Crise Le montant de la facture

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Ralentissement de la croissance, pertes d’emplois. De jour en jour, l’ardoise s’alourdit. Quel sera le prix à payer ? Et pendant combien de temps ? Estimation de coûts et scénarios de reprise.

Les humbles le sont toujours. Les autres ont été contraints de classer leurs certitudes en pertes et profits. La crise économique, qui est venue s’agrafer à la crise mondiale du secteur bancaire, bouleverse les plus assurés des économistes.  » Dans la situation actuelle, il est impossible de prévoir quoi que ce soit, souffle l’un d’eux. Tout peut arriver.  »  » On peut d’autant moins prédire la durée de la crise que l’on n’a pas d’expérience historique de ce type « , abonde un autre. En outre, nous faisons face à des mouvements contradictoires : d’un côté, un évident ralentissement de l’économie, de l’autre, un brusque recul de l’inflation et des prix des produits pétroliers. « 

Seule certitude : l’année 2009 sera très pénible. Le ralentissement de la croissance économique – celle-ci devrait reculer, selon les différentes prévisions, d’au moins 0,2 %par rapport à l’an dernier – aura forcément pour effet de paralyser les entreprises, donc de crucifier l’emploi et de faire fondre la consommation privée. Un signe ne trompe pas : le taux d’épargne des particuliers, en recul constant depuis des mois (voir infographie p.85), s’est remis à grimper. La population est inquiète. Au lieu de consommer, elle fait des provisions, comme les écureuils pour l’hiver.

De lourdes restructurations ont déjà été annoncées, comme chez Arcelor, Nyrstar et Agfa-Gevaert. Le groupe Rossel se réorganise et la Sabam licencie 57 collaborateurs. Les chiffres tombent à la pelle, y compris dans les plus petites entreprises. Le nombre d’entreprises qui ne paient plus leurs factures dans les délais prévus a augmenté de 10,4 % rien qu’au quatrième trimestre 2008, selon le décompte du bureau Graydon.

En première ligne sur ce front de la crise : l’emploi. Déjà égratigné – les chiffres du chômage sont en hausse en décembre 2008, après avoir longtemps décru -, il devrait prendre quelques solides claques supplémentaires cette année. Le chômage temporaire, qui permet aux salariés concernés de bénéficier de 70 à 75 % de leur salaire en attendant de reprendre leur emploi, a déjà explosé (voir infographie p.85). Notamment dans le secteur automobile. Mais cette solution ne dure qu’un temps.  » Le recours au chômage économique permet à une entreprise de gagner du temps, d’attendre que son carnet de commandes augmente. Mais, après deux à trois mois, c’est-à-dire en février ou en mars, les sociétés vont commencer à restructurer « , avertissait Rudy Thomaes, administrateur délégué de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), dans les colonnes de L’Echo. Les chiffres font froid dans le dos : alors que l’année dernière 58 000 nouveaux emplois nets avaient été créés, le pays devrait en perdre entre 18 000 et 35 000, au moins, en 2009. Selon certains experts, la crise sonnera le glas de 100 000 postes !

Les faillites ont déjà enregistré un sommet en 2008. Ça ne devrait pas s’arranger cette année, certaines PME étant, en plus de la crise économique, confrontées à des problèmes de liquidités que les banques refuseront de résoudre. Seule et maigre consolation : en Belgique, l’indexation automatique des salaires limitera les effets de la crise.

Sombre tableau. Quel sera l’avenir, à moyen terme ? La crise actuelle pourrait déboucher sur cinq scénarios classés ci-dessous par ordre croissant de probabilité.

Le scénario en L. C’est le pire. A partir de 1992, le Japon a connu une crise de ce type, caractérisée par unechute vertigineuse de la croissance, suivie pendant une bonne dizaine d’années d’une croissance quasi nulle.  » Le syndrome japonais est dans tous les esprits, assure Mathias Dewatripont, professeur à l’ULB. Les gouvernements veulent donc agir vite pour écarter une telle catastrophe.  » Il ne faut pas croire que, face à sa crise, le Japon n’avait rien tenté : le taux d’intérêt y avait été ramené à zéro et diverses mesures de relance avaient été prises. Mais le système bancaire n’avait pas été nettoyé assez tôt.  » Pour éviter un scénario à la japonaise, il faut donc reprendre le secteur bancaire en main « , insiste Lionel Artige, professeur de macroéconomie à l’ULg. Il faut aussi que les banques recommencent à prêter, quitte à ce que l’Etat les y aide.

 » La reprise ne sera effective que quand le secteur financier sera entièrement soigné, confirme Geert Noels, économiste en chef chez Petercam. On observe de légers progrès dans ce secteur mais ce nettoyage s’opère lentement. De temps en temps, on tombe encore sur des cadavres, comme l’affaire Madoff. Il est impossible de dire combien de temps cet assainissement va prendre. « 

Le scénario en U : il laisserait la Belgique et les pays voisins dans une zone de récession pendant quatre à cinq ans. Les économistes n’y croient pas. Lors des précédents ralentissements observés dans les pays industrialisés, le salut est chaque fois venu soit de la spéculation, par exemple dans l’immobilier à la fin des années 1980 ou dans les nouvelles technologies juste avant l’an 2000, soit de l’émergence de nouveaux produits, comme les téléphones portables. Cette fois, c’est du secteur de l’environnement et de celui de la santé qu’une éclaircie devrait venir. Raison de plus pour que les gouvernements en place mettent le paquet sur la recherche et le développement.

Le scénario en V, c’est-à-dire celui d’ une reprise rapide. Si les experts s’accordent pour dire que la récession (recul du taux de croissance économique pendant deux trimestres consécutifs) ne s’éternisera guère, aucun d’entre eux ne parie, en revanche, sur un rétablissement en flèche de l’économie. Aucun levier ne semble suffisamment fort pour assurer cette reprise. Les particuliers pourraient recommencer à consommer, mais ils joueront sans doute la prudence pendant un certain temps. Les exportations, elles, resteront pénalisées tant que l’euro gardera sa vigueur. Et les investissements sont lents à se mettre en place. Bien sûr, la guérison pourrait venir des pays voisins, qui tireraient l’économie belge du marasme. Mais, pour l’instant, le sort s’acharne sur tous, indifféremment.

Le scénario en W : il annonce une reprise en dents de scie, ponctuée d’à-coups.  » Je pense que notre économie va évoluer en accordéon, c’est-à-dire en passant par des moments de progrès puis des moments d’arrêt. On avancera quand même, mais lentement « , estime Geert Noels.

Le scénario mixte V/U :  » On devrait assister à un recul continu de la croissance au premier trimestre 2009, voire au deuxième, avant d’entrevoir une certaine stabilisation « , estime Jacques De Poover, économiste chez Dexia. Ensuite, la croissance devrait redémarrer doucement, probablement en 2010. C’est que, dans l’économie mondiale, il n’y a plus, désormais, de locomotive.  »

 » A la fin de 2009, la croissance sera toujours inférieure au potentiel mais elle sera nulle ou légèrement positive, précise Philippe Ledent, économiste chez ING. Elle devrait redevenir acceptable en 2011 ou 2012. « 

Pourquoi les experts sont-ils si sûrs que la récession ne durera pas ? Parce que la forte hausse des prix des matières premières, à laquelle on avait assisté à la fin de 2007 et en 2008, s’est complètement dissipée. Ensuite, parce que l’inflation qui avait poussé des pointes jusqu’à plus de 5 % en 2008, retombera à 1,2 % cette année. Le portefeuille des consommateurs, dont le contenu a été indexé à plusieurs reprises en 2008, ne s’en portera que mieux. L’indexation automatique des salaires, si souvent brocardée, se pare, d’un coup, d’un certain nombre de vertusà

Laurence van Ruymbeke

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