Xavier Degraux, consultant en réseaux sociaux. © Leslie Artamanow

« Comment modérer les messageries privées? »

Trump banni, et puis quoi? Xavier Degraux, consultant en réseaux sociaux, entrevoit un glissement inquiétant vers des messageries privées hors de contrôle et de portée de toute modération.

Faut-il intenter un énième procès aux réseaux sociaux pour le chaos semé au Capitole?

C’est indéniable. S’exclamer aujourd’hui « mais enfin! » c’est un peu tard quand on a trop longtemps laissé Donald Trump agir et s’exprimer. Limiter la portée de publications postées, empêcher de « reliker » certains contenus, apposer un label à côté de contenus contestés ou contraires à la réalité: la gradation des mesures prises à l’encontre du président des Etats-Unis a témoigné d’une grande prudence à son égard. La mesure la plus radicale, la suppression de contenus, n’a été prise que quand Trump, après sa défaite électorale, ne représentait plus un vrai risque pour les plateformes. On aurait tellement aimé que cette mesure forte soit prise plus tôt et non quand le feu était dans la maison. Avec ce que l’on a vécu au Capitole, le summum a été atteint.

L’effort de modération est un combat d’arrière-garde mais néanmoins nécessaire.

Quel péché capital les réseaux sociaux ont-ils commis?

Ils portent une responsabilité fondamentale, bien au-delà du cas de Donald Trump. La source du problème réside dans l’ADN de leurs algorithmes qu’ils se sont jusqu’ici gardés de corriger. Les plateformes numériques ont laissé s’emballer les bulles de filtres. On a observé que les fake news viralisent beaucoup plus vite que les corrections apportées après-coup. Or, ce processus est parfaitement évitable. Bien des chercheurs aimeraient participer à la correction de ces algorithmes mais les plateformes leur ont jusqu’ici toujours fermé la porte, par logique commerciale.

Donald Trump aura été un « bon client » des réseaux sociaux. Va-t-il leur manquer?

Oui et non. Le personnage est problématique, il leur a aussi beaucoup coûté en matière d’image de marque. Les réseaux sociaux ne peuvent en tout cas pas prétendre avoir été pris de court dans les événements qui se sont produits, car ils savent comment les populistes fonctionnent.

Risquent-ils de payer cher ce qui vient de se produire aux Etats-Unis?

A la lumière des incidents passés qui ont impliqué les réseaux sociaux, on peut douter que le retour de balancier soit à la mesure de l’émoi causé. Il n’est quasiment rien sorti de l’affaire Cambridge Analytica (NDLR: fuite massive de données personnelles de plusieurs millions d’utilisateurs de Facebook).

La prise d’assaut du Capitole en a témoigné, il est désormais possible de visualiser et de commenter en direct une tentative de coup d’Etat, de se retrouver au coeur même de l’action…

Là est l’enjeu du problème et cet enjeu est énorme. Comment modérer pareil événement en temps réel? On est bien obligé d’accepter qu’il soit visualisé en live, mais il faut trouver la manière d’en limiter les effets. Il faut pouvoir agir sur la viralisation par la mise en place d’algorithmes positifs qui opèrent comme des lanceurs d’alerte. Cela étant, l’effort de modération aura de toute façon toujours un coup de retard. C’est un combat d’arrière-garde qui s’engage mais il est néanmoins nécessaire.

Combat nécessaire mais non suffisant?

Effectivement. On assiste à un déplacement d’utilisateurs des plateformes traditionnelles vers des messageries instantanées non publiques, qui échappent à tout contrôle. On entre alors dans le dark. Quand Trump exhorte ses fans sur Twitter, tout le monde peut le voir, c’est facile. Mais les militants trumpistes s’organisent à présent en groupes privés sur WhatsApp et Messenger (NDLR: propriétés de Facebook) : qui va les contrôler, comment va-t-on pouvoir modérer les messageries privées de millions de personnes? L’enjeu pour Mark Zuckerberg est d’organiser ce transfert vers ces messageries instantanées, là où on ne pourra plus lui demander de remplir une mission de modération.

Cadrer les réseaux sociaux, c’est possible sans s’exposer à établir une censure?

Nous vivons en 2021, il faut évidemment permettre à tout un chacun de commenter un événement mais dans le respect de la législation contre l’incitation à la violence. Il s’agit d’obliger les plateformes numériques à modérer davantage les contenus véhiculés, en resserrant les mailles du filet, en l’occurrence les algorithmes. Il y a un délicat jeu d’équilibre à maîtriser. Tous les acteurs doivent se mettre autour d’une table, définir une grille de lecture à imposer. La dramatisation est souvent nécessaire pour faire bouger les choses.

Un bannissement temporaire voire définitif des réseaux sociaux en guise de sanction, c’est un coup d’épée dans l’eau?

C’est mal connaître les réseaux sociaux qui fonctionnent comme une hydre (NDLR: dans la mythologie grecque, serpent monstrueux à sept têtes lesquelles repoussaient, à raison de deux pour une, à mesure qu’on les tranchait). Ce genre de solution n’a pas de sens, sauf sur le plan politique. Elle ne risque que d’enflammer les choses en victimisant un peu plus encore quelqu’un comme Donald Trump.

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