Cinquante nuances de Roselyne

Il y a une vie après la politique. Celle de l’ex-ministre Bachelot passe par la télé et par cette émission de D8 dans laquelle elle rayonne. Portrait d’une femme éclectique, entre talons aiguilles, recettes d’insectes et commission sur la réforme des institutions.

Depuis quelques jours, elle affronte l’aube sans ses peintures de guerre. Pourtant, Dieu sait qu’elle déteste ça, Roselyne Bachelot – sortir pas coiffée, pas maquillée, les yeux un peu cernés, les lèvres à peine ourléesà A 8 heures tapantes, elle s’engouffre dans la voiture qui l’attend en bas de chez elle.  » J’ai une tête à faire peur. Mais je suis obligée d’arriver sans rien sur le nez, pour qu’il y ait une unité de maquillage entre les cinq filles de l’émission ! Du coup, moi qui suis une pro du métro, je vais aux studios en taxi. Pas question que les gens dehors me voient dans cet état.  » Ce matin, elle tousse un peu. Un mauvais rhume qui lui est tombé sur la poitrine. Sanglée dans son manteau à collerette, une broche en or épinglée haut sur l’épaule de son tailleur noir, tandis que les maillons dorés des anses de son sac à main brillent dans la pénombre de l’habitacle, Roselyne Bachelot ressemble à ce qu’elle n’est pas : une bourgeoise sexagénaire rangée des affaires.

 » Les vieilles qui s’accrochent, c’est pathétique « 

Elle a quitté la politique après trente ans de carrière, parce que  » les vieilles qui s’accrochent, c’est pathétique  » – elle répète les mêmes mots à tous ceux qui l’interrogent sur sa nouvelle vie. Avant l’été, le service public lui a proposé d’animer une émission politique à une heure de grande écoute, elle a refusé : ce qu’elle veut, maintenant, c’est s’amuser, prendre son pied. Devenir une star de la télé pas coincée, elle que son naturel et son franc-parler ont toujours prédisposée au show médiatique. Quand Laurence Ferrari l’a appelée pour Le Grand 8, Bachelot a accepté quasiment tout de suite. Bonne pioche : depuis le lancement de l’émission, c’est elle qui prend la lumière, juchée sur ses chaussures  » de pute  » ou lancée dans une lecture  » version porno  » de l’adaptation française de Fifty Shades of Grey (Cinquante Nuances de Grey), le best-seller érotico-culcul de la Britannique E. L. James.  » Je sens son sexe qui me défonce « , déclame-t-elle à l’antenne, pâmée. Avant de se rasseoir et de conclure :  » C’est vraiment de la daube, ce truc !  »

Ses anciens camarades de banc peuvent bien moquer cette reconversion, froncer du nez en parlant d' » animatrice télé  » qui décrédibilise l’élue qu’elle a été, la nouvelle star s’en contrecarre :  » De toute façon, je ne suis jamais entrée dans leurs cases. Je ne leur dois rien ! Quand je portais une parole publique, j’évitais les émissions de divertissement. Maintenant, je fais ce que je veux, je suis libre.  » D’ailleurs, elle a créé sa propre entreprise, RBN Conseil, afin de ne pas être salariée de la chaîne. Ce qui ne l’empêche pas, comme tous les animateurs chroniqueurs de D8, de toucher un très gros salaire, dont elle refuse de donner le montant :  » Je gagne ce que gagnent les autres, point final.  » Pour adoucir le propos, elle insiste, baissant un regard soudain modeste :  » Je me contente de peu, vous savez. Tout le reste, je le donne à mon fils. « 

 » Trente ans que je réponds aux mêmes conneries ! « 

Roselyne, femme de c£ur et pas femme d’argentà Avoir l’air sympathique, un don que trente ans de vie publique lui ont appris à cultiver. Tous ceux qui se sont fiés à son allure bonhomme, son air chaleureux, son visage toujours avenant ont rapidement compris leur erreur :  » Bachelot, c’est une tueuse, dit un député français de droite qui la connaît bien. Une dure, une vraie. Méchante sans états d’âme chaque fois qu’il a fallu l’être. « 

 » On ne fait pas une carrière politique comme la sienne en étant une oie blanche, la défend son amie l’ancienne ministre Valérie Pécresse. Elle s’est trouvée dans des situations d’une violence terrible et elle a agi en conséquence, c’est tout. C’est aussi une femme qui a une vraie générosité, capable d’une grande empathie avec les gens. Roselyne, c’est quelqu’un d’à part. « 

A part, mais douée d’une faculté remarquable pour s’adapter : Bachelot a intégré les codes de la télé avec une immédiate facilité, à tu et à toi avec tous ceux qu’elle croise,  » Bonjour, moi c’est Roselyne, enchantée « , très à l’aise dans un rôle de  » gentille  » qu’elle surjoue avec des yeux papillonnants et cette voix un peu perchée qui la caractérise :  » J’aime les gens pour leur bonté, vous comprenez ?  » La voilà qui claque le baiser à un invité dans le public. Plus tard, elle constate, sans fard :  » Il puait, mais je me suis sentie obligée. Après tout, Jésus sur la croix ne devait pas sentir la rose.  » Sainte Roselyne sait simuler. Ce matin-là, elle est filmée pour la campagne qui encourage le dépistage du cancer du sein.  » Ça tourne !  » Elle est enthousiaste, impeccable. La prise dure trente secondes, parfaite.  » On la refait !  » lance le caméraman.  » Ah ça, certainement pas ! répond Bachelot en enlevant son micro. Je suis une femme politique, une journaliste ; pas une comédienne !  » Elle tourne les talons aussi sec, laissant l’équipe sans voix. A Laurence Ferrari, qui s’agace des questions un peu convenues d’une journaliste, elle lance :  » Ma chérie, il va falloir t’y faire. Moi, ça fait trente ans que je réponds aux mêmes conneries !  » Parmi ses  » copines  » de banquette, quadras filiformes au top des tendances, elle adore détonner. Provocatrice dans l’âme, elle réclame plus d’ail dans le pesto quand les autres poussent de petits cris dégoûtés, parle longueur de pénis, égrillarde à volonté, exhibitionniste décomplexée – le preneur de son veut l' » équiper  » du micro ? Elle descend illico la fermeture Eclair de sa veste, qui s’ouvre sur une combinaison léopard et un décolleté généreux :  » Allez-y !  » Il faut un ourlet à sa jupe ? Hop, la voilà en collant, toutes portes ouvertes :  » Je me mets bien en maillot à la plage ; c’est quoi, la différence ? « 

Si les téléspectateurs sont surpris de la facilité avec laquelle les animateurs et les chroniqueurs de D8 peuvent l’embrasser sur la bouche en direct sans qu’elle joue les effarouchées, les politiques y sont habitués : l’humour carabin de Roselyne Bachelot a fait sa célébrité.  » Jamais je n’ai entendu quelqu’un raconter des trucs si culs et si grossiers « , assure un ancien ministre UMP. Sa célébrité va bien au-delà de son camp : les députés européens de gauche qui ont eu, un jour, l’occasion de prendre le Thalys à son côté s’en souviennent encore. Comme ces journalistes qu’elle recevait dans son bureau de ministre de la Santé et à qui elle sortit du tiroir un calendrier d’hommes nus fort bien pourvus :  » Je le regarde quand je n’ai pas le moral, ça me fait du bien ! « 

Adoubée par Hollande et Jospin

Sans doute modère-t-elle cette heureuse nature au sein de la commission Jospin, qui planche sur la rénovation et la déontologie de la vie publique française et qu’elle a intégrée en juillet :  » C’est un choix du président de la République, mais je l’approuve !  » lui a signifié l’ancien Premier ministre socialiste en l’accueillant. Depuis, Roselyne Bachelot, qui apprécie d’être appréciée, évoque très volontiers  » Lionel  » –  » J’en ai parlé avec Lionel « ,  » Comme Lionel, je pense queà  » -, même si elle lui donne du  » monsieur le Premier ministre  » lorsqu’ils se croisent au bar du Lutetia. Quand le rapport aura été rendu, elle souligne qu’elle continuera d’exercer une activité intellectuelle : les reportages sur la manière d’accommoder des insectes et le dernier sport à la mode, ça ne remplit pas une vie. Elle prépare un livre sur les rapports père-fille dans l’£uvre de Verdi ; elle écrit des articles sur les sujets qui lui sont chers, comme le mariage homosexuel, dans des journaux d’information tout ce qu’il y a de plus sérieux ; elle rédige des critiques d’opéras – elle va au spectacle au moins une fois par semaine – ; elle participe à des colloques, comme celui prévu à Lyon sur le thème :  » Le sexe est-il un sujet politique ?  » Roselyne Bachelot est ouverte à tout. L’£il en coin :  » Maman disait : « Je me demande si cette extraordinaire tolérance n’est pas la forme la plus aiguë de ton complexe de supériorité. » « 

ELISE KARLIN

 » C’est une tueuse. Méchante sans états d’âme chaque fois qu’il a fallu l’être « 

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