Demain, tous sur Facebook ?

Ettore Rizza
Ettore Rizza Journaliste au Vif/L'Express

A l’aube d’une colossale entrée en Bourse, des incertitudes pèsent sur l’avenir du géant des réseaux sociaux. En cause, le succès de l’Internet mobile, avenir du Web. Reste que Facebook possède plus d’un atout pour devenir incontournable.

On ne peut nier que Mark Zuckerberg, patron et cofondateur de Facebook, possède le sens de la formule : « Il y a plus de deux milliards d’internautes dans le monde, selon un rapport IDC publié en août 2011, et nous avons pour but de tous les connecter.  » Clair. Percutant. Mieux vaut l’être quand, comme ce vendredi 18 mai, un multimilliardaire de 28 ans s’apprête à entamer la plus grosse introduction en Bourse de l’histoire d’Internet. L’une des quinze plus importantes de tous les temps, tous secteurs confondus. En escomptant aux dernières nouvelles de 26,4 à 29,5 euros par action (de 34 à 38 dollars), le géant des réseaux sociaux pourrait se voir valorisé de 71,6 à 80 milliards d’euros. En comparaison, la capitalisation boursière du fabricant d’ordinateurs HP atteignait l’an dernier 37 milliards d’euros, pour un chiffre d’affaires 34 fois supérieur à celui de Facebook.

Connecter tous les internautes de la planète. Par cette apparente fanfaronnade, le réseau social né en 2 004 à l’université Harvard dit surtout aux investisseurs : nous avons à peine parcouru la moitié du chemin. Avec 901 millions d’usagers revendiqués en avril, Facebook pourrait atteindre le milliard en août, si l’on en croit une projection de la société de marketing numérique iCrossing. Presque la population de l’Inde, deuxième pays le plus peuplé après la Chine. En Belgique, près de 45 % de la population et 60 % des internautes ont déjà franchi le pas : 4 664 460 comptes, selon le site sociabakers.com.

L’empire Facebook pourrait-il vraiment étendre sa toile dans tous les recoins de la planète Web ? Voire. Aux Etats-Unis et en Europe, sa progression s’essouffle. En Asie, où se trouvent plus de la moitié des internautes mondiaux, sa marge de progression est certes énorme. Le réseau touche à peine 5,6 % de la population. Mais il est interdit en Chine et largement devancé par deux concurrents en Russie. On répondra que la Chine s’ouvrira bien un jour et qu’une domination peut se renverser. Au Brésil, Facebook a ainsi dépassé depuis décembre le réseau social Orkut de Google, jusque-là dominant.

Certains craignent toutefois que le paquebot ne sombre en pleine traversée. Fin avril, dans le magazine américain Forbes, le spécialiste en gestion stratégique Eric Jackson prédisait que Facebook pourrait disparaître d’ici à 5 à 8 ans, de même que Google d’ailleurs. Aux yeux de Jackson, ces deux mastodontes peinent à négocier le virage vers l’Internet mobile pour le premier, vers le Web social pour l’autre.

Dans le cas de Facebook tout au moins, l’argument fait mouche. La star de Palo Alto a beau compter 488 millions de  » mobinautes « , qui consultent donc le site sur appareils portables, elle peine à trouver un modèle publicitaire adapté aux petits écrans. A dix jours de son entrée en Bourse, Facebook a reconnu que ses médiocres résultats financiers du premier trimestre s’expliquaient principalement par la hausse des connexions mobiles.  » Actuellement, nous ne générons pas directement de revenus substantiels de l’activité de nos usagers Facebook sur le mobile, et notre aptitude à y arriver n’est pas prouvée « , a admis la société dans un amendement à son dossier d’introduction en Bourse. De quoi doucher l’enthousiasme des investisseurs.

Dans un récent rapport, la société de recherche en marketing ComScore indique qu’aux Etats-Unis les consultations de Facebook sur smartphones auraient déjà dépassé en durée celles sur ordinateurs.  » L’enjeu pour Facebook est de devenir le SMS de demain « , résume Christophe Lefevre, chroniqueur spécialisé sur le blog Techtrends. Cette inexorable progression du mobile explique en partie pourquoi Facebook a offert, début avril, 1 milliard de dollars pour racheter Instagram, la petite application qui monte dans le partage de photos en ligne. Pour beaucoup d’observateurs, ce rachat témoigne de la fragilité de Facebook, géant aux pieds d’argile, à la merci de jeunes start-up prometteuses.

Pour autant, les mêmes observateurs se gardent de comparer Facebook à MySpace, ce réseau social dédié aux musiciens passé en neuf ans du succès planétaire à la confidentialité.  » La grande différence entre les deux, c’est que Facebook évolue énormément, estime Christophe Lefevre. Zuckerberg n’hésite pas à tout changer du jour au lendemain et tout le monde est obligé de suivre.  » Pour David Hachez, spécialiste en marketing et nouveaux médias chez The After,  » la grosse différence, ce sont les photos. C’est ce qui s’échange le plus sur Facebook. Migrer toutes ces données émotionnelles vers un nouveau réseau social serait une opération un peu lourde « .

Autre énorme différence : pour la première fois dans l’histoire du Web, un site a réussi l’exploit de fédérer parfois trois générations d’utilisateurs. Des grands-parents qui n’avaient jamais utilisé un ordinateur franchissent désormais le pas afin de garder un lien avec leurs petits-enfants. Pas sûr que ce public soit prêt à passer d’un site à l’autre au gré des modes.

Demain, tous sur Facebook ? Pour remporter son pari, Mark Zuckerberg devra aussi parvenir à convaincre l’un des derniers carrés d’irréductibles : ces  » élites  » qui, on va le voir, ne  » likent  » (aiment) ni les pertes de temps ni les atteintes à leur intimité.

ETTORE RIZZA

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