Comment le sexe mène le monde

En quoi le sexe est-il aussi une façon de gouverner ? A partir de quand les pulsions sexuelles des gouvernants dépassent-elles la raison politique ? La sexualité menace-t-elle les chefs d’Etat ? Avec quelles conséquences sur les gouvernés ?

Comment rois, ministres et présidents passent-ils de l’exercice du pouvoir au besoin, stimulant et risqué, de séduire à tous crins ? A partir de quand leurs pulsions sexuelles dépassent-elles la raison ? S’ils n’ont pas tous (loin s’en faut) le feu au pantalon, il apparaît que les hommes dirigeants (et plus rarement leurs homologues féminines) sont, depuis la nuit des temps – de César à Berlusconi, en passant par Henri IV, Louis XIV, Napoléon Ier, Léopold Ier, Félix Faure, JFK, Bill Clinton ou DSK, entre autres – plus gourmands de puissance et de sexe que les autres.

 » En décryptant les comportements sexuels des grands personnages qui ont fait et qui font l’histoire du monde, estime Dimitri Casali, historien et directeur de collection, on mesure que le sexe est en fait bien plus qu’un instrument du pouvoir : le sexe, c’est le pouvoir ! « 

Mais pourquoi ? Et avec quelles conséquences, pour les gouvernants comme pour les gouvernés ? L’avis de Pascal De Sutter (lire encadré page 53), expert en psychologie politique à l’UCL et chroniqueur au Vif/L’Express.

Le Vif/L’Express : Les hommes de pouvoir éprouvent-ils des besoins sexuels plus intenses que les autres individus ?

Pascal De Sutter : Je vais tenter une comparaison éthologique. Les hommes qui ont un besoin accru de pouvoir sont des mâles dominants qui, comme les singes ou les cerfs dans leurs groupes et hardes respectifs, ont un taux de testostérone plus élevé que la moyenne de leurs congénères. Comme cette hormone guide de la même façon les instincts de domination et de reproduction, ces mâles cherchent à accaparer à la fois le pouvoir et les femelles. Ça va de pair. Mais à cette base biologique commune aux mammifères, on peut ajouter, chez les humains, une autre hypothèse plus psychologique : un homme peut briguer le pouvoir par  » compensation « . S’il n’a, au départ, ni le  » bon  » statut social, ni beauté, ni force physique, il peut se lancer dans une carrière politique pour espérer y trouver facilement des partenaires…

En va-t-il de même avec les femmes de pouvoir ?

Non. La situation est un peu différente. Deux cas de figure peuvent se présenter. La plupart des femmes au pouvoir abandonnent en effet toute vie sexuelle et affective au profit de leur activité professionnelle ou politique, dans laquelle elles placent toute leur énergie. Le pouvoir annihile ici le besoin sexuel, contrairement aux hommes, chez qui le premier  » booste  » en réalité le second. Mais c’est un constat dressé chez beaucoup de femmes qui travaillent : la fatigue, l’épuisement sont chez elles des inhibiteurs de désir – alors que les hommes considèrent l’activité sexuelle plutôt comme un bon déstressant, un bon relaxant d’après boulot. Autre possibilité, des femmes au pouvoir deviennent, dans leurs appétits sexuels, des clones de leurs homologues masculins. Même si ça se dit peu, on voit ça surtout dans le milieu de l’entreprise. C’est plus rare en politique. Mais des rumeurs circulent… que je n’alimenterai pas ! Une telle réputation est en général contre-productive, pour les femmes. Edith Cresson, à qui on a (à tort, à mon avis) imputé en son temps un vif intérêt pour la chose, en a payé le prix fort, en étant stigmatisée et décrédibilisée politiquement.

Le goût du risque est-il un moteur puissant, chez les dirigeants ?

Mener une carrière politique, c’est exercer un métier assez aléatoire et sans aucune garantie. Il faut donc que les politiciens aiment cela… L’excitation liée au risque en matière sexuelle est assez comparable. Risquer de se faire attraper, d’être classé comme obsédé sexuel, participe sûrement, chez certains, à ce plaisir.

Mais il est quand même possible que des puissants succombent, de temps en temps, à de vraies passions amoureuses ?

Pour embrasser la carrière politique, il faut être quelqu’un de passionné. Tous les politiciens ne sont d’ailleurs pas des profiteurs ou des magouilleurs, une partie d’entre eux sont réellement motivés par les causes altruistes. Ceux-là, fanatiques de la chose publique, se donnent corps et âme à la tâche, au point d’y sacrifier souvent leurs loisirs. Vous voyez où je veux en venir… Si on a cette prédisposition à la passion, on la développe aussi sur le plan amoureux. Donc ça arrive, oui. Et ces politiciens, par des comportements alors irrationnels, mettent véritablement en danger leur carrière.

On est frappé par le sentiment d’impunité qui anime les plus volages, et leur conviction qu’il est normal, pour eux, d’assouvir sans frein leurs désirs…

Attention à l’hypocrisie : ce comportement paraît aussi  » normal  » à beaucoup de gens ! On fait une monstruosité de l’adultère de X ou d’Y, alors que, statistiquement, dans la population, 60 à 70 % des individus trompent ou ont trompé déjà leurs conjoints. Les comportements des politiciens sont beaucoup plus surveillés que ceux de Monsieur ou Madame Tout-le-monde ! Mais c’est vrai qu’il y a parfois, chez eux, une accoutumance au danger. Malgré une première alerte, la cote de popularité de DSK est restée élevée.  » Pourquoi me gêner ?  » a-t-il dû se demander. Il réchappe ensuite à un deuxième avertissement – la révélation de sa relation avec une économiste hongroise du FMI -, ce qui a pour effet d’accroître son arrogance. Puis il passe encore entre les gouttes… Tous ces scandales dont il sort indemne, au lieu de le calmer, le confortent dans ses agissements. Mais il n’est pas un cas isolé : on peut imaginer que Chirac et Mitterrand se sont seulement arrêtés de batifoler… pour des raisons de santé.

Les limites à la tolérance fluctuent. Où sont-elles fixées, chez nous, pour l’instant ?

On vit actuellement dans une société un peu paradoxale, qui offre une grande latitude à certaines pratiques, et montre un grand puritanisme vis-à-vis d’autres. L’homosexualité du maire de Paris ou de notre Premier ministre ne pose visiblement aucun problème, pas plus que la multiplicité des mariages des derniers présidents de la République française. En revanche, on est moins permissif qu’il y a quelques décennies en ce qui concerne les relations extraconjugales : par rapport à JFK, dont la valse des amantes était bien connue du grand public, le pauvre Bill Clinton s’est fait laminer pour pas grand-chose ! Jadis, les rois se devaient d’entretenir des maîtresses, sans quoi ils passaient pour peu vigoureux. De nos jours, il serait bien malvenu à Albert II de s’envoyer en l’air avec de multiples partenaires. Enfin, dans le monde des entreprises, c’est pareil : aujourd’hui, les promotions canapés choquent plus qu’avant.

Mais qu’est-ce qui entraîne ces changements de mentalité ?

Les évolutions peuvent s’expliquer de plusieurs façons. Parfois, ce sont bêtement des effets de mode. Des comportements jugés  » cool  » ne le deviennent ainsi plus du tout. Comme les photos floues des filles prépubères de David Hamilton, qui ne  » passeraient  » plus, de nos jours, à cause de la pédophilie. Ou comme l’existence des moussaillons sur les bateaux, qui servaient jadis à faire la tambouille autant qu’à assouvir les besoins sexuels des marins. L’évolution des m£urs est aussi fonction de celle des religions, qui deviennent tantôt plus sévères, tantôt plus accommodantes. La Flandre et le Canada, par exemple, régions très catholiques au XIXe siècle, sont désormais assez tolérantes en matière de sexualité…

Peut-on imaginer que des hommes de pouvoir aillent jusqu’à mettre leur sexualité en scène, juste pour entretenir une image de dominant ?

Un dirigeant crédible se doit d’être charismatique. On peut ne pas rêver de faire l’amour avec lui toutes les nuits, mais Bart De Wever est un homme charismatique. Reynders aussi est quelqu’un de charmant, de séduisant. Il ne peut y avoir d’adhésion forte des foules sans un certain ascendant. Pour durer, il faut que le dirigeant ait la capacité d’hypnotiser, de fasciner, y compris sur le plan sexuel. C’est clair que Kennedy a été préféré à Nixon en raison du sex appeal qu’il exerçait sur les femmes américaines. Mais, pour tout ce qui concerne le passage à l’acte, je pense que la majorité des politiciens essaient quand même de dissimuler. Et qu’ils sont très contrariés lorsqu’ils sont pris la main dans le sac.

Comment la sexualité des gouvernants influence-t-elle la politique ?

Elle a pu contraindre un puissant à lui sacrifier sa carrière, comme Edouard VIII qui, après plusieurs liaisons tumultueuses avec des femmes mariées, préféra abdiquer pour épouser librement Wallis Simpson, sa maîtresse. Berlusconi a nommé quelques conquêtes à des postes importants. Mais Chirac a été contraint d’éloigner son excellente collaboratrice Marie-France Garaud, parce que sa femme Bernadette ne supportait plus la proximité de cette dernière… Promouvoir ses favorites, ou devoir les écarter du pouvoir, ça va dans les deux sens. On sait aussi combien les peines de c£ur affectent tout un chacun, donc les politiciens pareillement, et parfois jusqu’à la dépression : et comme nos émotions sont directement à la base de nos comportements…

Le pouvoir des puissants attire aussi les femmes comme un aimant…

Oui, oui ! Et il ne faudrait pas toujours jeter la première pierre aux hommes ! Certains ne doivent pas faire beaucoup d’efforts pour récolter des offres permanentes. Du chef des balayeurs au directeur de banque, le mâle dominant séduit partout, quelle que soit sa niche ! Le maillot jaune remporte plus de succès que le porteur de bidons, le bourgmestre éblouit plus que l’échevin, qui attire davantage que le conseiller communal. Les lois n’y changeront rien, c’est inscrit dans nos gènes.

Mais il y a quand même des politiciens qui résistent à la tentation !

Certes. Sur ce plan, Charles de Gaulle fut, paraît-il, d’une extrême correction. Mais le pouvoir est un extraordinaire aphrodisiaque, comme l’affirmait Kissinger, qui n’était pas un Apollon. Clinton a dû repousser les avances de nombreuses admiratrices, tous les jours : c’est un homme sympathique, souriant, d’agréable compagnie et… parmi les plus puissants de la planète. Il fut sans doute, pour beaucoup, le symbole de la séduction absolue.

Et chez nous, ce serait qui, selon vous ?

Hou là ! En Belgique, l’électeur est foncièrement modeste. Il n’accorde pas son vote à des candidats trop ambitieux ou trop beaux. Est-ce dû à notre longue histoire de soumission (aux Espagnols, aux Autrichiens, aux Français, aux Hollandais) ? Qu’ils hantent les sphères politique ou artistique, les gens qui rayonnent, on n’aime pas trop ça, chez nous… Donc, exception faite pour Leterme, si je prends quelques-uns de nos anciens Premiers ministres, Martens, Dehaene, Verhofstadt, ce ne sont quand même pas des hommes sur qui les femmes fantasment en masse. Alors qu’en France des Mitterrand, des Chirac, des Sarkozy dégagent tous quelque chose de sensuel. Ici, c’est considéré négativement. Mais ça peut changer, bien sûr… Magnette et Gosuin ont quand même une belle prestance…

L’intérêt montré par le public pour la sexualité du gouvernant est-il en passe de glisser vers celle de sa partenaire ?

Oh, ce n’est pas neuf ! En 1969, la prétendue participation de Claude, l’épouse de Pompidou, à une partouze, avait déjà provoqué un gros scandale ! Parce que, dans la plus pure tradition machiste, on s’attend toujours à ce que les compagnes officielles des gouvernants soient irréprochables… C’est injuste, parce qu’eux ont le droit d’aller voir ailleurs, mais c’est une réalité, liée sans doute à l’aspect purement reproductif. Il fallait bien s’assurer, jadis, que la descendance du seigneur soit issue du bon père… Pour celles qui n’ont pas choisi d’embrasser la vie publique de leur mari, cette surveillance constante est une contrainte parfois insupportable. Plus de vie privée, plus de vie conjugale. Plusieurs m’ont dit qu’elles auraient préféré que leur époux reste un inconnu, tant ça pourrit la vie. Et certaines vont même jusqu’à saboter, en douce, la carrière politique de leur mari…

PROPOS RECUEILLIS PAR VALÉRIE COLIN

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