Le Grand Curtius est enfin né à Liège. Il est aujourd’hui le plus grand complexe muséal de la Com-munauté française réunissant cinq musées en un. Au menu, plus de 5 000 pièces.
D’un côté, il y avait un quartier de maisons en torchis et la collégiale Saint-Barthélemy. Au-delà, les coteaux et très haut, la citadelle. De l’autre côté, la Meuse. C’est entre les deux qu’au xviie siècle un marchand d’armes dénommé Curtius fait construire son domaine : une vaste résidence, une galerie, des écuries, des logements pour ses gens et un magasin surnommé aujourd’hui le » Palais « . Le lieu est fastueux. L’architecture couverte d’une couleur faite à base de chaux et de sang de b£uf ainsi que de dizaines de mascarons polychromes s’impose depuis dans le paysage liégeois. Aujourd’hui restauré, l’ensemble devient le centre d’un complexe de 10 000 mètres carrés qui absorbe, autour de jardins intérieurs, patios et passages vitrés, deux hôtels de maître, l’hôtel de Hayme de Bomal voisin (xviiie) qui reçut en son temps Napoléon, alors premier consul, ainsi que celui de Brohy et de Wilde (xviie). Il réunit surtout cinq collections dispersées par le passé et, pour tout dire, assez confidentielles où se rencontrent les chefs-d’£uvre (le portrait de Napoléon par Ingres) et les curiosités (la jambe de bois de Charlier, le plus révolutionnaire des Liégeois). Désormais, en un parcours continu, chronologique ou thématique et sur trois niveaux, on passe ici de la préhistoire à l’art 1900 de Serrurier-Bovy, de la peinture ancienne aux verres d’ici et d’ailleurs, d’une histoire de la fabrication d’armes (du boulet aux rockets) à celle du meuble et de la décoration. Soit plus de 5 000 numéros. L’affaire ne se fit pas sans mal.
Entre les projets audacieux, les débats houleux, les renoncements annoncés et les nouvelles idées, la question du méga-musée puis la réalisation du Grand Curtius (46 millions d’euros) auront permis d’alimenter une réflexion qui déborde largement le problème de la conservation. Certes, les collections qui soulignent d’abord la qualité du savoir-faire local entre le Moyen Age et nos jours, via ses artisans de l’or, du livre, de l’ivoire, du bois et du verre, servent l’orgueil local. Mais cela ne suffit pas à assurer la popularité d’un musée. Tout se joue déjà dès l’accueil. Du coup, il n’y a pas moins de trois accès. Les deux principaux forment même un passage entre la rue Féronstrée, véritable axe muséal qui part de la place Saint-Lambert jusqu’à la collégiale Saint-Barthélemy et les quais de la Batte. Pour les visiteurs du dimanche et les amoureux de la brocante, une troisième entrée, côté Meuse, s’ouvre sur les anciens magasins du palais et permet à chacun, gratuitement, de se promener dans l’une ou l’autre salle ou encore de s’asseoir au bistrot du musée.
Mais l’essentiel est ailleurs. Une fois attiré vers les salles du musée, le visiteur doit encore y être accueilli. Mêlant habilement le contemporain à l’ancien, les lourdes charpentes des plafonds et quelques larges ouvertures, l’architecte Paul Hautecler a aussi choisi d’unifier la variété (décourageante) des volumes par une gamme de coloris gris qui rappellent les teintes naturelles des vieux planchers et des sols en pierre.
S’il fallait comparer les collections à celles d’un autre musée belge, on songerait au patrimoine diversifié que possèdent les Musées royaux d’art et d’histoire de Bruxelles. A un détail près : à Liège, l’essentiel tourne soit autour du patrimoine local, soit autour de personnalités liégeoises, qui, surtout entre les années 1850 et 1920, ont participé au développement des connaissances : » Il faut savoir, ajoute le jeune directeur général, Constantin Chariot, que si nous présentons 5 594 objets allant de la taille d’une pièce de monnaie romaine à celle d’un chapiteau de deux tonnes et demie, cela ne constitue qu’un dixième de nos réserves. J’ai ainsi découvert des peintures signées par de très grands noms comme Philippe de Champaigne ou encore Willem Claesz Heda, l’un des plus grands peintres hollandais de la nature morte. Et notre collection de primitifs flamands est remarquable. En plus, à l’annonce de l’ouverture du musée, de grandes collections universitaires ou privées ont déposé ou offert des pièces. Je songe à un dessin attribué à l’atelier de Jan Van Eyck absolument fabuleux, ou encore à une pièce d’orfèvrerie civile datée de 1510, acquise par la Fondation Roi Baudouin. «
Des surprises, et des projets plein la tête
On le voit, le Grand Curtius est aussi au point de départ d’une aventure scientifique de redécouverte des £uvres qui reliera Liège aux grands musées internationaux. Il reste aussi à prolonger l’effet de surprise des premiers mois : » D’où, précise Chariot, certains changements réguliers dans les collections permanentes. Mais aussi, d’autres initiatives. Ainsi, j’aimerais présenter chaque mois, de manière plus approfondie, un seul objet. Et puis, nous avons déjà une programmation jusqu’à 2015 pour les expositions temporaires qui occuperont les étages du » Palais « . La première, dès le 22 mars, réunit des £uvres de Paul Delvaux. L’occasion, à l’heure prochaine de l’inauguration de la gare TGV (cet été), de réunir des dessins, des aquarelles et des peintures autour du thème de la gare. Cet automne, lors d’Europalia Chine, nous associerions des textiles Miao à d’autres, très contemporains imaginés par nos créateurs. Plus tard, nous avons imaginé des expositions aux contenus variés puisqu’on réunira ici les £uvres dites d’art dégénéré vendues par Hitler en Suisse, mais aussi l’art mosan du xie siècleà «
Liège, Le Grand Curtius. Entrée principale : 136, rue Féronstrée. Tous les jours, saufle mardi, de 10 à 18 heures. Entrée gratuite les 7 et 8 mars. www.grandcurtiusliege.be
Guy Gilsoul