Débat : les banques ont-elles compris ?

Les premières mesures de régulation décidées à Bâle semblent bien timides. Quant à l’idée de taxer le secteur bancaire, elle est loin de se concrétiser. Les banques font de la résistance. Ont-elles tiré les leçons de la crise ? Non, dit le Pr Eric De Keuleneer. Oui, selon la Febelfin.

Le Vif/L’Express : Les régulateurs de Bâle (représentants des banques centrales et superviseurs) viennent d’adopter des règles minimales. Les projets de taxe bancaire s’enlisent. Est-ce la victoire du lobby bancaire ?

Eric De Keuleneer, professeur à l’ULB (Solvay), ancien banquier et administrateur délégué de Credibe : Très certainement. Cela révèle la faiblesse des pouvoirs publics et les moyens énormes du lobby des banquiers qui ont usé de propagande et émis de fausses informations. Le tort des autorités publiques est d’avoir sauvé les banques sans émettre de conditions. En réalité, les Etats auraient dû, dans de nombreux cas, nationaliser les banques défaillantes. Mais ils n’ont pas osé. Ils leur ont fait beaucoup de cadeaux sans contrepartie et en s’endettant parfois très lourdement. Ils se sont  » vulnérabilisés  » par rapport aux banques. Heureusement, la Commission européenne a considéré le soutien aux banques comme des aides d’Etat et imposé des sanctions, ce qui a permis de ne pas donner un sentiment d’impunité totale aux banquiers.

Les banques disent craindre l’interventionnisme de l’Etat. A juste titre ?

Mais non. Ces quinze dernières années, l’Etat aurait dû intervenir bien davantage sur le plan de la régulation. Bâle II avait été beaucoup trop laxiste en matière d’exigence de solvabilité, tout en étant peu regardant sur la qualité des fonds propres. Cette fois, Bâle III exige des fonds propres  » durs « , mais en imposant un ratio insuffisant et avec trop de délais.

Pour les banques, il va tout de même falloir mobiliser des capitaux…

Voilà encore de la propagande bancaire ! Les banques devront mobiliser de nouveaux capitaux si elles gardent toutes leurs activités actuelles. Or si elles suppriment une partie de leurs activités, spéculatives, nocives pour l’économie, elles récupéreront automatiquement des fonds propres, sans douleur. Le problème est que les banques veulent continuer à spéculer, au risque des Etats.

Comment expliquez-vous la frilosité des régulateurs de Bâle ?

Ils savaient que les Etats ne les suivraient pas. La propagande et le chantage des banques ont fonctionné. Celles-ci ont clamé que, si on leur impose des règles trop strictes, elles ne pourraient plus financer la relance. Comme si les banques s’étaient jamais préoccupées de l’état de l’économie ! C’est du terrorisme intellectuel. Le lobby bancaire a réussi également à convaincre les trésoriers d’entreprises de les aider dans leur lobbying, par un mélange de menaces d’apocalypse, de promesses et de  » séminaires  » plaisants à Roland-Garros et à Wimbledon.

La taxe Tobin sur les transactions financières, que vous défendez, fait à nouveau débat mais semble avoir beaucoup de détracteurs. Lesquels la disent irréalisable…

Voyez à nouveau la propagande ! Si tout le monde le voulait, ce serait réalisable. C’est une question de mentalité. Une taxe de 0,01 à 0,05 % ne représente pas grand-chose. C’est négligeable pour les non-financiers. Mais, encore une fois, cette taxe gêne les spéculateurs des grandes banques et les fonds spéculatifs, ceux qui exécutent des opérations de change pour des centaines de milliards de dollars par jour. L’effet recherché par cette taxe est justement de freiner la spéculation. Cela permettrait de répondre à cette vieille question : les activités financières sont-elles des moteurs de l’économie ou des parasites ? Les activités qui créent tellement de richesses seront capables de supporter une taxe minime.

Effectivement. Aucune sanction n’a été prise contre les fauteurs de troubles. Donc, les comportements dangereux persistent. Avec un nouveau risque de crise bancaire. On n’a pas tiré les leçons du fétichisme de la finance. On voit bien que la spéculation a repris de plus belle sur les devises, les matières premières, etc.

ENTRETIEN : THIERRY DENOëL

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