© comès/casterman

Comès, bouche bée

On connaissait Didier Comès, le dessinateur de l’Ardenne et des Fagnes. On redécouvre quel grand maître du noir et blanc il était, grâce à deux expositions bruxelloises et à la Fondation Roi Baudouin.

Il n’y a rien de meilleur pour les amateurs d’art – et, dans le cas présent, de bande dessinée – que de découvrir un auteur. Si ce n’est peut-être d’en redécouvrir un. Ainsi, si vous connaissiez de Didier Comès (1942 – 2013) son Silence paru en 1979 dans la revue (A suivre), ses récits en Hautes Fagnes et ses atmosphères de sorcellerie qui en faisaient l’un de nos grands auteurs régionalistes à l’égal d’un René Hausman ou d’un Jean-Claude Servais, il faut se précipiter aux deux expositions qui viennent d’ouvrir leurs portes à Bruxelles et qui lui sont consacrées pour (re)prendre conscience à quel point Comès fut aussi, surtout, un grand maître du récit noir et blanc (et volontiers silencieux). A l’image, cette fois, de son ami Hugo Pratt, mais aussi de Tardi ou Munoz: des noir et blanc d’une beauté et d’une perfection affolantes, capables de raconter mieux que des mots les maux de l’homme, et en particulier des exclus.

Il y a une autre manière de montrer Comès que sous l’angle du régionalisme ou du paganisme.

Une évidence qui s’impose ainsi à chaque regard sur l’une des cinquante planches originales sélectionnées et présentées au Musée BELvue (1) sous le commissariat de Thierry Bellefroid et l’égide de la Fondation Roi Baudouin. Laquelle a reçu la lourde tâche, à la mort de l’artiste et de la part de ses héritiers, de gérer son patrimoine artistique, et donc la plupart de ses originaux, d’habitude conservés et montrés au Piconrue – Musée de la Grande Ardenne, à Bastogne. « Nous voulions témoigner ici qu’il y a une autre manière de montrer Comès que sous l’angle du régionalisme ou du paganisme, précise ainsi Thierry Bellefroid, ami de Comès, grand connaisseur de son oeuvre, commissaire de ce D’ombre et de silence et auteur de la monographie du même nom (lire l’encadré). « Lui rendre toute sa place et sa modernité, ici à Bruxelles, en mettant en avant son travail graphique et narratif du noir et blanc, son travail sur le silence, sans doute le plus emblématique, et son souci de mettre sans cesse en avant les exclus et les marginaux, dont il s’est longtemps senti faire partie. » Un souci qui explique aussi l’implication de la Fondation Roi Baudouin dans cette remise en avant de l’oeuvre de Comès, elle qui est active à la fois dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion, et la conservation du patrimoine. Une conservation qui n’en est qu’à ses balbutiements en bande dessinée, et donc pas exempte d’accidents.

Didier Comès.
Didier Comès.© olivier boitet

Vagues et retouches

Si l’exposition qui se tient à la Maison Autrique (2) se concentre sur le seul album Eva, l’unique et envoûtant thriller psychologique de Comès, très éloigné de son Ardenne et réalisé en 1985, les planches exposées au musée BELvue proposent, elles, tout un voyage non chronologique dans l’ensemble de son oeuvre, s’arrêtant comme son nom l’indique, d’abord sur son traitement, sans cesse en évolution, du noir de ses encres sur le blanc de ses pages, ensuite sur son goût de la narration muette et du silence, qu’il soit contemplatif, assourdissant ou pesant. Cela avec un bagage technique et une rigueur qu’il lui viennent à la fois de ses origines germaniques et de sa formation de dessinateur industriel: ses fantastiques originaux ne présentent pas la moindre retouche! Pas la plus petite rature ou correction sur ses masses de noir dont il maîtrise parfaitement les volumes, un noir très contrasté qu’il traite sans le moindre haché ni dégradé. Une rigueur et une précision qui tranchent soudain avec le travail de son grand ami, le sensuel et latin Hugo Pratt, lui aussi présenté ici en quelques planches originales tel l’un des maîtres de Comès (en même temps que Christophe Chabouté, présenté, lui, comme son fils spirituel), le tout dans une scénographie sobre et elle-même envoûtante avec ses agrandissements sur tissu transparent venant calfeutrer les fenêtres et en rajouter à l’atmosphère de contemplation qui règne dans cette extension du palais royal.

On reste en tout cas sous le charme et la fascination de ces fantastiques originaux doublement immaculés, puisque par ailleurs restaurés par la Fondation Roi Baudouin. Celle-ci a pris le pli, en accord avec les héritiers, de nettoyer littéralement ces planches réalisées à l’encre de chine, par exemple en effaçant les traces de scotch ou de papier collant qui reliait parfois deux ou trois parties/strips de la planche. Résultat: le papier est d’une blancheur éclatante et le noir étincelant, mais nombre de planches ont depuis… gondolé, présentant sur un papier à l’origine parfaitement plat une succession de vagues parfois importantes. Un « couac » un peu gênant pour lequel la Fondation a immédiatement ouvert une enquête, heureusement remédiable, et qui n’enlève rien à l’intérêt majeur de cette redécouverte de l’art de Comès.

(1) Comès. D’ombre et de silence : au musée BELvue, à Bruxelles, jusqu’au 3 janvier 2021. Réservation obligatoire: belvue.be

(2) Comès à huis clos : à la Maison Autrique, à Schaerbeek, jusqu’au 2 mai 2021. Réservation obligatoire: autrique.be

Comès, bouche bée
© comès/casterman

Une monographie, des rééditions

Thierry Bellefroid, la Fondation Roi Baudouin et Casterman, l’éditeur historique de Comès, se sont parfaitement synchronisés puisque cette double exposition s’accompagne d’une kyrielle de sorties autour de l’auteur décédé il y a sept ans.

D’ombre et de silence

L’imposante monographie commentée que Thierry Bellefroid édite logiquement chez Casterman peut aussi se lire aussi comme le catalogue de l’exposition du Musée BELvue, mais plus riche de dizaines de reproductions de dessins et de planches, d’une biographie fouillée et des commentaires de ses pairs et amis. Indispensable aux amateurs.

Comès, les romans noir et blanc, 1976-1984

Comès, les romans noir et blanc, 1987-2006

Une réédition quasi complète des oeuvres de Comès en deux imposantes intégrales de plus de 400 pages (et presque 40 euros chacune), de Silence à Dix de der en passant par La Belette, Eva ou L’Arbre-coeur, pour redécouvrir en deux livres l’immensité du talent de son auteur, et l’incroyable évolution de son graphisme.

Ergün l’errant

Avant de devenir l’auteur culte et noir et blanc de la revue (A suivre), Didier Comès a commis deux récits de science-fiction dans le magazine Pilote, et en couleur. Une curiosité et deux récits, Le Dieu vivant et Le Maître des ténèbres qui doivent cette fois moins à Pratt qu’à Mézières et réunis ici sous le nom de Ergün l’errant, l’antihéros de ces deux oeuvres de jeunesse déjà hantées par la violence des hommes et le sentiment d’exclusion.

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