Comment le Web CHANGE L’INFIDÉLITÉ

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Ordinateur, téléphone savant et tablette numérique sont devenus les complices ordinaires des amours secrètes. Mais ils sont aussi des traîtres.

La technologie lève-t-elle les inhibitions ? En quelques années, Internet est devenu le royaume de l’infidélité. Mieux. Pour Pascal Lardellier, spécialiste des rencontres sur le Web,  » Internet s’est imposé comme le premier vecteur d’infidélité « . En Belgique, les thérapeutes voient depuis peu l’écran arriver sur les divans.  » Des couples viennent régulièrement me consulter parce qu’un écran s’est glissé entre eux « , raconte Esther Hirsh, médecin sexologue aux hôpitaux Brugmann et Erasme.  » Internet ne crée pas de nouvelles pathologies, mais les révèle et les amplifie « , souligne Iv Psalti, docteur en sciences biomédicales et sexologue clinicien.

Mais les nouvelles technologies semblent toutefois avoir brouillé les pistes. Leur intérêt, c’est la quantité phénoménale de personnes disponibles sur le Net, et la possibilité d’agir dans l’anonymat le plus total. Cette dissimulation constitue en elle-même une révolution. Ces technologies facilitent indéniablement le flirt. Le SMS ou le mail se situent entre l’oral et l’écrit, ils réunissent en fait les avantages de ces deux modes de communication. On peut écrire un SMS un peu ambigu à un ami pour sonder ses intentions; par contre, on ne lui écrirait pas forcément une déclaration enflammée de trois pages. Bref, le SMS ou le mail, c’est plus de légèreté que l’écrit, et aussi moins de courage que l’oral : pas besoin d’affronter réellement l’autre – et son éventuel refus – lorsqu’on se déclare. Bref, les nouvelles technologies désinhibent.

On ne peut nier non plus leur effet  » incitatif « . Au XXe siècle, on était infidèle sur son lieu de travail. Aujourd’hui, Internet favorise les rencontres sans sortir de chez soi. A l’effet  » nombre  » s’ajoute l’effet  » virtuel  » : il semble si simple de nouer des liens de nature sexuelle, même s’ils ne sont que fantasmés.  » Or il arrive forcément un moment dans la vie d’un couple où l’on a envie de voir ailleurs, et le tour sur la Toile peut déraper s’il y a une insatisfaction dans le couple « , analyse Jean-Paul Kaufmann (lire l’interview page 45). Ainsi, selon le sociologue, le mal du moment, c’est le phénomène Fomo ( the fear of missing out), la peur de rater quelque chose, induite par les réseaux sociaux toujours prompts à proposer plus d’événements, d’informations et d’occasions. Tandis que l’on s’apprête à passer une soirée tranquille à la maison, le téléphone  » bipe  » des SMS, annonçant les activités des amis, Facebook crépite de possibilités excitantes, Twitter distille les dîners animés. Bref, les autres ont toujours l’air de s’éclater, de faire des choses passionnantes. Et l’individu de se sentir frustré de ne pas être là où la vie palpite. Dans le couple,  » à la moindre contrariété, on croit s’être trompé de partenaire, de ne pas vivre la vie à laquelle on a droit « , explique Kaufmann. Chacun aspire à être soi, vivre sa vie, s’épanouir. Plus question de rater son bonheur ! C’est même devenu une injonction.  » Il y a une forte pression sociale : il est obligatoire d’être épanoui sexuellement, sinon on est nul. Si leur partenaire les délaisse, les individus n’hésitent plus à tenter l’aventure « , relève Esther Hirsh.

Autre bouleversement : Internet importe la présence de l’autre au sein même de l’intimité du couple. Vous pouvez développer votre relation extraconjugale devant l’ordinateur, souvent dans la même pièce que votre partenaire actuel. Mieux : la flamme entre les infidèles est constamment entretenue. Avant, il y avait les lettres et le téléphone. Mais voilà, n’importe quel membre de la famille pouvait décrocher le combiné et ramasser les missives déposées par le facteur. Difficile d’entretenir une félonne flamme par de tels échanges dans ce contexte de transparence obligée. Désormais, le grand changement, c’est que la communication ne se passe plus à l’échelle de la famille, avec un téléphone dans l’entrée et un PC au salon. Elle est descendue jusqu’à l’individu : chacun a son portable et son ordinateur personnels. Les petits échanges entre un mari et sa maîtresse, même s’ils sont nombreux, peuvent échapper au contrôle de la maisonnée : ils ne transitent plus par la sphère familiale. Car même si la règle n’est pas explicite, il est évident que le portable est de l’ordre de l’intime, tout comme le mail. De même qu’ouvrir une lettre était naguère perçu comme une intrusion dans la vie privée, de même lire les SMS de son conjoint ou ses courriels est unanimement jugé comme un acte d’espionnage.

Un jeu où les femmes rattrapent les hommes

Dans le monde virtuel, on découvre que la parité a gagné du terrain. Ainsi, pour les femmes, prendre un amant ne serait plus un sacrilège, ni un scandale. Tous les sondages effectués ces dernières années ont en effet repéré cette tendance lourde : en matière d’infidélité, les femmes rattrapent peu à peu les hommes. Les Belges, par ailleurs, ne sont guère plus vertueuses que leurs homologues françaises ou américaines. L’enquête menée en 2010 sur la base de 1080 réponses, par Catherine Fivet au cours de son mémoire en psychologie, révèle que l’infidélité ne constitue pas une pratique marginale. Ainsi 36 % des hommes et 27 % des femmes ont déjà entretenu des relations extraconjugales. A en croire une autre étude, réalisée aux Etats-Unis cette fois, 60 % des femmes reconnaissent avoir cédé au moins une fois à l’infidélité. Enorme ? Même si les chiffres précis manquent pour le mesurer, sociologues et sexologues s’accordent sur cette question.  » Avec la contraception et le préservatif, les femmes n’ont plus peur d’être enceintes, peur d’être contaminées par des infections sexuellement transmissibles, explique Iv Psalti, sexologue clinicien. Aujourd’hui, elles travaillent et ne craignent plus un divorce puisqu’elles sont autonomes. Elles recherchent le plaisir sexuel : elles sont enfin devenues « sexophiles », parce ce qu’elles peuvent se le permettre !  » La logique est convaincante.  » J’entends quotidiennement des femmes me dire que leurs compagnons ont moins de désirs qu’elles « , poursuit Esther Hirsh.

Les hommes et les femmes travaillent leur libido avec la même constance dans les forums, sur les chats et avec les SMS. Devant leur écran, les femmes surtout n’hésitent pas à déballer leurs états d’âme les plus intimes, qu’elles cachent à leur conjoint. Elles vivent intensément ces échanges, croient parfois avoir trouvé l’âme s£ur.  » Il y a une impudeur féminine propre à ces relations virtuelles, assure le sociologue Jean-Paul Kaufmann. Leur corps à l’abri, les femmes croient trouver un espace de liberté. Elles se dévoilent beaucoup plus sur la Toile.  » Les mots chauds en inspirent d’autres. Elles batifolent, flattées de pouvoir séduire, sans s’exposer. Comprenez : l’Internet, c’est un peu comme l’alcool dans les fêtes, il permet d’aborder l’autre, il est entraînant, désinhibiteur, et excusant. Si ça se passe mal, il suffit de débrancher.

Et le versant masculin, alors ? On ignore, en revanche, si la proportion d’hommes infidèles augmente – en tout cas, ils continuent malgré tout à devancer les femmes.  » Une chose est sûre : ils vont moins chez les prostituées « , assure Iv Pslati. Pour eux, toutefois, Internet est un nouvel eldorado. Mariés ou célibataires, ils draguent tous azimuts sur les sites, à la recherche du  » coup facile  » ou du  » coup de c£ur « . Ainsi, sur les sites de rencontres, un tiers des abonnés sont des personnes mariées qui se font passer pour célibataires.

La curiosité initiale – ou la peur d’être confondu – laisse vite et fréquemment la place, chez les deux sexes, à l’envie d’y retourner.  » Il suffit de peu pour basculer dans un état permanent de recherches et de sollicitations « , assure le sexologue Iv Psalti. Dans un tiers des cas, à en croire les études américaines, on glisse du clavier à la rencontre bien réelle.

Du coup, la Web connection est devenue un immense marché. Des sites dédiés viennent baliser ces flirts. Ainsi Gleeden (lire notre reportage page 46) propose ouvertement des rencontres adultères et, à en croire ses fondateurs, l’infidélité est une vraie mine d’or.

La définition de l’infidélité est brouillée

Pour Esther Hirsh,  » les normes sociales ont été faites pour mettre les gens à distance, éviter que la proximité ne devienne promiscuité. Internet brouille ces normes « . Du coup, la définition de la fidélité est devenue floue. Où commence l’infidélité ? A la relation sexuelle proprement dite ? Au flirt poussé, au baiser profond, au premier effleurement de lèvres… voire au badinage virtuel ? Et l’on retrouve Internet, miroir et catalyseur de cette interrogation qui fait rage sur les sites : cliquer, est-ce tromper ?  » De plus en plus de couples jouent à se tromper l’un l’autre en fréquentant des sites de rencontres, sans passer à l’acte. Hommes et femmes se donnent ainsi le droit de cultiver la possibilité d’une rencontre « , observe Jean-Claude Kaufmann.

Trompé ? Pas trompé ? Beaucoup de couples connaissent des difficultés à la suite d’un  » marivaudage virtuel « , sans passage à l’acte. Découvrir les fantasmes de l’autre, qu’il cache des choses, qu’il a dévoilé son intimité, c’est pour certains insupportable. Une tromperie virtuelle qui entame la confiance.  » On a l’illusion que c’est sans enjeu, qu’on peut tout se permettre, sans trop de conséquence. Mais il y a trahison dans le sens où quelque chose est donné à quelqu’un d’autre que le partenaire « , avance Jean-Paul Kaufmann.

Conséquence : les éternels jaloux font appel à des cyberdétectives qui chassent les adeptes de la trahison en ligne. Les outils de surveillance sont légion (lire l’encadré page 47) qui permettent au mari trompé ou à la femme trahie d’espionner le courrier virtuel de son conjoint. Et surtout, malgré les progrès de la science, l’homme amoureux reste un indécrottable romantique qui, entre autres gaffes, garde en mémoire les SMS émouvants et utilise le nom de ses enfants comme mot de passe pour ouvrir sa messagerie…

C’est bien tout le danger des nouvelles technologies : puisqu’elles rendent possibles et finalement très faciles la surveillance et l’espionnage le plus poussé, pourquoi s’en priver ? L’infidélité devient moins risquée, moins compliquée ? Les couples seraient de plus en plus nombreux à surveiller les allées et venues de leur moitié sur le Web. Et à se faire piéger : les couples sont de plus en plus nombreux aussi à découvrir l’infidélité de l’autre par technologie interposée. Vous voilà prévenu.

SORAYA GHALI

La tromperie virtuelle entame la confiance

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