De la SNCB à la N-VA, et bientôt ministre ?

Après avoir dirigé les chemins de fer belges pendant huit ans, Marc Descheemaecker rejoint les indépendantistes flamands. Un transfert qui illustre le virage à droite de la N-VA, davantage que la  » flamandisation  » du rail. Analyse.

L’ex-patron des chemins de fer a-t-il déraillé ? Deux semaines après son annonce, le ralliement de Marc Descheemaecker à la N-VA continue d’alimenter les polémiques. Voilà une mutation peu banale : un homme qui a dirigé l’une des plus grandes entreprises du pays, l’un des symboles mêmes de la Belgique, et qui endosse soudain la casaque de l’anti-establishment. L’acte ne pouvait que susciter un flot de questions. De quand date la proximité de Marc Descheemaecker avec les indépendantistes flamands ? A-t-elle déteint sur sa gestion du rail ? Ce transfert illustre-t-il l’allégeance du patronat flamand tout entier à la N-VA ? La SNCB est-elle à ce point malade qu’elle pousse ses anciens hiérarques à vomir la Belgique ?

C’est en novembre dernier que Marc Descheemaecker quitte la SNCB, après huit ans passés à sa tête. Ce solide quinquagénaire résidant à Oostduinkerke aurait aimé poursuivre sa mission. Le gouvernement fédéral ne l’a pas voulu. Le patron déchu s’attelle alors à la rédaction d’un livre. Le résultat, un pamphlet intitulé Dwarsligger (Uitgeverij Van Halewyck), ce qui signifie à la fois  » traverse  » et  » forte tête « , paraît le 18 mars. L’auteur y dénonce le dérèglement de la SNCB, gangrénée par les conservatismes, victime d’un organigramme absurde et d’une politisation effrénée. Huit jours après la sortie de l’ouvrage, Descheemaecker annonce qu’il poussera la liste N-VA aux élections européennes.

Un flirt prévisible ?

Quelques semaines plus tôt, la formation nationaliste a tenté d’attirer dans ses rangs Johnny Thijs, l’ex-patron emblématique de bpost. Celui-ci a décliné l’offre. Qu’importe : Descheemaecker constitue un autre trophée de choix. L’homme, qui a débuté sa carrière comme consultant pour le cabinet McKinsey, est étiqueté Open VLD. En le débauchant, la N-VA poursuit son pilonnage en règle des libéraux flamands. Marc Descheemaecker incarne aussi la ligne antisocialiste voulue par Bart De Wever : au cours de son mandat, il n’a cessé de s’opposer au SP.A, et en particulier à Jannie Haek, administrateur délégué de la SNCB-Holding de 2005 à 2013, ex-chef de cabinet du vice-Premier ministre Johan Vande Lanotte. Le président de la N-VA s’est empressé de le souligner :  » A la tête de la SNCB, Descheemaecker a expérimenté ce qu’était le modèle PS. Il a subi cette logique socialiste où les entreprises publiques ne sont pas gérées en fonction de l’intérêt général, mais ne sont que des jouets au service d’intérêts partisans.  »

Le flirt de Marc Descheemaecker avec la N-VA était-il prévisible ? Pas vraiment.  » Sa décision m’a surpris. Et pour être honnête, je trouve qu’elle nuit à la crédibilité de son livre « , commente Rik Van Cauwelaert, éditorialiste au quotidien De Tijd et fin connaisseur des arcanes de la SNCB. Dans Dwarsligger, Marc Descheemaecker évoque une possible scission de l’entreprise en deux compagnies, l’une flamande, l’autre wallonne. Mais il n’en fait ni une obsession, ni une revendication prioritaire. Les francophones qui l’ont côtoyé sont unanimes : jamais, ils n’ont constaté chez lui la volonté de défavoriser le sud du pays.  » Descheemaecker a toujours privilégié une approche industrielle plutôt qu’une vision politicienne ou communautaire, témoigne un cadre du syndicat chrétien. Par contre, il était pour une gestion rationnelle, efficace, avec le sabre bien aiguisé. S’il voyait qu’une gare n’attirait que deux voyageurs par heure, il demandait sa suppression sans état d’âme.  » Une autre source francophone, de sensibilité socialiste, abonde :  » Ce n’était pas le plus flamingant du groupe SNCB, loin de là. Je ne l’ai jamais entendu tenir des propos séparatistes, fût-ce de façon implicite.  »

D’autres voix rappellent que, sous la direction de Descheemaecker, le rail wallon a beaucoup souffert : fermeture de nombreuses gares (Auvelais, Herstal, Couvin…), suppression du centre de triage de Ronet, reports incessants de la mise à grande vitesse de la ligne Namur-Luxembourg, suspension temporaire du Thalys empruntant l’axe Charleroi-Liège…  » Je ne dirais pas que Marc Descheemaecker voulait nuire à la Wallonie, mais il n’a jamais été attentif aux projets wallons, il ne s’y impliquait pas « , soutient François Bellot. Pour étayer ses dires, le sénateur MR avance des chiffres : les trains roulent à 87 km/h sur la ligne Bruxelles-Ostende, alors que leur vitesse avoisine les 50 km/h entre Bruxelles et Arlon. Depuis la capitale belge, il faut plus de temps qu’en 1938 pour rallier le Luxembourg.

 » Les Wallons ont raison de s’estimer lésés, compatit Rik Van Cauwelaert. Mais la cause, ce sont les contraintes européennes et la conception managériale qui s’est imposée dans les services publics. La rentabilité est devenue le maître-mot. Du coup, les responsables de la SNCB investissent là où ça rapporte.  » A ce jeu-là, la Wallonie, avec un relief plus vallonné et un habitat plus dispersé, est forcément perdante. Le glissement de l’activité économique du sud vers le nord du pays accroît encore le déséquilibre.  » La ligne Anvers-Charleroi, poursuit Rik Van Cauwelaert, date de l’époque où Charleroi était l’un des plus grands pôles industriels du pays. Aujourd’hui, le train se vide quand il arrive à Bruxelles, et il roule quasi sans passagers jusqu’à Charleroi. Toute la seconde partie du trajet est déficitaire. Ce contexte a pour triste conséquence un sous-investissement dans le rail wallon.  »

Mauvais choix wallons

José Damilot, qui a présidé pendant vingt ans les cheminots FGTB, n’est pas tendre à l’égard de Marc Descheemaecker :  » Qu’un homme qui porte une telle responsabilité dans la débâcle du chemin de fer s’érige en donneur de leçons, c’est quand même fort de café !  » L’ex-leader syndical se montre néanmoins réservé quant à la supposée flamandisation de l’entreprise publique.  » Affirmer que la Wallonie serait maltraitée par la direction de la SNCB, c’est un peu facile… L’essentiel du problème est plutôt lié aux mauvais choix des Wallons eux-mêmes. Quelle est la priorité des politiques ? Des trains confortables et qui arrivent à l’heure ? Ou des grandes gares de prestige ? On veut des monuments qui marquent l’histoire, mais en attendant, le navetteur voyage dans des conditions déplorables. A Liège, 450 millions d’euros pour la gare de Calatrava, c’est inouï. Avec la moitié de cette somme, on terminait les travaux sur l’axe Namur-Luxembourg. La gare de Mons, c’est aussi un très mauvais choix stratégique. Et la vérité m’oblige à dire que Descheemaecker n’est pour rien dans ce genre d’erreurs.  »

Finalement, l’arrivée à la N-VA d’un libéral pur et dur comme Marc De-scheemaecker illustre surtout l’évolution… de la N-VA elle-même. Jusqu’au début des années 2000, la formation fondée par Geert Bourgeois se profilait comme la continuité de la Volksunie, un parti communautaire, avec une réelle dimension sociale.  » A partir de 2009, la N-VA a pris un virage très à droite, analyse Rik Van Cauwelaert. Ce nouveau positionnement ultralibéral a permis la venue de quelqu’un comme Descheemaecker.  »

Au nord du pays, il se dit que l’ex-patron de la SNCB pourrait devenir ministre des Transports, si la N-VA se maintient au gouvernement flamand. Avant cela, l’intéressé devra passer le cap du 25 mai. A la dernière place, il ne pourra compter que sur ses voix de préférence pour se faire élire au Parlement européen. Or, sa popularité auprès du grand public reste à démontrer.

Par François Brabant

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