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« Comment on a privé les femmes de sport »

Carte blanche

Les entraves à la pratique sportive féminine résultent de la volonté d’asseoir une certaine domination des hommes sur les femmes, explique Aurore Kesch, présidente de Vie féminine. Or, le sport favorise confiance en soi et représentation des possibles.

Boston, 19 avril 1967 : quand les marathons étaient encore interdits aux femmes et que l’une d’entre elles a décidé qu’il était temps que ça cesse. Kathrine portait le dossard 261 et s’était inscrite sous un nom d’emprunt. La suite, on aurait peine à l’imaginer si on n’avait pas eu accès à cette photo incroyable où l’organisateur de la course essaie de lui arracher son dossard et de le déchirer. On la voit tenter d’avancer, malgré cette agression caractérisée, entourée de ses compagnons de vie et de course, lui permettant ainsi de boucler son marathon en 4 h 20.

Plus de 50 ans après, s’il est sans doute devenu hautement improbable d’assister à de tels faits, ne nous leurrons pas : l’invisibilité n’est pas une preuve d’absence ! Le politiquement correct, malgré de grandes avancées manifestes, n’arrive pas tout à fait à masquer que les représentations qui rétrécissent les possibilités des femmes ont la peau dure. Si dure qu’elles en arrivent souvent elles-mêmes à les intégrer comme des vérités indépassables. Toutes ces  » vérités  » portent globalement deux mythes : celui de la virilité pour les hommes et de la fragilité pour les femmes. Deux mythes qui existent pour  » expliquer  » et légitimer, asseoir une volonté.

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Le culte du « vrai mâle »

Le sport, ou plutôt son accès relativement difficile pour les femmes, est le résultat de savantes distillations d’idées et de principes qui n’avaient qu’un seul but : valoriser la suprématie physique des hommes. Colette Dowling (1) dira que  » la révolution industrielle va avoir un effet réducteur sur l’identité masculine car une fois les travaux manufacturiers et agricoles exécutés par des machines, la force physique a perdu de son attrait. Pour sauver le sentiment de domination masculine qui commençait à vaciller, on a encouragé les femmes à limiter leur développement physique et à se transformer en créatures réprimées… « . Il y aurait donc peut-être un processus historique derrière l’apparente faiblesse de notre sexe ? Dowling a une réponse très claire à ce sujet :  » Le resserrement de l’état de la discrimination sexuelle à des moments précis dans l’histoire n’a rien de fortuit. Au début du xixe siècle, des changements dans le travail et la famille, l’urbanisation et la domination croissante des femmes dans les écoles ont conduit à une crise de la masculinité qui a déclenché les cultes du « vrai mâle » et de la « femme invalide »… « .

Et pour consolider ces cultes, quoi de plus efficace que le sport ? Bien sûr, nous sommes loin des interdictions des médecins aux jeunes filles de rouler à vélo ou de faire de l’effort physique pendant leurs règles… Par contre, se sont mis en place (ou étoffés) d’autres outils redoutables pour que les filles passent à côté du sport. Des outils qui pèsent aujourd’hui, encore… Ça peut commencer, dès le plus jeune âge, par un accès physique manquant à une activité dont socialement, on se dit que ce n’est pas  » pour les filles « . A combien de filles accorde-t-on le privilège de rejoindre les matchs de foot organisés dans la cour de récré ? Que doivent-elles braver pour y arriver ? Et quand on sait que la légitime occupation de l’espace peut être un facteur déterminant dans l’émancipation des femmes et leur confiance en elles et dans leurs propres capacités, on peut se dire que ça n’aide pas. Parce que pendant ce temps, les filles, elles jouent à quoi ? Que développent-elles comme image d’elles-mêmes et comme capacités dans les autres occupations ?

« Pas fait pour les filles ! »

Mais depuis leur naissance, les filles auront de toute façon déjà entendu moult considérations sur la différence radicale entre les hommes et les femmes au niveau de leur force physique. Considérations largement utilisées, et parfois même sans complexe par des hommes, qui n’ont pas 1 m 80 et 80 kilos, en face de filles qui les dépassent d’une tête. Cela éclaire, encore une fois, l’importance de l’acquisition sociale. C’est ce que Dowling montre aussi quand elle souligne que  » les garçons améliorent leurs performances dès l’âge de dix ans tandis que l’on observe une baisse de ces performances chez les filles au même âge. Et il n’y a aucune différence musculaire observée à cet âge entre les deux sexes.  » Une preuve de plus que c’est que l’apprentissage répété qui développe les capacités, plutôt que notre propre corps, de manière naturelle …

Très vite aussi, on fait comprendre aux filles, en tout cas, à celles qui ne l’avaient pas intégré d’emblée, qu’elles ne sont pas faites pour la  » violence  » de confrontations et autres corps-à-corps que certains sports impliquent… qu’il faut plutôt qu’elles choisissent des choses plus en conformité avec leur douceur  » naturelle « … Et puis, si elles arrivent quand même, plus grandes, à se sentir capables d’investir le sport comme leurs amis masculins, alors arrive à la rescousse l’assignation suprême à ce qu’on attend d’abord des femmes : qu’elles correspondent à des critères de beauté féminine permanente. Elles devront encore apprendre à rester belles en toutes circonstances ou à stopper leur sport. Combien arrêtent, vers 16, 17 ans, un sport car il les fait trop sortir du cadre inventé sur mesure pour elles (trop musclée, pas assez maquillée, trop masculine, pas très  » glamour « …) ? Et c’est sans compter sur le poids des insinuations à propos de l’orientation sexuelle des filles qui sont  » fortes « , comme s’il y avait tout de même quelque chose de masculin dans leurs performances.

Ce début de liste, non exhaustive, d’obstacles ou de freins que les filles peuvent rencontrer dans l’accès au sport quel qu’il soit, est d’autant plus dramatique que le sport est un vrai levier d’émancipation. Il permet à toute personne de développer sa confiance en soi, en ses propres capacités (et ce, même si elles évoluent lentement). Elles favorisent la représentation de possibles, l’investissement de l’espace physique et public où les femmes, d’ailleurs, n’ont pas encore toujours la même place que les hommes. Et ne vous y fiez pas : si j’insiste sur les choses à dépasser, c’est justement parce que je les trouve vraiment dépassables… puisqu’elles sont le fruit d’une construction. Je suis convaincue qu’on peut déployer les possibilités d’accès aux bienfaits du sport pour les femmes. Des solutions existent. J’y crois.

Par Aurore Kesch.

(1) Dans Le Mythe de la fragilité des femmes, par Colette Dowling, éditions le Jour, 2002, 362 p.

Si, ça existe pour les filles

Pas pour les filles ? (Robert Laffont, 260 p.) de Mélissa Plaza est un témoignage emblématique des galères rencontrées par une fille pour assouvir sa passion. Famille défavorisée et perturbée, réticences machistes, blessures, jalousies de coéquipières, l’auteure cumule les difficultés mais, au prix d’un courage exceptionnel, elle réussit le pari dont son père avait voulu dans un premier temps l’écarter. Le métier de footballeuse ?  » Désolé, ma puce, ça n’existe pas pour les filles « . Joueuse professionnelle, doctoresse en psychologie sociale et conférencière : si Mélissa Plaza a relevé le défi, la société, elle, semble piétiner.  » Les stéréotypes sont très tenaces, même auprès d’une génération qu’on espérerait plus égalitaire « , déplore l’auteure.

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