Comment le CDH a été piégé par le survol aérien de Bruxelles

La guerre préélectorale autour des nuisances de l’aéroport de Bruxelles-National risque de faire exploser les humanistes en plein vol le 25 mai. Voici les vrais enjeux politiques d’un dossier miné.

Melchior Wathelet ne décolère pas. Le secrétaire d’Etat CDH en charge de la Mobilité n’a pas quitté le devant de l’actualité ces dernières semaines. Il s’en serait bien passé : un piège s’est refermé sur lui au pire moment qui soit, dans la dernière ligne droite d’une campagne électorale hypertendue.  » Son  » plan de répartition des vols aériens au départ de l’aéroport de Bruxelles-National, entré en application le 6 février dernier, a suscité des vagues de protestation citoyennes dans et autour de la capitale avant d’être fustigé par tous les partis francophones, jusqu’au coeur de sa propre majorité fédérale.

La gestion des nuisances sonores de Zaventem est un brûlot politique depuis vingt-cinq ans. Tour à tour, bien des ministres s’y sont brûlés les ailes. Arrivé à l’été 2011, Melchior Wathelet s’est attaché à l’application d’un double accord datant de la chaotique période Leterme et de la courte transition Van Rompuy – les textes ont été approuvés en décembre 2008 et février 2010. Il modifie la répartition des vols en veillant à les disperser au maximum, en favorisant autant que possible les zones les moins densément peuplées.

Sa concrétisation a été le fruit de marchandages politico-communautaires dont la Belgique a le secret. Du jour au lendemain, les habitants des deux Woluwe, de Crainhem et de Wezembeek-Oppem, qui souffraient en première ligne des nuisances, ont été soulagés, mais ceux d’Auderghem, d’Etterbeek ou de Watermael-Boitsfort se sont plaints d’entendre des avions ronronner bruyamment dans leur ciel. En outre, l’accord de 2008-2010 n’a été que partiellement concrétisé : la création d’un institut indépendant de contrôle des nuisances sonores manque encore – provisoirement – à l’appel.

Mal emmanché, le dossier est devenu le poil à gratter préélectoral du CDH sur fond de colère citoyenne, de rivalités entre partis – voire internes aux partis – et de méfiance entre Communautés. Un traquenard. Et un cas d’école.

Le  » Printemps bruxellois  »

 » Si un dossier arrive de la sorte à l’agenda politique, c’est qu’il est significatif et qu’il suscite des réactions émanant de la société civile, souligne Pascal Delwit, politologue de l’ULB. A quelques semaines d’une élection, c’est explosif.  » Melchior Wathelet a beau affirmer qu’il a concrétisé en moins de deux ans ce que d’autres n’avaient pas réussi à faire auparavant ou se justifier en dénonçant les retards de dernière minute qui lui ont été imposés, il n’a pu éviter une fronde associative vigoureuse portée notamment par un nouveau mouvement citoyen baptisé  » Pas question ! « .

Le fondateur de  » Pas question ! « , Antoine Wilhelmi, un entrepreneur ixellois, a lui-même été étonné de l’ampleur prise par ce mouvement né au départ de l’exaspération de sept personnes.  » L’engouement est extraordinaire, se réjouit-il. On vit un vrai petit « Printemps bruxellois ». Nous sommes portés par l’indignation des gens.  » En deux mois, plus de 10 000 personnes se sont mobilisées sur les réseaux sociaux, plus de 250 volontaires ont distribué quelque 120 000 tracts pour ne pas parler des réunions noires de monde. Des tensions sont certes apparues avec les autres associations existantes, Bruxelles Air Libre ou l’UBCNA, notamment parce que  » Pas question !  » défend surtout les intérêts des trois nouvelles communes survolées,  » densément peuplées  » mais aussi sources de profits juteux sur le marché immobilier, et adopte une attitude qualifiée de  » radicale « .

Politiquement, dans la perspective du 25 mai, le trio de communes nouvellement survolées n’est pas neutre : Auderghem est la commune de Didier Gosuin, tête de liste FDF à la Région bruxelloise, Watermael-Boitsfort celle d’Olivier Deleuze, coprésident d’Ecolo, et Etterbeek le fief de Vincent De Wolf, tête de liste régionale MR.  » A priori, le survol aérien n’est pas un enjeu électoral très vaste, souligne Pascal Delwit. Il ne concerne dans ses effets que quelques communes bruxelloises et de la périphérie. Mais ce sont des enjeux clés d’un arrondissement électoral qui représente quinze sièges au Parlement fédéral et septante-deux au parlement régional bruxellois. Même si Melchior Wathelet n’est pas candidat à Bruxelles, cela égratigne l’image de l’une des figures de proue du CDH. Et c’est désastreux au regard de la thématique du bien-être mise en avant par le parti avec son slogan de campagne : Vivre mieux, c’est possible…  »

Au fil des semaines, le chaos s’est emparé du monde politique francophone. Tous contre le plan Wathelet ! Avec des attaques très vives du vice-Premier ministre MR Didier Reynders et de son collègue et rival de parti, Vincent De Wolf par ailleurs bourgmestre d’Etterbeek, sommation de huissier à la clé.  » Nous avons décidé de cette réaction concertée après plusieurs tentatives de dialogue parce que Melchior Wathelet n’en faisait qu’à sa tête et ne voulait rien entendre des critiques exprimées « , justifie le porte-parole des réformateurs. Soucieux d’être le premier parti de la capitale, une clé pour l’après-25 mai, le MR ne pouvait décemment pas rester à l’écart de la polémique, en dépit de la loyauté gouvernementale.

 » Dégueulasse et indécent  »

 » Cela a été une campagne de dénigrement dégueulasse et indécente, dénonce Melchior Wathelet, amer, dans un entretien au Vif/ L’Express. Il y a eu une volonté manifeste d’abîmer le CDH. Ce n’est pas pour rien que l’on a rebaptisé cet accord de majorité le  » plan Wathelet  » : cela permettait de me taper dessus. J’ai eu un rôle au moins aussi important pour la concrétisation de la réforme de l’Etat (NDLR : il est également secrétaire d’Etat en charge des Affaires institutionnelles), mais personne ne l’a baptisée réforme Wathelet, à ce que je sache…  »

 » Evelyne Huytebroeck, Didier Gosuin et Didier Reynders critiquent ce plan alors qu’ils en connaissaient la teneur depuis longtemps, poursuit le secrétaire d’Etat. Le MR et le FDF l’ont adopté et ont même fait pression pour que je l’applique plus tôt. Mais visiblement, élections obligent, ce qui était le nirvana il y a un an et demi est devenu la pire des choses.  » Son parti, il le sait, risque d’en payer le prix fort au soir des élections. Le dernier baromètre La Libre/ RTBF, publié le 15 avril dernier, situe le CDH à un plancher historique en Wallonie, sous les 10 %, et en troisième position à Bruxelles devant le FDF et Ecolo, bien qu’en légère baisse.

 » C’est clairement le combat entre les trois partis luttant pour la troisième place à Bruxelles qui se joue autour de cette polémique, analyse Pascal Delwit. Evelyne Huytebroeck (NDLR : ministre bruxelloise de l’Environnement, Ecolo) a été la première politique à s’offusquer ouvertement de ce plan. Et Didier Gosuin (NDLR : bourgmestre d’Auderghem, FDF) s’est beaucoup mobilisé dans sa commune, dès le début.  »

Le tout sans oublier les rivalités internes diffuses au sein du CDH : Melchior Wathelet, devenu de facto le chef de file du parti pour les élections fédérales, embarrasse fortement l’actuelle vice-Première ministre Joëlle Milquet, forcée de pousser contre son gré la liste régionale bruxelloise pour des raisons électorales. Si elle a volé au secours de son collègue avec une solution de compromis pour  » rééquilibrer le plan « , Joëlle Milquet l’a en réalité déshabillé sur la place publique, sans pour autant convaincre des partenaires trop heureux de voir le CDH sombrer.

Dans ce climat délétère, le Premier ministre Elio Di Rupo (PS) a appelé  » à ne pas faire de ce sujet un enjeu électoral « , adoptant une posture  » au-dessus de la mêlée  » qu’il affectionne. Personne n’est dupe, toutefois : dans le sud de Bruxelles et dans la périphérie, le PS a moins à perdre électoralement que les autres…

Le  » miroir de l’état de la Belgique  »

Dans l’aventure, le nouveau climat de confiance belgo-belge a lui aussi été perturbé. Le gouvernement flamand conteste tout autant, recours à la clé, un compromis qui rejette pourtant une bonne partie des nuisances de Zaventem sur la Région bruxelloise. Et les partis nordistes ne veulent pas entendre parler d’une remise à plat sur la base de critères strictement objectifs liés à la densité de population. La pression de la N-VA, ultra-dominante dans les sondages au nord, est concrètement palpable : le nouveau président du conseil d’administration de Brussels Airport, Marc Descheemaecker, a rejoint les rangs nationalistes pour pousser la liste européenne.

 » Ce dossier miné est un miroir de l’état de la Belgique et des relations interrégionales, constate l’Ecolo Isabelle Durant. On a accepté, du côté francophone, qu’il y ait un aéroport privé en Flandre, et voilà le résultat. On n’a pratiquement rien à dire au sujet de sa gestion si ce n’est via Belgocontrol et la répartition des routes.  » L’ancienne vice-Première ministre du gouvernement Verhofstadt sait à quel point la confrontation des intérêts économiques et environnementaux liés à un aéroport situé en bordure d’une grande ville est délicate à gérer. En 2003, en charge du dossier, elle avait démissionné du gouvernement en compagnie du secrétaire d’Etat Olivier Deleuze pour protester contre la décision du Premier ministre de lui retirer la compétence du transport aérien.  » Les bâtons dans les roues, je connais ça, scande-t-elle. Il faut que le CDH assume jusqu’au bout ce que son ministre a porté. Je n’ai pas d’attendrissement envers qui que ce soit.  »

L’enjeu, plaide-t-elle, dépasse une guerre de partis.  » Ce n’est pas un dossier avec lequel Ecolo gagnerait ou le CDH perdrait les élections. Il n’y a d’ailleurs aucun dossier pour lequel ce serait le cas. Tout cela a été très mal géré. C’est du bâclage. On applique la partie la plus difficile du plan, sans l’institut indépendant qui doit en contrôler l’application. Il y a eu un long travail, beaucoup de réunions intercabinets, mais avec zéro communication à l’extérieur. Des gens en subissent les conséquences du jour au lendemain, avec le sentiment de ne pas avoir eu droit au chapitre. C’est brutal ! La façon dont tout cela a été monté nourrit la colère.  » C’est d’autant plus regrettable, assène Isabelle Durant, que  » ce sujet est sur la table depuis plus de dix ans, il était donc largement prévisible « . Perfide, elle ajoute :  » Il y en a d’autres, en Région wallonne, qui paient eux aussi le prix des dossiers difficiles mal gérés par le passé.  »

 » Chacun son boulet à tirer  »

L’allusion à une autre confrontation politique qui sous-tend les tensions autour des nuisances sonores de Zaventem est à peine masquée. Tout au long de la législature wallonne, Ecolo et CDH se sont affrontés au sein du gouvernement wallon sur la gestion de la bulle du photovoltaïque (NDLR : le soutien public important octroyé aux panneaux solaires a provoqué une bulle spéculative tandis que, dans le même temps, les prix baissaient), un sparadrap pour l’Ecolo Jean-Marc Nollet, une patate chaude reçue de son prédécesseur, le CDH André Antoine.

 » Chaque parti a un dossier piège qu’il doit tirer comme un boulet avant le scrutin, conclut Pascal Delwit. La dégressivité des allocations de chômage pour le PS, les calculs approximatifs du projet de réforme fiscale pour le MR… Mais avec le plan Wathelet et le photovoltaïque, le CDH et Ecolo risquent de souffrir davantage parce qu’ils n’ont pas d’axe fort à mettre en avant dans une campagne centrée sur les enjeux socio-économiques. Le PS, lui, peut toujours se retrancher derrière la nécessité de sauver la sécurité sociale et le MR peut se présenter comme le parti des gens qui travaillent.  »

Face à la volonté libérale et socialiste de bipolariser la campagne en période de crise, humanistes et écologistes n’avaient certes pas besoin, en surplus, de ces peaux de banane. Sur les réseaux sociaux, certains commentateurs et analystes estiment déjà, au vu des derniers sondages, que tous deux, talonnés par le PTB-GO, pourraient eux aussi devenir… des  » petits partis « .

Quelle que soit l’issue de ce traquenard dans lequel il est tombé, Melchior Wathelet n’en finit plus de tempêter :  » Ce qui me fait le plus mal, c’est que l’on reproche de plus en plus aux politiciens de ne plus respecter leur parole. Quand certains ne la respectent pas, comme c’est le cas ici, ils donnent du crédit à ce sentiment. Cet épisode laissera des traces après les élections, c’est clair !  »

Par Olivier Mouton

 » Au fil des semaines, le chaos s’est emparé du monde politique francophone. Tous contre le plan Wathelet !  »

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