Côtés obscurs d’un olivier modérément désiré

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Ecolo et CDH se sont décidés à jouer la carte du PS, à Bruxelles et en Wallonie. Sans fol enthousiasme, plutôt avec résignation. La partie, toujours en cours, s’annonce d’ailleurs serrée. Avec pour règle d’or : ne pas se laisser berner par les autres.

On a déjà vu plus d’entrain, à l’heure de déclarer sa flamme à un partenaire. C’est tout sauf un coup de foudre qui pousse Ecolo et le CDH à faire du pied au PS, afin de sceller un ménage à trois en Wallonie et à Bruxelles. Juste un choix de raison.  » A convertir en choix de c£ur « , espère le coprésident d’Ecolo Jean-Michel Javaux.

Le PS, comme à regret. Ce n’est pas l’envie qui manquait de bouter les socialistes hors du pouvoir. Chez Ecolo et au CDH, certains ont dû se faire violence pour retenir in fine le PS comme partenaire éventuel. Presque en se pinçant le nez. Un élu socialiste encaisse, lucide :  » Nous mesurons bien que leur décision est un peu prise par défaut.  »

Sans le PS, une trop grosse prise de risque. Le PS a perdu de solides plumes, mais il reste le premier parti de Wallonie et de la Communauté française. On y regarde à deux fois avant de snober pareille puissance de feu. Et de la réduire, pour cinq longues années, en une force d’opposition de gauche parée de si beaux restes. L’acte serait politiquement à haut risque pour Ecolo, associé avec le CDH aux libéraux dans une coalition qui serait forcément dépeinte comme une alliance de  » droite « . Ce mandataire PS confirme :  » Il est plus prudent de nous prendre dans la majorité que de nous reléguer dans l’opposition.  »

Avec la machine socialiste, pour affronter le temps des barricades. La grande famille socialiste, c’est aussi une force de frappe syndicale, la FGTB. A ne surtout pas négliger, à l’heure où la crise économique annonce des lendemains chahutés sur le plan social. Au pouvoir avec les libéraux, Ecolo et CDH n’auraient eu aucun cadeau à attendre d’une organisation syndicale qui avait appelé à voter PS.  » Le parti socialiste offre une base plus large pour faire face à la crise et affronter les grosses difficultés budgétaires « , relève un mandataire Ecolo. Le concours syndical se révélera précieux pour faire avaler la pilule sociale de mesures douloureuses et impopulaires. Gouverner, c’est aussi miser sur la collaboration franche et loyale d’une administration wallonne marquée au fer rouge par vingt ans de pouvoir socialiste…

Le c£ur à gauche des militants verts. Leurs mines soulagées, sitôt acté le verdict du Conseil de fédération, prouvent que le tournant à gauche reste le premier choix de la base écolo. Et que le PS fait figure de passage obligé pour tenir ce cap. N’en déplaise à certains dirigeants ou cadres sup’ d’Ecolo, wallons surtout, lassés et ulcérés de subir le poids du  » système socialiste « . Ecolo en cheville avec le MR, c’était le pari de l’audace, toujours bon à prendre en termes d’image. Mais c’était s’exposer à un malaise permanent en interne.

Le CDH logé à la même enseigne. Le CDH se retrouve dans une configuration identique à celle des verts. Une aile bruxelloise acquise à l’olivier. Et de fortes réticences dans les rangs wallons, à la perspective d’un nouveau bail avec le PS. Une nuance a joué en faveur de la cause socialiste : l’entente très cordiale entre les chefs de file du CDH et du PS, Joëlle Milquet et Elio Di Rupo. Qui n’a pas son équivalent avec Jean-Michel Javaux, plutôt en phase avec le président du MR Didier Reynders.

Le verrou bruxellois. C’est en Région bruxelloise que les oliviers ont commencé à prendre résolument racine. En affichant d’emblée leur souhait d’y reconduire leur alliance, Ecolo, le CDH et le PS annonçaient aussi clairement la couleur en Wallonie. A moins d’abandonner l’idée d’installer des coalitions identiques dans les deux Régions. Perspective évacuée par le CDH et Ecolo. Elle aurait singulièrement compliqué la donne pour la formation du gouvernement de la Communauté française.

Le PS nouveau va-t-il enfin arriver ? C’est plus qu’un défi lancé par Ecolo et le CDH à la face des socialistes. C’est une sommation : le PS ne sera le bienvenu à leurs côtés que s’il réussit sa métamorphose en un parti franchement  » clean « . Une révolution copernicienne, avec Elio Di Rupo pour guide suprême. Poussé dans le dos par l’aiguillon Ecolo, pour qu’il fasse enfin le ménage. Philippe Moureaux préconise l’usage du scalpel. Ecolo et CDH y veilleront. Ils osent le pari du PS des Demotte et Marcourt contre celui de Daerden. Encore que… Le refus de Javaux de lancer une exclusive contre  » papa  » est un indice que les verts savent jusqu’où ne pas aller trop loin, dans le registre des signaux forts attendus du PS.

Ecolo joue très gros. Décumul des mandats, guerre aux conflits d’intérêts. La révolution éthique voulue par Ecolo risque de faire mal.  » Et pas seulement chez nous « , ricane un député PS en lorgnant du côté du CDH.  » Fini pour eux de partager la couche du PS en exclusivité au gouvernement wallon. Il va falloir faire de la place à Ecolo.  » Et se débarrasser aussi de certaines habitudes contractées au fil d’années de pouvoir.  » Ce ne sera pas plus facile avec le CDH qu’avec le PS « , prédit un député Ecolo. Gare à la prise en tenaille. C’est la hantise des verts : se faire rouler dans la farine par leurs futurs partenaires, une fois les coalitions en rythme de croisière. Le risque les pousse à garder jusqu’au bout des négociations un autre fer au feu.

Le MR, joker des verts. Didier Reynders et les siens restent à l’affût d’une énième incartade d’un camarade, pour tenter de revenir dans le parcours.  » Ils ne vont pas se priver de tout mettre en £uvre pour saper les négociations en cours. A leur place, on ferait de même « , poursuit cet élu PS. Après le contrat de consultance du député-bourgmestre Guy Coëme et les dépenses controversées au sommet de l’aéroport de Charleroi, la liste vient encore de s’étoffer ave les perquisitions menées par la justice liégeoise chez José Happart ( lire en p. 16). De quoi inciter Ecolo et CDH à placer la barre très haut vis-à-vis du PS. Jusqu’à la rendre infranchissable pour Di Rupo et les siens ?  » J’imagine bien Javaux revenir vers nous, la mine faussement désolée, nous annoncer que, suite au refus du PS, il ne reste plus qu’à discuter avec le MR « , confie un mandataire Ecolo qui espère se tromper. Pervers, ces verts ?

PIERRE HAVAUX

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