Le 17 novembre dernier, lors du match de Coupe de Belgique entre Mouscron et Overpelt, le Diable rouge Mbo Mpenza a été grièvement blessé à la suite d’un contact avec le joueur limbourgeois Nick Peeters. Son état a nécessité une intervention chirurgicale, qui écartera le footballeur de la compétition jusqu’en février prochain. En raison du préjudice subi, qu’ils estiment énorme, les avocats du joueur et du club frontalier envisagent de porter plainte et d’exiger des dommages et intérêts.
Ainsi, de plus en plus de conflits du sport sont portés devant les juridictions civiles. Il y a une douzaine d’années, de tels recours étaient encore interdits par la majorité des fédérations sportives, qui privilégiaient toujours des codes archaïques au détriment des droits élémentaires de leurs affiliés. En fait, les nouvelles réglementations, que l’Union belge de football fut la première à appliquer, ont été progressivement adaptées aux réalités actuelles du sport professionnel et à deux de ses composantes génératrices de conflits: l’argent et la violence.
La motivation des parties demanderesses se base d’ailleurs partiellement sur ces deux aspects. Le club de Mouscron doit continuer à payer durant un premier mois un joueur dont il n’a pas l’utilité, ainsi que les primes d’assurance qui lui assureront un salaire durant les mois d’invalidité ultérieurs. Quant au footballeur, il subira malgré tout un manque à gagner et, peut-être, une diminution de son rendement futur. Avant de décider l’introduction d’une plainte, Edward Van Daele, l’avocat du club mouscronnois, et ses conseillers examineront toutefois très attentivement les images télévisées des faits. « Il faut qu’il y ait véritablement faute volontaire et méchante, estime l’homme de loi, sinon le recours s’avérerait inutile. »
En fait, deux notions très subjectives s’opposent, presque à chaque fois, dans ce genre d’affaires, celle du « risque accepté » et de la « faute volontaire ». En entrant sur un terrain de football, le pratiquant sait qu’il s’expose à certains dangers. En revanche, d’une manière générale, on accepte que la responsabilité d’un joueur soit engagée lorsque son geste dévie sensiblement du « modèle de jeu généralement toléré », c’est-à-dire lorsque celui-ci enfreint gravement les règles de l’esprit du jeu. Et qu’il a pour intention de porter atteinte à l’intégrité physique de l’adversaire. Mais le plus important est évidemment de démontrer que le niveau du risque a été dépassé, sans quoi il n’y a ni faute ni responsabilité.
La faute volontaire est évidente lorsque le pratiquant commet un geste qui est étranger à son sport. Par exemple, asséner un coup de poing à un adversaire, comme celui, devenu célèbre, donné, en décembre 1996, par l’Anderlechtois Gilles De Bilde à l’Alostois Chris Porte. Le coupable a écopé de neuf mois de prison avec sursis de trois ans, de 20 000 euros d’amende et de septante-cinq heures de travaux d’intérêt général. Or, dans le cas de Peeters, il s’agit, selon la partie défenderesse, d’un tackle, un geste couramment exécuté sur les terrains de football, et qui consiste à tenter de s’accaparer le ballon par une action en glissade, pied en avant.
Le cas Mpenza ne manque, dès lors, pas d’analogie avec l’affaire qui a opposé, en 1987, les footballeurs Yvan De Sloover (Waregem), l’agresseur, et Juan Lozano (Anderlecht), la victime. Malgré le jugement sévère du pouvoir sportif à l’égard de De Sloover (exclusion immédiate, comme Peeters à Overpelt, et 6 matchs de suspension), malgré la gravité de la blessure de l’Anderlechtois, dont la carrière s’est arrêtée là, le joueur de Waregem a finalement été acquitté. Selon la Cour d’appel d’Anvers, il n’a pas été prouvé que le geste de ce dernier, également un tackle, dépassait franchement les normes autorisées.
Sauf geste prohibé évident, comme dans le chef de De Bilde, le jugement repose donc très souvent sur une notion subjective. Pis: le premier jugement de l’arbitre, forcément évoqué devant le tribunal civil, peut prendre de la sorte une importance démesurée, si la Cour le prend à la lettre. Or le directeur du jeu ne dispose guère de temps de réflexion et, surtout, il sanctionne selon les règlements sportifs. Les rapports d’arbitre parlent volontiers de « faute brutale et volontaire » ou d' »agression caractérisée »… Les juges doivent donc bien faire la différence entre la notion de faute grave et volontaire telle que la conçoivent les règlements sportifs et celle de faute lourde selon le code civil. Sans quoi, de nombreux sportifs se seraient déjà carrément retrouvés en prison!
Emile Carlier