Consommation Dis-moi ce que tu manges…

Autrefois atout commercial, l’origine exotique des aliments devient, petit à petit, un contre-argument de vente. Pour aider la planète, mangeons local et de saison !

Dis-moi ce que tu manges et je te dirai combien tu te soucies de la planète. Cette maxime devrait figurer sur chaque enseigne de la grande distribution. A force d’être pointés du doigt pour les excès de nos déplacements automobiles, nous en oublierions presque cette évidence : tout ce qui transite par notre tube digestif a également une énorme incidence sur les émissions de gaz à effet de serre, responsables des dérèglements climatiques. La fabrication d’un steak de b£uf de 100 grammes, par exemple, produit autant de CO2 qu’un trajet en voiture de 50 kilomètres ! Multiplié par le nombre d’amateurs de viande rouge à la surface de la terre, ce constat vaut son pesant de dioxyde de carbone.

Peu impressionné ? Alors, jugez les chiffres brandis par le Collectif avion rouge, un groupe de passionnés pour lesquels le tour du monde des victuailles de nos frigidaires n’a pas de secret. L’acheminement en Belgique d’un simple kilo de fraises israéliennes exige 2 litres de pétrole et libère 5,2 kilos de CO2 dans l’atmosphère. Un kilo de carottes sud-africaines (8 900 kilomètres) relâche plus de 7 kilos de CO2. Deux bottes d’asperges sud-américaines (10 500 kilomètres) rejettent 8,4 kilos. Les exemples se comptent par centaines.

La mondialisation des échanges et le succès phénoménal du transport aérien ont permis de tels flux commerciaux.  » En moins de cinquante ans, le transport de marchandises par avion a été multiplié par septante-cinq « , constate Pierre Ozer, chercheur au Département des sciences et de gestion de l’environnement à l’ULg. De fait, l’avion (dont le kérosène n’est pas taxé) permet toutes les facilités et… tous les caprices. Y compris ceux de pouvoir consommer toute l’année des fruits et légumes qui, en Belgique, ne sortiraient de terre – au mieux – que quelques semaines par an. Notez que le bateau, qui émet en moyenne soixante fois moins de CO2 que l’avion, n’est pas exempt de tout reproche. Une bouteille de cabernet-sauvignon californien (14 000 kilomètres) rejette un demi-kilo de CO2, soit bien plus qu’un vin issu des coteaux ensoleillés de l’Hexagone voisin.

Qui connaît les légumes de saison ?

Avons-nous vraiment besoin de fraises et de framboises américaines dans les plats de Noël ou de lièvre argentin dans nos assiettes automnales ? Pour le plaisir de la bouche, peut-être. Mais pour le climat, c’est un désastre. Face à de tels constats, la riposte semble tomber sous le sens : mangeons local ! Ce n’est pourtant pas toujours aussi simple. Selon le Collectif avion rouge, il vaut mieux, du strict point de vue des émissions de CO2, consommer des langoustines élevées dans le Sud-Est asiatique plutôt que leurs congénères pêchées en Ecosse, pourtant plus proches. Ces dernières filent en effet vers la Thaïlande pour être décortiquées, avant de revenir en Europe. Un peu comme les crevettes pêchées aux Pays-Bas, décortiquées au Maroc et vendues moins de quarante-huit heures plus tard à Ostende. Autre exemple : nos tomates indigènes, cultivées sous serre pendant la saison hivernale, consommeraient finalement moins d’énergie que les mêmes fruits originaires d’une région lointaine ensoleillée, acheminés par avion.

Mais consommer local n’a aucun sens, si, en plus, on ne tient pas compte du rythme des saisons. A condition de les connaître, ces fruits et légumes de saison ! Hormis chez les adeptes du potager, le contact quotidien avec le travail de la terre s’est estompé. Où poussent carottes, concombres et navets ? Dans les étals du grand magasin, pardi ! Même manger bio n’est pas toujours anodin. Malgré des gammes toujours plus étoffées, certains aliments réputés sans pesticides, y compris ceux du commerce équitable, viennent parfois de très loin. Autre source de confusion : privilégier la nourriture produite près de chez soi ne revient-il pas à condamner les circuits commerciaux du Sud, précieux leviers de développement pour la survie de millions de petits agriculteurs ?  » C’est peut-être vrai, en partie, reconnaît Ozer. Mais que dire, alors, de ces haricots frais du Kenya, dont les exportations par avion vers l’Europe ont à peu près doublé, depuis 2003, et qui n’ont pourtant rapporté que 3 % de recettes supplémentaires au pays ?  » Partout dans le monde, encouragés par les programmes d' » aide  » internationaux, des millions de paysans se sont jetés corps et âme dans les cultures destinées à l’exportation, négligeant la subsistance de leurs propres communautés et fragilisant considérablement leur propre survie. Comment ménager la chèvre et le chou ?  » En mangeant local, de saison et bio, on est sûr de ne pas se tromper « , affirme Catherine Rousseau, du Centre de recherche et d’information des organisations de consommateurs (Crioc). C’est déjà ça…

Selon une enquête du Crioc et de Bruxelles-environnement (2007), 3 con-sommateurs sur 10 souhaitent obtenir plus d’informations sur les caractéristiques environnementales des aliments. Moins de 2 sur 10 estiment qu’un tel étiquetage pourrait avoir une influence sur leurs comportements d’achat. C’est peu ! Evelyne Huytebroeck (Ecolo), ministre bruxelloise de l’Environnement, ne veut toutefois pas attendre l’année 2011 (lire ci-dessous), avant de faire diminuer l’impact de l’alimentation sur l’environnement et, singulièrement, sur le climat. Prudente, c’est donc à petite échelle, dans les circuits de vente directe, qu’elle s’apprête à tester une action d’étiquetage écologique prenant en compte les émissions totales de C02 d’une trentaine de produits bio et fermiers : fruits, légumes, viande et lait.  » Souvent, un produit dont la culture émet de grandes quantités de gaz à effet de serre consomme également beaucoup d’eau et de pesticides, explique Eric Van Poelvoorde, conseiller chez Huytebroeck. Le critère du CO2 est donc pertinent.  » Pourquoi limiter l’expérience aux produits bio et fermiers ?  » Si ça marche avec des gens sensibilisés au départ, on pourrait progressivement intégrer ces étiquettes écologiques dans les cahiers des charges des commandes publiques de la Région : un signal fort.  » Puis, un jour – qui sait ? – dans la grande distribution. Après tout, le recours aux poubelles PMC et l’abandon des sacs en plastique aux caisses, vus comme des incongruités voici dix ans, ne se sont imposés que lentement dans les esprits. Pour le reste, il faudra, un temps encore, se débrouiller dans le fatras des logos et publicités.

Du 1er au 10 octobre aura lieu la Semaine du commerce équitable.

Info : www.befair.be

Philippe Lamotte

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