Damien : cachez ce saint…

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Le roi, la reine, plusieurs ministres fédéraux… Une imposante délégation belge et des milliers de pèlerins débarqueront à Rome où, le 11 octobre, le père Damien sera mis au nombre des saints. Les dessous de la canonisation du  » plus grand Belge de l’Histoire « .

Rater le voyage à Rome pour la canonisation du père Damien ? Hors de question ! Herman Van Rompuy, qui tient à faire le déplacement, a mis l’agenda politique sous influence du futur saint : le Premier ministre espère faire aboutir les négociations budgétaires avant le week-end des 10 et 11 octobre.

Accompagné de son épouse, Van Rompuy ne sera pas seul à représenter la Belgique, le dimanche 11, sur la place Saint-Pierre. Albert II, la reine Paola et plusieurs ministres fédéraux  » sociaux-chrétiens  » seront également de la partie. Les noms des CDH Joëlle Milquet et Melchior Wathelet et des CD&V Yves Leterme, Pieter De Crem, Stefaan De Clerck et Steven Vanackere ont été cités. Mais, aux Affaires étrangères, on dit  » attendre encore la confirmation de la présence de certains d’entre eux « . Trois vols gouvernementaux pour Rome – un sur Airbus et deux sur Embraer – sont prévus ce week-end-là. Il y a longtemps que l’on n’avait plus vu une telle mobilisation au sommet de l’Etat fédéral pour un événement religieux. Un déploiement de force qui suscite l’indignation au Centre d’action laïque (Cal), où, nous confie-t-on,  » on veut savoir quelle configuration aura finalement la délégation belge avant de réagir officiellement « .

Et Laurette Onkelinx ? Ira ? Ira pas ? La ministre socialiste ne cache pas son admiration pour le missionnaire engagé au service des lépreux de Molokaï. Elle avait même brillamment défendu sa cause, aux côtés du prêtre ouvrier français Guy Gilbert, lors de la soirée de clôture du référendum du Plus grand Belge de l’Histoire, organisé par la RTBF en décembre 2005. Damien s’était classé troisième, à une longueur de Jacques Brel et à un fifrelin du roi Baudouin. Après sa nette victoire sur la VRT, son score francophone a fait de lui le Belge le plus populaire à l’échelle nationale. Aucune chance pour autant de voir Onkelinx créer l’événement – l’incident ? – en se rendant à Rome le 11 octobre : le même jour se tient le congrès de rentrée du PS.

Plus de 10 000 admirateurs de Damien à Rome

Bien entendu, Mgr Danneels, primat de Belgique, et tous les évêques du pays rejoindront, eux, la place Saint-Pierre, où quelque 50 000 personnes assisteront à la messe en plein air. Près de 10 000 d’entre elles viendront pour le père Damien, tandis que le reste du public sera là pour les quatre autres bienheureux canonisés le même jour.  » De Belgique arriveront plus de 2 500 pèlerins rassemblés surtout par les diocèses, précise le père Tommy Scholtès, jusqu’il y a peu conseiller ecclésiastique à l’ambassade de Belgique auprès du Saint-Siège. Au moins 7 000 autres admirateurs du père Damien feront le déplacement depuis l’Espagne, les Etats-Unis et les îles Hawaii, où a £uvré et où est mort le missionnaire, qui était déjà devenu une légende de son vivant. « 

Des tee-shirts  » Damiaan  » pour les pèlerins

Une douzaine d’anciens lépreux de l’île de Molokaï, tous âgés de 80 ans environ, représenteront leurs compagnons d’infortune lors de la canonisation, à Rome, et seront présents à la grande fête populaire organisée ce 4 octobre à Tremelo (Brabant flamand), le village natal du missionnaire.  » J’espère qu’ils supporteront les vingt-six heures de vol et les douze heures de décalage horaire, glisse l’historienne Hilde Eynikel, biographe de Damien (1), qui s’est rendue de nombreuses fois dans les îles Hawaii pour rassembler des documents inédits sur la vie du prêtre belge. Pour les croyants catholiques impliqués dans la lutte contre des maladies comme la lèpre ou le sida, cette canonisation est un encouragement. Saint Damien sera le patron de toutes les victimes de maladies qui suscitent la répulsion et la stigmatisation. « 

Des tee-shirts  » Damiaan  » seront distribués aux pèlerins. Car, même si le héros de Molokaï était appelé  » Damien  » à son époque (sur sa tombe, à Hawaii, figure la mention  » Father Damien « ), les célébrations et festivités qui accompagnent sa canonisation ont une couleur résolument flamande. Tremelo, où Damien est né, et Louvain, où il a étudié et où il repose depuis le retour au pays de son cercueil, en 1936, sont les épicentres du grand barnum religieux. Alors, Damien, saint flamand ?  » En 1840, année de la naissance de Joseph De Veuster, le futur père Damien, la Belgique n’existe que depuis dix ans, note Edouard Brion (2), père des Sacré-C£urs, la congrégation de Damien. Pour sa part, Damien s’affirme clairement comme citoyen de ce « pays des Belges », ce Belgenland comme il l’appelle. Et il se veut d’autant plus belge qu’il se sent et se dit flamand. A cette époque, contrairement à la nôtre, les deux identités se renforçaient mutuellement.  »

Fils de petits commerçants flamands,  » Damien craignait de rester prisonnier de ce milieu étroit, raconte Hilde Eynikel. Il a appris le français à l’école commerciale de Braine-le-Comte et a décidé de devenir prêtre sous les voûtes romanes de l’église Saint-Géry de cette petite ville francophone. Il a ensuite rejoint le noviciat de la congrégation des Sacrés-C£urs, dite de Picpus, à Issy, près de Paris. Il y a assimilé, en français, des matières aussi ardues que la théologie, la morale et la règle de saint Benoît. Plus tard, dans les îles Hawaii, il utilise surtout, dans ses lettres, l’anglais et le français « .

A la fin du xixe siècle, la Belgique ne s’intéressait pas encore à l’£uvre de Damien, pourtant devenu, dans les pays anglo-saxons, une star internationale, comparable à la figure de Mère Teresa à la fin du xxe siècle.  » Toutefois, en 1935, Léopold III manifeste son souhait de faire rapatrier la dépouille du missionnaire, arguant que les Hawaiiens négligeaient sa tombe, alors que l’Europe ne l’avait pas oublié, signale Hilde Eynikel. Le roi des Belges espérait que cette consécration nationale d’un héros belge permettrait de raffermir les liens entre Flamands et francophones, déjà quelque peu distendus. « 

Faire souffler un vent d’union sur le pays

Herman Van Rompuy, que les tensions communautaires hérissent, compte-t-il, lui aussi, sur saint Damien pour faire souffler, ces jours-ci, un vent d’union sur le pays ? Il a en tout cas contacté Hilde Eynikel pour lui demander si elle pouvait retrouver, dans sa base de données, des textes où Damien évoquerait la Belgique, son pays d’origine. Recherche pas très fructueuse.  » Le seul commentaire que j’ai trouvé, révèle l’historienne, est une lettre dans laquelle Damien se dit heureux que la Belgique ait échappé aux horreurs de la guerre franco-prussienne de 1870. Rien de plus. « 

(1) Le Père Damien, un saint parmi les lépreux, éd. Racine/Fidélité.

(2) Auteur de Damien hier et aujourd’hui, éd. Fidélité.

Olivier Rogeau

La mobilisation fédérale suscite la controverse

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