Couper coller

La Belge Katrien de Blauwer expose à Paris ses collages radicaux, sensuels et déroutants. Un univers cinématographique d’images sans visages qui emprunte autant à Hitchcock qu’à Anaïs Nin.

La courbe d’un mollet de femme juché sur talons hauts, l’oblique d’une silhouette traversant le cadre de dos, cheveux dans le vent, une bouche de face, un nez de profil, un cri (crime ?) dans la nuit. Ici un geste, là une attente, un mouvement que l’on pense reconnaître pour l’avoir vu ailleurs, dans la vie ou au cinéma – plutôt au cinéma ! Katrien de Blauwer nous livre mille variations intimes et pourtant universelles dans ses collages sans visages, exposés en ce moment (et pour la première fois) à la galerie Les filles du calvaire, à Paris. Née à Renaix, elle a étudié la mode à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers : c’est dans ce cadre qu’elle réalise ses premiers collages (des études et des moodbooks pour ses collections). Elle poursuit en se mettant à collecter d’anciens magazines des années 1920 à 1960 qu’elle découpe, recycle et recompose en une forme d’investigation thérapeutique, d’introspection créatrice. Ses premiers travaux, vers 1996-1998, se composent de très petits fragments qu’elle passe des heures à produire. Depuis lors, elle maîtrise l’art du  » cut  » (qui définit mieux sa pratique que le terme français de collage) avec brio.

Se considérant comme une  » photographe sans objectif « , Katrien de Blauwer ne découpe pas au sens premier du terme, puisqu’elle ne suit pas la forme des corps ou des visages :  » Elle préempte des bandes visuelles pour former une composition, dont l’ordonnance relève des principes de l’abstraction. Il n’y a pas surenchère mais retrait. Son oeil singularise quelques éléments visuels et les valorise formellement par adjonction de plages chromatiques silencieuses qui suggèrent un hors-champ « , écrit la directrice de la galerie Les filles du calvaire, Christine Ollier, à son sujet.

Un travail à l’intuition

Au premier abord, on fait un lien avec l’histoire du collage, intimement liée à celle de l’art moderne : cubisme, dadaïsme, surréalisme, papiers collés, photomontages et collages hétérogènes en tous genres. Pourtant, Katrien de Blauwer ne se revendique pas de cette tradition et ne ressent pas réellement de connivence avec ces artistes : ses sources d’inspiration seraient plutôt à chercher du côté de Louise Bourgeois ou d’Anaïs Nin, dont les enfances perturbées font écho à la sienne.  » Je ne me préoccupe pas tellement de ce que font les autres artistes « ,explique- t-elle.  » Mes images naissent de façon spontanée, inattendue, elles viennent de mes émotions et de mon inconscient. Je travaille surtout au feeling.  »

Convoquant tout un univers cinématographique, Katrien de Blauwer se joue des termes et des codes du 7e art dans les titres de ses séries, qu’elle mélange entre elles aux cimaises de la galerie. Dark Scenes, Rendez-vous, Single Cuts, Jump Cuts : une soixantaine d’oeuvres y sont présentées, alternant les formats (souvent de la taille d’une carte postale).  » J’ai mélangé des oeuvres de 2014 à 2016 pour éviter qu’on se lasse et pour raconter une histoire « , précise-t-elle. On pense évidemment à Godard, Antonioni, Resnais ou Hitchcock, mais aussi aux typologies photographiques fictives de l’artiste conceptuel Dan Graham. Un régal !

Katrien de Blauwer. Single Cuts, à la galerie Les filles du calvaire, à Paris. Jusqu’au 18 juin, www.fillesducalvaire.com

PAR ALIÉNOR DEBROCQ

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