CITOYENNETÉ

Des habitants du Brabant wallon ont réussi une expérience prometteuse: construire l’avenir de leur région en dépassant les intérêts personnels de chacun. Un exemple pour la Wallonie?

Le 19 mai dernier, une bouffée de jouvence démocratique a soufflé sous le chapiteau des Baladins du miroir, en déplacement à Namur. Un spectacle de cirque? Oui, mais d’un type inhabituel pour un lieu aussi festif: les spectateurs – qui portaient d’ailleurs très mal leur nom – ont parlé de la politique, au sens le plus noble du terme. Mais pas n’importe laquelle! Celle de l’aménagement du territoire, une matière réputée soumise à de nombreuses pressions. N’influence-t-elle pas directement le développement économique, tout en conditionnant à long terme la vie quotidienne de chacun: logement, mobilité, cadre de vie, etc.

Pour la première fois en Belgique, un panel de citoyens s’est réuni sur ce thème sensible et actuel. En effet, la révision générale des 23 plans de secteur wallons démarrera à la fin de cette année et cette oeuvre titanesque s’étalera sur cinq à sept longues années. Autant le dire clairement, ça va chauffer. Ne va-t-on pas réviser, parfois de fond en comble, l’affectation spatiale des diverses activités humaines, en recoloriant les zones réservées à ces dernières? Il n’en fallait pas plus pour faire bondir d’intérêt la Fondation pour les générations futures (FGF) qui, depuis sa création, en 1998, fait du thème du « développement soutenable » son cheval de bataille.

Son idée, reprise par les ministres Michel Foret (Aménagement, PRL) et José Daras (Mobilité, Ecolo): donner la parole à des citoyens sur l’avenir de leur région (ici, le Brabant wallon, soit 2 plans de secteur). Mais pas n’importe comment: en les bombardant (62 « panellistes » ont été retenus) d’informations sur des matières qui leur étaient parfois totalement inconnues; en leur proposant d’inviter à leur table les « forces vives » et les hommes politiques de leur choix; en les conviant, enfin, à modifier le plan de secteur d’un village imaginaire: comment y accueillir 300 ménages supplémentaires, 5 PME, une moyenne surface, un atelier d’engraissement, tout en évitant les problèmes de voisinage et d’engorgement routier? Joli casse-tête, lorsqu’on est instituteur, cadre, marchand ambulant, officier à la retraite, femme au foyer ou étudiante (la plus jeune « panelliste » avait 17 ans)!

Et ce ne fut pas triste. Pendant quatre journées très chargées, ces citoyens se sont plongés dans les dossiers ardus du Réseau express régional (RER), des zonings artisanaux, du cadre de vie et du développement durable. A la fin de leurs travaux, sous ce petit coin du Brabant qu’est le chapiteau des Baladins, on a manifestement senti que cette expérience inédite de démocratie participative avait été aussi éprouvante que profondément emballante et humainement riche. « Recevoir une brochure d’information de sa commune ou de la Région wallonne, c’est une chose, résumait un participant. Mais rencontrer et écouter directement des décideurs locaux, c’est tout à fait différent: parfois, on est tombé à la renverse en découvrant leur vision des choses, parfois, on a retrouvé la foi dans la politique et l’enthousiasme à construire des projets. »

Que veulent, à l’issue de leurs cogitations, ces 31 femmes et ces 31 hommes de Wavre, Perwez, Nivelles, Incourt, Braine-le-Château…. (1)? Ils souhaitent – sans surprise – la protection des paysages et du patrimoine bâti des villages, mais aussi une agriculture de qualité. Ils rêvent de l’entretien correct des trottoirs, de la sécurisation des pistes cyclables et de la limitation de la circulation automobile dans les centres-villes. Beaucoup de leurs suggestions sont en accord avec les projets ou les réalisations politiques du moment: le RER, la multimodalité (coordination train/voiture), l’intégration des logements sociaux dans les villages et les quartiers (au lieu des cités-ghettos), le recentrage de l’urbanisation (à la place des cordons de constructions le long des routes flamandes)…

De leur avis émane aussi une nette préoccupation sur l’accessibilité au logement (très cher en Brabant) et la volonté, surtout, de se démarquer de l’image de « ghetto de riches ». La réussite (parfois toute relative) de leur province devrait pouvoir profiter à d’autres régions. Si nombre de leurs propositions semblent assez consensuelles, certaines sont plus audacieuses et entrent de plein-pied dans des débats (ou des brûlots…) très techniques. C’est le cas, par exemple, de l’idée d’une cotisation perçue auprès des entreprises, au profit d’un fonds destiné à l’assainissement des sites industriels désaffectés dont les propriétaires seraient insolvables. Mais, aussi, de l’affectation d’une partie des plus-values engrangées par la modification des plans de secteur (passage d’un terrain d’une zone non constructible vers une zone constructible) à un fonds d’indemnisation.

Ils manifestent aussi leur souhait de conserver les petites activités industrielles à proximité de l’habitat, leur refus de nouveaux axes routiers importants et, d’une façon très pertinente, leur lassitude face aux guéguerres que se livrent les communes pour attirer de nouveaux investisseurs ou habitants. Finalement, les 62 « panellistes » se sont montrés plutôt hostiles à une modification en profondeur des plans de secteur de leur province, « pour éviter les conflits et les frais inutiles ». Réaction – courtoise, mais ferme – de la représentante du ministre Michel Foret: « Ne faites-vous pas preuve d’un réflexe frileux de conservatisme? »

Un laboratoire intéressant, ce panel? Sans aucun doute. Surtout par la familiarisation de ce public très hétéroclite à la difficulté de l’arbitrage politique. Une partie du monde des décideurs est convaincue que l’information du citoyen doit se réaliser beaucoup plus en amont de la décision finale. Et pas lorsque tout est quasiment bouclé, ce qui exacerbe les réflexes de type « Nimby » (« Pas dans mon jardin »). Encore faut-il déployer des trésors d’ingéniosité, dans cet exercice de citoyenneté active, pour éviter que seules les personnes avec un niveau de formation assez élevé soient impliquées.

En tout cas, les deux ministres co-organisateurs l’ont promis: l’avis de ce panel sera pris en compte et « nourrira la procédure classique de consultation de la population, sans s’y substituer ». Les participants ont pris acte, tout en restant très à cran sur le risque de devenir des alibis de la participation. Et ils n’ont pas tort: comment concilier ce genre d’expérience avec le programme du gouvernement, qui consiste à « alléger les procédures administratives » autour de la révision des plans? Un panel comme celui-ci (il en existe déjà au Danemark, en Suisse, en Allemagne, etc.) est plus que vivifiant, comme outil de renouvellement de la démocratie. Mais pas vraiment « léger » à mettre en place.

(1) La plupart des secteurs professionnels étaient représentés. La moitié des participants n’avait pas de diplôme d’études supérieures.

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