Côté pile

Quatre ans après sa création, le réseau social le plus populaire sur Internet ne manque pas d’amis. Il doit juste apprendre à gagner de l’argent. Un défi de taille pour un site présenté un peu vite comme le nouveau Google.

Il faut le voir débouler vêtu d’un petit tee-shirt kaki malgré un rhume carabiné, dommage collatéral d’un tour d’Europe effectué au pas de course. De passage (éclair) sur le Vieux Continent, Mark Zuckerberg reçoit Le Vif/L’Express, le temps d’annoncer, entre deux reniflements, l’ouverture imminente d’un bureau parisien. Consacré début 2008 par le magazine Forbes comme le plus jeune milliardaire de tous les temps – il n’a que 24 ans – le patron de Facebook est typiquement un héros 2.0. Traduisez : à la tête d’une entreprise Internet née après l’effondrement de la bulle technologique en 2000. Saura-t-il traverser le tsunami financier qui ébranle le monde ?

Pas sûr. Ces dernières semaines, plusieurs responsables du site ont décidé d’aller voir ailleurs. A commencer par le cofondateur, Dustin Moskovitz, vite rejoint par Justin Rosenstein, un ingénieur clef du site, tous deux partis monter un nouveau projet. Certes, Facebook peut compter sur les renforts de Sheryl Sandberg, ex-Google et nouvelle directrice opérationnelle du site. Mais, révèle BusinessWeek, beaucoup de salariés actionnaires se séparent en ce moment de parts offertes à leur arrivée dans l’entreprise. Pire, en Californie, au siège de la société, l’introduction en Bourse, dont il était question depuis plusieurs mois, n’est plus à l’ordre du jour. Que se passe-t-il ?

Depuis sa création, en 2004, le site n’avait fait que collectionner les bons points. Au départ simple version en ligne du trombinoscope réservé aux étudiants de Harvard, il s’enrichit bien vite d’une foule de petites applications. A l’instar de CountMeIn, un programme qui permet, dès que l’on envisage d’aller voir une expo, d’être spontanément alerté par des amis qui ont eu la même idée. Mi-sérieux, mi-distancié – il existe un groupe  » contre les cons qui prennent l’Escalator à gauche et empêchent les autres de passer  » – le site exerce un pouvoir d’attraction qui ne s’est jamais démenti. Quand elles apprennent qu’elles sont admises, les nouvelles recrues de l’Amherst College créent un groupe pour faire connaissance en ligne, un mois avant de se rencontrer  » en vrai  » sur les bancs de la fac américaine. L’an dernier, le site est passé devant My Space, l’ancêtre des réseaux sociaux. Personne ne s’en étonne. Le bébé de Zuckerberg n’est-il pas  » the place to be  » ? Pour recruter ses agents, c’est sur Facebook que le MI 5, le service de renseignement britannique, poste ses premières annonces ; Pizza Hut, lui, y a developpé un service de réservation dédié pour ne pas se couper de sa clientèle. Alléché, Microsoft pose sur la table, en 2007, 240 millions de dollars en échange de 1,6 % de la start-up.

On comprend l’appétit du groupe de Seattle : le site est alors encore considéré comme le nouveau Google, à même de transformer les clics de ses plus de 100 millions de membres en espèces sonnantes et trébuchantes. En confiance parce qu’ils pensent ne s’adresser qu’à leurs amis, les internautes ne seront-ils pas davantage réceptifs aux messages publicitaires de tout poil ? C’était compter sans leur capacité à s’indigner : une pétition de plus de 50 000 signatures a obligé la direction, fin novembre 2007, à abandonner Beacon, un système jugé trop intrusif par les membres. Ceux-ci n’acceptaient pas que leurs achats, réalisés chez des sites partenaires (eBay, le service de réservation de cinéma Fandango, le magasin de surplus Overstock…), soient divulgués sur le site, et que cette information soit utilisée sans leur consentement par des annonceurs.  » Nos clients sont attachés à la protection de la vie privée « , reconnaît aujourd’hui Zuckerberg, qui a renoncé au projet.

Un recul intelligent pour le site mais aussi l’assèchement d’une recette essentielle… au mauvais moment. Car Facebook, dont les services sont gratuits depuis la première minute, doit faire face, dans le même temps, à une explosion de ses charges, de stockage notamment : plus de 10 milliards de photos de membres sont à présent hébergées gratuitement sur le site ! Et il s’en poste plusieurs milliers de plus chaque jour. Rançon du succès ? La crise d’adolescence du site ressemble de plus en plus à une crise de croissance.

 » Facebook pourrait à terme devenir un Boo.com « , prévient un analyste, en référence à une faillite emblématique des années 2000. Et pour cause :  » Toujours plus de clients plébiscitent un service qui ne sait pas gagner suffi-samment d’argent.  »  » Les réseaux sociaux comme Facebook doivent maintenant se focaliser sur la recherche de profit « , précise le cabinet spécialisé Greenwich Consulting.

Voilà donc le paradoxe Facebook : gagner des utilisateurs à ne plus savoir qu’en faire, mais avoir du mal à leur faire cracher un centime. Pour s’en sortir, Mark Zuckerberg pourrait, sur le modèle du site gratuit Craigslist.org, réussir à facturer les entreprises qui se servent de plus en plus du site pour leurs petites annonces – à l’instar de la firme d’ingénieurs Teamlog, qui y réalise l’essentiel de sa dernière campagne de recrutement. Ou alors développer les partenariats avec les acteurs de téléphonie mobile, comme c’est déjà le cas avec BlackBerry. Ceux-là savent faire payer les clients. Hutchison Whampoa n’a-t-il pas lancé un modèle spécialement dédié à l’utilisation de Facebook ? Ce qui est sûr, c’est que la seule multiplication des applications ne suffira pas. La dernière à la mode, Dogbook, consiste à créer un Facebook pour chiens. Pas sûr qu’il s’agisse de la clientèle la plus solvable.

Thomas Bronnec et Guillaume Grallet

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