Dans l’ombre des migrants

L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) fête ses cinquante ans. Cinquante ans à accompagner, pas à pas, les candidats au départ.. ou au retour. Histoire d’une organisation qui avait rêvé d’un nouveau monde

L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) est une organisation discrète. Personne ne connaît son directeur général, Brunson McKinley, 58 ans, un ancien diplomate américain, érudit et polyglote, qui a rédigé les accords de Dayton pour la Bosnie-Herzégovine. On n’évoque jamais, au sujet de l’OIM, les problèmes financiers ou institutionnels qui valent à certaines de ses consoeurs une notoriété superficielle. Et, pourtant, c’est un organisme intergouvernemental très professionnel, implanté partout dans le monde. Active en Afghanistan, l’OIM le sera demain dans tout autre pays où les populations sont malmenées par l’Histoire.

Le fait d’avoir changé de nom quatre fois n’aide évidemment pas cette institution à valoriser son expérience et son image. Qui se souvient encore du Comité intergouvernemental pour les migrations européennes (CIME), l’ancêtre de l’OIM, né le 5 décembre 1951, à l’initiative de la Belgique et des Etats-Unis ? Après la Seconde Guerre mondiale, il s’occupe de l’émigration de 400 000 Européens (réfugiés politiques, « personnes déplacées », migrants économiques) à destination des pays d’outre-mer. Viennent ensuite les crises de la Guerre froide. Le CIME « réinstalle » 180 000 Hongrois (1956) et 40 000 réfugiés tchécoslovaques (1968); il favorise l’émigration de juifs originaires d’Union soviétique à partir de 1971. Au fil du temps, le Comité intervient de plus en plus hors de l’Europe: aide à l’émigration de 130 000 réfugiés du Bangladesh et du Népal au Pakistan (1971), évacuation des ressortissants asiatiques expulsés de l’Ouganda (1972), mise sur pied d’un programme spécial de reclassement pour 31 000 Chiliens chassés de leur pays par la dictature de Pinochet (1973).

En dehors de ces périodes agitées, l’organisation n’oublie pas qu’elle a été créée en vue de faire coïncider l’aspiration des individus à une vie meilleure avec les besoins en développement de ses Etats membres. Elle agit, donc, comme une « bourse aux migrants » à l’échelle de la planète. Dans les années 60, certains pays du continent sud-américain font appel à de la main-d’oeeuvre étrangère qualifiée pour faire décoller leur économie: des Belges partent au Nicaragua, des Allemands en Argentine… Quelques années plus tard, ayant acquis un meilleur standard de vie, ces mêmes pays cherchent, avec l’aide de l’OIM, à faire revenir leurs nationaux émigrés, pourvu qu’ils soient dotés d’un bon profil professionnel. L’Afrique, puis, l’Asie, saisissent, à leur tour, l’utilité de cet « échange des cerveaux ». A ne pas confondre avec la « fuite des cerveaux » que l’OIM, sensible aux desiderata des Etats – trop, selon certains -, a toujours combattu.

En 1989, l’organisation acquiert son nom actuel, Organisation internationale pour les migrations. Il rend mieux compte de son action. Après la crise du Golfe (où il a fallu rapatrier dare-dare 165 000 personnes employées au Moyen-Orient vers l’Egypte et différents pays d’Asie), on sait ainsi qu’elle a franchi le cap du 5 millionième migrant assisté. Mais, à partir des années 90, le rythme des déplacements forcés de population s’accélère et devient un problème préoccupant à l’échelle de la planète. On estime, en effet, à 150 millions le nombre de personnes vivant hors de leurs frontières. Humble soutière de ces migrations de plus en plus chaotiques, l’OIM affiche à son compteur 11 millions de migrants aidés en l’an 2000. Soit deux fois plus en dix ans que lors des quarante premières années de son existence ! Les guerres d’ex-Yougoslavie et du Rwanda ont apporté leur lot de malheurs aux populations civiles, sans compter le déclenchement de la guerre en Tchétchénie, en 1995, ou les victimes honduriennes de l’ouragan Mitch, auxquelles l’OIM a cherché un abri, en 1998.

Sa neutralité, sa discrétion médiatique et son indiscutable efficacité valent à l’OIM des missions qui sortent, de plus en plus, de son cadre habituel. En 2000, c’est à cet organisme qu’est confiée la tâche d’identifier et de dédommager les victimes du régime nazi soumises au travail forcé en Allemagne, pour le compte des banques suisses et du Fonds allemand de dédommagement. En septembre 2001, cette mission est étendue aux victimes homosexuelles du régime nazi. Depuis 1996, l’OIM se spécialise également dans la mise sur pied de programmes d’élection pour des non-résidents. Des centaines de milliers de personnes originaires de Bosnie-Herzégovine, du Timor-Oriental et du Kosovo ont pu, ainsi, prendre part à des consultations politiques, au départ de leurs 74 pays d’accueil.

Alors que le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) s’occupe du statut légal de ses protégés, l’OIM, qui agit un peu comme son bras armé, plonge directement les mains dans le cambouis. Sa force ? Ses 95 « bureaux » répartis dans les 5 continents. Ils accumulent de l’information sur les mouvements migratoires. Nouent des accords de libre transit avec les aéroports et les transporteurs. Conseillent les Etats dans leurs activités législatives. Prennent en charge, comme en Belgique – et à la demande du gouvernement -, des campagnes de prévention de l’immigration illégale dans les pays d’origine ou des programmes de réinsertion pour les déboutés du droit d’asile ou les candidats volontaires au retour. Localement, l’OIM veille aux droits des migrants mais elle fera rarement connaître publiquement son opinion, afin de ne pas froisser des gouvernants qui sont aussi ses bailleurs de fonds. Il lui arrive de manifester son opposition à des pratiques hostiles aux étrangers. Toujours par écrit.

L’OIM a été fondée sur un principe qui, dans le contexte actuel, apparaît d’un optimisme béat: « Les migrations s’effectuant en bon ordre et dans le respect de la dignité humaine sont bénéfiques pour les migrants et la société. » C’est dire si l’immigration illégale, le trafic des êtres humains, l’esclavage sexuel et le travail forcé contreviennent à son projet. Pragmatique, l’OIM a, donc, décidé de reconnaître six secteurs de travail (aide au retour, migration et santé, information de masse, lutte contre la traite des êtres humains, mouvements, coopération technique) pour maintenir un équilibre entre le droit à migrer et le refus des pratiques criminelles qui poussent de vastes troupeaux humains dans des voies sans issue. « L’OIM défend une idée de la mobilité, beaucoup plus que celle d’un transfert à long terme, explique Laurent De Boeck, expert en gestion de la migration à l’OIM-Bruxelles. Actuellement, les migrations sont très mal perçues parce qu’elles font l’objet d’un trafic criminel. Si ce trafic n’est pas combattu, c’est la personne du migrant qui n’inspirera plus confiance… »

Marie-Cécile Royen

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