Claude Eerdekens  » Le suicide assisté de la Wallonie ! « 

Franc-tireur au sein du PS, le député wallon Claude Eerdekens clame son inquiétude.  » On va dans le mur « , dit-il. Un discours d’opposition. Il critique vivement Ecolo. Et plaide quasi ouvertement pour une alliance avec le MR.

Le Vif/L’Express : Que se passe-t-il en Wallonie, avec tous les tiraillements actuels ?

Claude Eerdekens : Je suis de ces parlementaires pas très heureux de ce qui se passe. Au bureau du PS, quand on a voté l’accord wallon, je suis le seul à m’être abstenu. Je pensais que confier l’Aménagement du territoire à un Ecolo, ce serait suicidaire, et ce fut le cas… Ce n’est pas une critique personnelle de Philippe Henry (NDLR : le ministre de tutelle), mais il ne fait pas bien son travail, selon ma conception de l’aménagement du territoire.

Mais encore ?

En période de crise, nous avons besoin d’une politique ouverte, soucieuse d’encourager les projets, plutôt qu’une politique basée sur les interdits. M. Marcourt fait tout ce qu’il peut au ministère de l’Economie, mais s’il n’y a pas un soutien à l’aménagement du territoire, le bateau est paralysé. Certains appuient sur l’accélérateur, d’autres sur le frein en même temps.

Il faut aider les entreprises à se développer. On en a besoin avec les drames d’ArcelorMittal, de Duferco, de Caterpillar, peut-être demain de Solvay, ce que je ne souhaite pas. Pour cela, il faut des terrains. Le dernier gros investissement en Wallonie, c’était Colruyt à Ghislenghien. Il y a trois ans, Delhaize voulait implanter un centre logistique en Wallonie. Finalement, cet investissement de 500 millions porteur de 300 emplois se réalisera en Flandre.

C’est M. Javaux, alors président d’Ecolo, qui avait exigé l’Aménagement du territoire, le Logement et l’Energie… Quand je vois les mails que je reçois, je me pose des questions sur ce que les gens en pensent. Ce qui ne va pas non plus, c’est la politique des noyaux d’habitat. Nous sommes devant la Cour constitutionnelle pour obtenir son annulation. Cela part d’une intention dirigiste, comme dans les ex-pays soviétiques. On veut arrêter l’habitat dispersé. Moi, je vis en ville, j’aime ça, mais si quelqu’un veut vivre à la campagne dans une villa 4- façades, cela reste son droit. C’est le dogme, toujours, et je ne le supporte pas.

Ecolo a une vision dogmatique ?

Il y a chez eux des idéalistes, très attentifs à la défense de l’environnement – et je peux le comprendre. Mais il y en a d’autres, fondamentalistes, dans une logique de décroissance. Eva Joly plaidait cela lors de la campagne présidentielle française. En Wallonie, ils ne s’affichent pas aussi ouvertement mais on les trouve dans les cabinets. Ce sont des ayotallahs, entrés en écologie comme on entre en religion. C’est ahurissant !

Ce sentiment-là est partagé au sein de votre parti ?

Si le gouvernement wallon actuel était soumis à un vote à huis-clos, il n’a plus la confiance du parlement. Il faut entendre les parlementaires PS et CDH, ils en ont ras-le-bol !

Y a-t-il encore d’autres sources de mécontentement ?

Le logement social, on n’est nulle part ! Combien de logements M. Nollet aura-t-il construit en 2014 ? A Andenne, j’en ai obtenu huit. Des peanuts ! Et on change constamment les règles d’octroi. Ces sont des critères objectifs, il n’y a plus de sélection qualitative possible. Mais il y a des personnes prioritaires dont la présence est inapte à une vie en société : des noctambules qui font la java la nuit, des gens proches des trafics de stupéfiants ou des personnes qui sortent de prison – et je ne suis pas pour une double peine, ils y ont droit, entendons-nous bien… Tout est fait pour chasser les honnêtes gens. Les bourgmestres vont finir par avoir peur d’avoir des logements sociaux.

Le décumul entre fonction de parlementaire et d’élu local vous ennuie aussi ?

Ce n’est pas essentiel. Cela concerne surtout l’ego des parlementaires. Mais prenez encore la politique éolienne. C’est aberrant ! Si la Wallonie veut se lancer dans le durable, l’éolien est une piste. Mais il y a l’off-shore lancé par le fédéral, avec une puissance et un rendement bien plus importants. Peu de francophones y investissent. Au lieu de ça, on crée une nouvelle bulle abominable, pire que le photovoltaïque. Ces gens qui implantent des éoliennes en Wallonie – il y en a 250 pour l’instant, on vise les 1 000 en 2020 – se font un fric incroyable ! Ce sont des rendements qu’aucun industriel ne peut espérer en Europe, jusqu’à un million et demi d’euros de bénéfice par an et par éolienne – vous imaginez ? Et tout cela, à nouveau, grâce à des certificats verts. On parle d’une bulle de cinq milliards d’euros !

Pourquoi ce train va-t-il dans cette direction-là ? C’est un rapport de force favorable à Ecolo ?

Ce n’est pas une erreur d’Ecolo uniquement, mais de tous les partis. Trois gouvernements ont géré la politique éolienne. En tout, la bulle du photovoltaïque et de l’éolien s’élèvera entre dix et onze milliards d’euros ! Les conséquences sont dramatiques. M. Clamadieu, CEO de Solvay, explique que dans les coûts de production, les frais de personnel sont désormais inférieurs aux coûts énergétiques !

C’est sans issue ?

On a lancé un train fou dans le brouillard, il n’y a pas de pilote dans la locomotive et on va dans le mur.

Tout cela avec une Wallonie qui a devant elle moins de dix ans pour se redresser. Préoccupant ?

Je suis affolé ! Dans les quinze ans à venir, on fera peser cette bulle financière à un moment où l’on sera peut-être confronté à une crise de l’Etat belge, avec une N-VA incontournable. Je suis très inquiet pour mes enfants et mes petits-enfants, je ne l’ai jamais été autant depuis que je suis en politique. On peut reprocher tout ce qu’on veut au gouvernement fédéral, mais il a quand même l’audace de prendre des mesures impopulaires. Le rôle du politique, ce n’est pas de cajoler l’électorat dans le sens du clientélisme, du mensonge public organisé ou d’un idéalisme dévoyé. Il faut des accents churchilliens.

Ce n’est pas le cas en Wallonie ?

Non.

Que dites-vous au sein de votre parti ?

Ce que je dis ici.

Il faut un changement d’alliance ?

Ce gouvernement est condamné à aller à son terme, à cause de la réforme de l’Etat et du soutien extérieur d’Ecolo. La difficulté existentielle de la Belgique a donné à Ecolo une faculté de nuisance épouvantable en imposant une politique que ne partagent que 13 % des gens. Cela m’effraie qu’un lobby, qui a sa légitimité, puisse avoir autant de poids politique. C’est démesuré.

Que pensez-vous de votre ministre-président, Rudy Demotte ?

C’est un chef d’orchestre qui fait jouer ses ministres sur la base d’une partition écrite. Un homme loyal, consensuel : c’est tout à son honneur. Le problème, c’est que ce n’était pas une bonne déclaration de politique générale. Je n’ai pas d’animosité à l’égard des hommes. Je respecte leur idéologie, mais ce que l’on est en train de faire, c’est un suicide assisté ! Faire un petit paradis écologique dans une Wallonie qui est un désert écologique, cela n’a pas de sens. A terme, nous deviendrons une réserve naturelle. Il faut avancer au rythme de la mondialisation.

Des contacts peuvent être pris pour préparer une autre alliance en 2014 ? Avec les libéraux ?

Les libéraux ont leurs qualités et leurs défauts. Je dois leur reconnaître, c’est important, une grande sensibilité à tous les problèmes de l’économie et de l’emploi. Avec le PS, ce sont les Bleus qui sont le plus conscients de ces enjeux. Le CDH est confronté à un combat contre Ecolo pour être le troisième parti. Il se bat pour sa survie, cela n’aide pas. Madame Milquet est responsable de cette situation : après les élections de 2009, elle a imposé une alliance CDH-Ecolo en disant aux Bleus et aux Rouges qu’ils étaient tenus de signer leur cahier des charges commun. C’était un jeu très dangereux parce qu’on a éliminé un grand parti.

Alors, en 2014 ?

Bien malin qui peut prédire le résultat des élections. Mais la désindustrialisation de la Wallonie et l’état de î des finances publiques en Belgique, ce sont des sujets de très haute crispation et d’inquiétude.

ENTRETIEN : OLIVIER MOUTON

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