révolution copernicienne promettait une dépolitisation de l’administration publique et surtout des nominations des fonctionnaires. L’idée était d’injecter une nouvelle culture de management inspirée du secteur privé et d’attirer de belles têtes du monde de l’entreprise. Résultats ? Sur les quatorze présidents de comité de direction, seuls deux viennent du privé !

Et les nominations ?  » On est tout de même dans un processus plus objectif, constate Alexandre Piraux, du Centre d’études et de recherches en administration publique (CERAP-ULB). Il est vrai qu’on revient de loin avec le fameux article 18.  » En effet, depuis la fin des années 1940, celui-ci permettait au Conseil des ministres de nommer sans concours  » des personnalités de haute valeur administrative, scientifique, technique ou artistique « . Cette procédure d’exception a été la quintessence de la politisation. Bien que de moins en moins utilisé, l’article 18 n’a été abrogé qu’en 2002.

 » Aujourd’hui, la politisation est différente, continue le Pr Piraux. Les épreuves du Selor garantissent malgré tout un bon niveau de compétence. Que le choix final revienne au ministre me paraît normal. Celui-ci doit pouvoir s’assurer une certaine loyauté de la part de des fonctionnaires dirigeants. « 

Il n’en reste pas moins qu’on observe une tendance de plus en plus lourde à personnaliser les compétences requises pour les postes de haute fonction.  » De sorte que peu de candidats peuvent se présenter, reconnaît Alexandre Piraux. L’ambiguïté réside dans le fait que ce sont les politiques qui définissent les profils de fonction.  » On les appelle d’ailleurs  » profils pyjamas « .

Quoi qu’il en soit, le système en vigueur est loin de tenir ses promesses. Au point que la précédente ministre de la Fonction publique, Inge Vervotte (CD&V), a tenté de réformer la procédure de sélection des managers de l’administration ( Le Vif/L’Express du 12 mars 2010). Elle voulait, entre autres, rendre aléatoire la constitution des jurys et publier leur composition sur le site du Selor, en toute transparence. Cette dernière initiative aurait permis de disposer enfin de statistiques fiables sur le fonctionnement des commissions. Une discussion inter-cabinets a été entamée. La réforme est au point mort.

Etait-ce la bonne manière de vouloir revoir la copie ?  » Dépolitiser la haute administration est impossible, note un socialiste, habitué des commissions de nominations avant Copernic. Croire que les hauts fonctionnaires peuvent être décérébrés politiquement est ridicule. La politisation a toujours existé et existera toujours. Assumons-la intelligemment.  » Et ce briscard de plaider pour un système à l’américaine :  » Aux Etats-Unis, lorsqu’un nouveau parti arrive au pouvoir, la haute administration dépendant directement de l’exécutif est renouvelée, ce qui rend les politiques réellement responsables de leurs fonctionnaires.  » Impensable en Belgique ? Le cadastre proposé par Di Rupo va plutôt dans ce sens. Il bouscule en tout cas la tradition de l’administration belge d’assurer une continuité par rapport aux changements de gouvernants. Un système anglo-saxon serait plus transparent et s’accorderait avec une formation professionnelle en administration publique, qui garantit un certain niveau de compétence. On sait qu’un projet d’école commun à la Région wallonne et à la Fédération Wallonie-Bruxelles est sur les rails. Il a été adopté par le parlement wallon en janvier.  » Les premiers cours seront dispensés en 2013 « , nous dit-on au cabinet du vice-président wallon Jean-Marc Nollet (Ecolo). Et ensuite, une école et un brevet au niveau fédéral ?

THIERRY DENOËL

 » La politisation a toujours existé et existera toujours  » (un briscard PS)

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