En fermant ses frontières pour protéger la sidérurgie américaine, George W. Bush déclenche des réactions en cascade partout dans le monde
Ainsi donc, le 20 mars prochain, le marché américain de l’acier sera purement et simplement cadenassé. Question : en annonçant une série de mesures destinées à protéger sa sidérurgie, le président des Etats-Unis savait-il qu’il déclenchait une guerre mondiale ?
Washington n’a vu que son intérêt immédiat : le commentaire est unanime parmi les économistes. L’objectif à – très – court terme était de donner de l’air à un secteur ravagé par la crise (31 faillites) et qui n’a pas su se restructurer. De muscler une industrie mise à mal par 32 millions de tonnes d’acier importées à des prix inférieurs de 15 %. Bravo ! Mais les industriels américains consommateurs d’acier plat importé, comme les constructeurs automobiles et leurs 12,8 millions de salariés, font la tête : c’est leur compétitivité qui est en jeu.
Ainsi, sans états d’âme, la Maison-Blanche a préféré l’option bunker : jusqu’à 30 % de droits de douane sur les aciers plats et l’instauration de quotas, le tout pendant trois ans. Un protectionnisme échevelé doublé d’un unilatéralisme arrogant qui laisse rêveur. Comme si les Etats-Unis ignoraient subitement l’existence de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), de ses règles et de ses 142 membres.
Du côté européen, la réaction n’a pas tardé : l’Union a lancé deux plaintes contre les Etats-Unis. La première s’appuie sur la violation d’une série d’accords de l’OMC. La seconde réclame des consultations dans le cadre de l’Accord dit de sauvegarde. Cette procédure devrait permettre à l’Union européenne de répliquer dès le milieu de l’année si elle n’obtenait aucune compensation de Washington.
Le tollé suscité par l’unilatéralisme américains est, en tout cas, général : tous les producteurs d’acier -Australie, Japon, Russie…- étudient des ripostes.
En attendant, l’Union européenne a décidé de réactiver le dossier des Foreign Sales Corporations, ce système fiscal qui permettait aux Etats-Unis de subventionner illégalement leurs exportations. Si l’OMC a condamné les pratiques américaines en août 2001, l’Europe n’a toujours pas engagé les procédures pour récupérer les 4 milliards de dollars que lui devraient les Etats-Unis à titre de dédommagement. Ce pourrait être bientôt chose faite. A moins d’un geste texan.
Deuxième riposte annoncée : l’Union européenne veut s’attaquer au dumping américain dans le transport aérien’aérien. Beaucoup de compagnies américaines pratiquent en effet des tarifs sabordés. Mais tout cela prendra du temps.
D’ici là, les Quinze s’apprêtent à se battre sur un autre front : celui de l’arrivée sur le marché européen des millions de tonnes d’acier que les Coréens, les Japonais, les Russes, les Turcs et les Ukrainiens ne pourront plus vendre outre-Atlantique. « L’Union n’a pas la vocation de porter la sidérurgie mondiale excédentaire sur ses épaules », prévient Bruxelles, qui taxera toute importation supplémentaire. Une réaction en chaîne capable de pourrir tout le commerce international. La Russie a ainsi annoncé – « sans aucun rapport », jure-t-elle – qu’elle interdisait le poulet américain.
» Et dire que Bush a déclenché tout ce bordel planétaire pour des motifs purement locaux « , commente un analyste financier. C’est que le « bon » vote des sidérurgistes, actifs ou retraités, pourrait entraîner le basculement du Congrès dans le camp républicain.
Après l’acier, quoi ? L’agriculture ? Les hautes technologies ? Ces deux secteurs dépendent fort de l’exportation. Or la force du dollar, la lenteur de la reprise en Europe et la déflation au Japon pénalisent l’export américain. De là à ce que George W.Bush cède à de nouvelles sirènes protectionnistes…
Georges Dupuy