DEMAIN, J’ENLÈVE LE BAS

Rosanne Mathot
Rosanne Mathot Journaliste

Les cyclistes n’ont pas d’humour. Le Tour de France, par exemple, n’a jamais été invité chez Raymond Devos. C’est bien la preuve. Les cyclistes ronchonnent. Bon. Ils sont verbalisés dès lors que leur vitesse dépasse les 6 km/h dans  » le piétonnier « , la zone la plus bigarrée de la capitale. En même temps, il faut être honnête : que font les cyclistes, hormis s’adonner à la joie vulgaire de rouler vite et de gigoter de la couenne en transpirant ? Les cyclistes sont des branquignols. Ils sont arrivés là où ils sont à la force du mollet. Les Belges sont adultes. Ils ont le droit de savoir.

Depuis bientôt un an,  » le piétonnier « , c’est un peu le nouveau  » voir Naples et mourir  » de tout le monde dans la galaxie tout entière : pour sa grandeur, bien sûr (c’est la zone piétonnière la plus vaste d’Europe) mais surtout, pour ses polygones colorés et très, très beaux, qui ne le font pas du tout ressembler à un jeu de marelle psychédélique issu des fantasmes déjantés d’un urbaniste daltonien.

Sinon, les touristes non plus n’ont pas d’humour. Souvenez-vous de cette dizaine de visiteurs, affolée de joie à l’idée de visiter  » le piétonnier « , comme on rêve de traverser le cercle polaire. Certes, lesdits touristes ont été piégés pendant dix jours, par la pluie, la brume, la pluie et le lockdown, dans ces 22 hectares de voies sans voiture.

Au début, personne ne s’était méfié : dans le piétonnier, le temps était clair, bleu, glacial, parfait. Mais ces étrangers en goguette ignoraient vraisemblablement qu’en Belgique, le temps se change toutes les cinq minutes. On se demande d’ailleurs où il trouve la place pour stocker sa garde-robe, le temps, vu la petitesse du royaume.

Quoi qu’il en soit, très vite, nos touristes n’y ont plus vu qu’à dix mètres. Puis à sept. Puis à deux. L’angoisse les a gagnés. On les comprend. Pour ne pas se perdre, ils ont été obligés de s’encorder et de se tenir tous par la main. C’était assez joli. In fine, c’est grâce à quelques gaufres échouées sur le trottoir qu’ils ont réussi à survivre et à atteindre la terrasse de ce café, frigorifiés, en haillons et le coeur tout blanc. Ils ont survécu : est-ce vraiment la peine d’en faire tout un plat ?

Que dire, enfin, des commerçants ? Calculette en main, la mine chafouine, assis, sur un banc, boulevard Anspach, à côté de la saison noire qui a pris la place du printemps, ils le disent haut et fort : ils ne veulent pas d’un piétonnier intégral. Mais quoi, alors ? Un piétonnier qui garde le haut, mais enlève le bas ? Ou l’inverse ?

Les autorités bruxelloises, conscientes de cette cruciale problématique sociale, ont décidé de frapper fort, pour le bien de tous. C’est à Myriam Szabo, et en secret, que l’équipe Mayeur a demandé conseil. Myriam Szabo, c’est celle qui, en 1981, dans l’effervescence brûlante des rues parisiennes, avait promis d’enlever le haut, avant de jurer d’enlever le bas. Question  » intégralité « , Myriam en connaît donc un rayon. Notons au passage qu’Eddy Merckx aussi a de l’esprit, mais que personne ne le laisse jamais parler, lui.

Bilan des courses : il faut un piétonnier à clapet. Un piétonnier qui s’ouvre et se referme, façon écluse. Logique. Magritte ne vous dirait pas le contraire.

Cette histoire est triste. A plus forte raison qu’elle est vraie. Evidemment, dans la vie, il y a plus triste que la vérité. Il y a le mensonge. Ainsi, pendant huit ans, Wikipedia se fit, à tort, l’écho de la mort suspecte du célèbre général romain Gaius Flavius Antoninus, assassiné, en pleine séance de Scrabble, par une prostituée enragée.

Mais c’est pas tout ça. L’heure tourne. Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer sur La Une, à 20 h 15 !

Rosanne Mathot

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