Clair-obscur

Aimanté par l’underground, la marge et les paysages décatis, Michel Clair planque – littéralement – ses images dans Bruxelles. Qui les trouve en devient propriétaire.

 » C’est mon ami de trente ans comme dirait l’autre, de trente-trois ans en fait […] mais voilà, tout ce temps m’a permis de côtoyer l’objecteur de conscience Michel Clair, le guitariste de rock Michel Clair, l’acteur porno Michel Clair, le chauffeur de taxi Michel Clair, le chanteur de variété Michel Clair, le disc-jockey Michel Clair, le gardien de nuit Michel Clair, le cracheur de feu Michel Clair, j’en oublie sûrement tout un tas, ce type a vécu mille vies. » Voilà ce qu’écrit, en 2010, Jacques Duvall, auteur à l’ironie douce, bien connu pour ses textes malicieux colorant les chansons de Chamfort ou Lio, à propos de son ami Michel. Dans une liste où on pourrait aussi ajouter Clair parmi les premiers punks bruxellois – au sein de The Actors – et Clair tenancier d’un magasin de disques d’occase, dénichant les raretés vinyliques.

Parfois, je reviens sans photos, parfois, j’en ai pris cinquante.

Et puis cette gueule taillée à la serpe s’est mise à la photographie. Comme on regarde le monde autour de soi: en s’immergeant intégralement dans ses sujets. Voisin spirituel de créateurs comme le Français Yan Morvan ou le Britannique Chris Steele-Perkins – célèbres pour leurs images de gangs musicaux -, Clair fréquente tout ce qui n’est pas confortable: les laissés-pour-compte de la rue, les fins de soirée défraîchies, les couples improbables, les pas riches du tout, l’alcool à fleur de peau, la pauvreté. Confidence de l’intéressé: « Eventuellement Robert Doisneau, mais je n’ai pas de véritable culture photographique. Les noms évoqués me sont à peine connus. Si j’ai bien une influence, c’est celle de la musique, des chansons que je découvre à l’enfance/adolescence, quand j’habite dans un petit village de 200 âmes près de Bastogne. Avec un père, adjudant de carrière, qui me semble assez loin de moi… »

Clair-obscur

Discothèque

Né en 1956, Michel Clair – nom d’emprunt – grandit entre deux images d’Epinal à la belge: l’Eglise et l’armée. L’ado prend son vélo pour parcourir les quelques kilomètres afin de s’approvisionner en 45-tours dans la bonne ville de Bastogne. Dans le genre de magasins seventies où l’on vend à la fois grille-pain, machines à laver et disques, ceux-ci étant cantonnés au rayon vinyle Top 50. Il y achète ce qu’il entend sur la radio à lampe « qui chauffait », classiquement planqué en dessous des couvertures « pour ne pas alerter mes parents, écoutant notamment l’émission Radio-Crocodile de Marc Moulin ». Il écoute la soul de Timmy Thomas et son hit Why Can’t We Live Together? , Johnny H, Moustaki, Leonard Cohen, Dylan et aussi Deep Purple, Marvin Gaye, Neville Brothers et Slade.

Sans finir ses humanités, le jeune Michel arrive à Bruxelles en 1975 avec une seule propriété, son sac à dos. Il a quand même un autre bagage, sans doute davantage contradictoire: même si les rapports avec lui sont pour le moins compliqués, son paternel l’a entraîné dans l’univers de la photo. « Mon père avait toute une série de formidables appareils que j’ai pu utiliser, raconte Clair. Donc, aussi loin que je m’en souvienne, j’ai fait de la photo. Mon père faisait des séjours réguliers au Congo. Il en ramenait, tous les trois ou six mois, de magnifiques images que l’on regardait au cours de soirées dias. Cela a duré sept ou huit ans. Ce qui était unique au village. »

Clair-obscur
© MICHEL CLAIR

Michel débarque dans la capitale, initialement entraîné dans le giron de Pour, magazine de gauche radicale où il multiplie les boulots. Avant l’étape du service militaire, remplacé par l’objection de conscience où l’appelé Clair se retrouve à servir les drapeaux en version civile à ce qui s’appelle alors la Discothèque nationale, future Médiathèque. Il y croise un certain Jacques Duvall avec lequel il devient profondément ami. Jacques viendra à son secours quelques décennies plus tard, lorsqu’ il sera criblé de dettes après avoir lancé un magasin de disques d’occasion qui plonge dans le rouge en 2007: « Une faillite monstrueuse, les huissiers au cul, je deviens SDF ». Pas tout à fait puisque Duvall héberge Clair durant de longs mois dans son petit duplex convivial, voisin de la place de Brouckère. De toute façon, le karma Clair ne semble pas être de l’ordre de la richesse. Passant par toutes sortes de boulots, chauffeur de taxi, vendeur de vieux brols, « histoire de nourrir aussi mes deux gamins, aujourd’hui âgés de 26 et 29 ans, dont un est musicien ». Travaillant dans un CPAS et même posant pour « un magazine de charme, très gentil, une seule fois » – en sous-vêtements quand même. Soft porno comme dirait l’autre.

Dibond

Sacrée bio, incorporant la courte vocation de chanteur de charme, signant trois 45-tours dont le premier est produit par Marc Moulin. Et là, trois bonnes décennies après cette aventure frondeuse, mais sans véritable écho commercial, Michel Clair évoque son actuel travail photo: « Oui, il peut paraître sombre mais je trouve qu’il y a une beauté dans tout cela. Je crois qu’une photo, on peut la suivre à la trace. Je ne pars jamais avec un projet, mais toujours avec mon Olympus, un petit appareil, en marchant, ou en bagnole, et je m’arrête. Parfois, je reviens sans photos, parfois, j’en ai pris cinquante. Je ne cherche pas la « belle image », non. Cela peut paraître sombre mais pas toujours. »

Depuis mars dernier, Michel Clair (dernière photo à droite) a déjà disséminé dans la capitale dix-neuf de ses clichés, réalisés au gré de ses pérégrinations. Quatre ou cinq autres devraient être mises à disposition dans les semaines à venir.
Depuis mars dernier, Michel Clair (dernière photo à droite) a déjà disséminé dans la capitale dix-neuf de ses clichés, réalisés au gré de ses pérégrinations. Quatre ou cinq autres devraient être mises à disposition dans les semaines à venir.

Les cinq années où il habite dans les Marolles, Michel Clair hante régulièrement un bistrot de la rue Haute pour saisir les couples qui s’enlacent, les plongées dans l’alcool, une forme de fraternité acide qui incorpore les gens dans une semblable histoire. Quelques milliers de photographies et une poignée d’expositions plus tard, plutôt que de les laisser pourrir des tirages non vendus dans un coin d’appartement, il décide de les disperser dans Bruxelles. Initiative qui consiste à placer ces opus réalisés sur dibond, mix d’aluminium et de matière plastique, en plein air. Protégés par un emballage qui résiste aux intempéries à la belge. Le temps qu’un passant, un chercheur, un fan de Michel Clair les déniche. L’artiste en est à sa 19e photo au gré de Bruxelles (la première a été déposée à la mi-mars). Il devrait encore y en avoir quatre ou cinq dans les prochaines semaines. Avis aux chasseurs d’images.

facebook.com/michel.clair

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire