CINÉMA

Louis Danvers Journaliste cinéma

Jean-Pierre Jeunet nous offre une perle de cinéma poétique avec Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain

« En fait, c’est mon premier film! » plaisante à moitié Jean-Pierre Jeunet en évoquant Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. Delicatessen et La Cité des enfants perdus furent, en effet, signés en duo avec Marc Caro, tandis qu’ Alien, la résurrection était une commande de la 20th Century Fox. Une chose est sûre: le nouveau film du cinéaste français possède cette qualité attendue en priorité d’une première oeuvre: elle vient droit du coeur et exprime ce que son auteur a de plus précieux à transmettre.

L’expérience accumulée par Jeunet lui permet d’éviter le côté « brouillon » qui marque souvent les premiers pas d’un néophyte. Le jaillissement sincère, l’inspiration intime s’accompagnent dans Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain d’une maîtrise impressionnante des moyens créatifs. De quoi faire une pure merveille d’imagination, d’humour, d’émotion et d’originalité. Sans doute le plus beau film français de ce début de millénaire.

Tel un funambule

Amélie Poulain est une jeune fille timide. Serveuse dans un café parisien, elle se dérobe au contact des autres mais n’en aime pas moins les gens. L’idée va lui venir de jouer les bonnes fées en « arrangeant » ces vies qu’elle voit trop souvent s’égarer vers la solitude et la déception. Multipliant les stratagèmes et domptant le hasard, Amélie va ainsi aider tels coeurs solitaires, tel faible humilié, tenant tantôt le rôle de marieuse, tantôt celui de justicière. Reste à savoir comment la jeune fille trouvera elle-même ce chemin du bonheur qu’elle trace et balise avec tant de talent pour les autres. L’apparition fortuite dans sa vie d’un jeune homme étrange, collectionneur de photos d’identité ratées, fournira le début d’une réponse…

« La gestation de ce film a en fait commencé en 1974, à mon arrivée à Paris, confie Jean-Pierre Jeunet. Je m’étais mis à prendre des notes, répertoriant des idées qui me venaient et des anecdotes vécues, vues ou entendues. Les bouts de papier sont devenus des carnets, les carnets ont été rangés dans des boîtes, car je suis méticuleux. Au moment d’entreprendre l’écriture du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain avec mon coscénariste Guillaume Laurant, c’est dans cette matière abondante que je suis retourné fouiner. En tâtonnant, d’abord, durant des mois. Mais, lorsque je suis retombé sur l’idée de la fille qui change la vie des autres, j’ai su que je tenais le centre du film à venir. » Des anecdotes, Jeunet en a plus d’une, épatantes, comme celle (non retenue dans le film) de ce rocker dont les portes du métro, en se refermant, avaient coincé la  » banane  » et qui, humilié, n’osait plus bouger…

« J’avais aussi la volonté de montrer Paris comme on ne l’avait jamais vu, explique le cinéaste. Cela passait par les repérages, puis, par la modification des lieux réels, soit sur le terrain même (changement de couleurs, enlèvement des voitures, substitution de panneaux publicitaires, etc.), soit après tournage en utilisant les techniques numériques pour effacer tel ou tel élément du décor, ou alors pour éclairer ou assombrir un ciel. » Un des petits miracles du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain est d’avoir su conjuguer intimement, parfaitement, un extraordinaire travail sur l’artifice avec un récit profondément humain, aux résonances émotionnelles intenses. « J’ai sauté la barrière des sentiments! » s’exclame le réalisateur, avouant qu’il lui arrivait trop régulièrement, auparavant, de s’intéresser bien plus à l’atmosphère visuelle de ses films qu’à leurs personnages. Dans Le Fabuleux Destin…, Jeunet avance tel un funambule, un fildefériste en équilibre délicat et qui jamais ne tombe, réussissant la difficile et périlleuse balance entre réel et imaginaire, quotidien et poésie, émotion et humour. Sur un mode narratif on ne peut plus contemporain, il s’inscrit dans la filiation d’un certain cinéma des années 30, où Prévert et Carné faisaient déjà chanter rues et bistrots, alliant verve populaire et sens artistique aigu.

Jeux de piste

A l’origine, c’est Emily Watson qui devait incarner Amélie. Pour des raisons qui lui appartiennent, la formidable interprète de Breaking the Waves a fini par renoncer. A l’étonnement de beaucoup, qui la trouvaient trop jeune pour le rôle, c’est alors Audrey Tautou qu’a choisie Jeunet. L’ingénue de Vénus Beauté est entrée dans l’univers unique du cinéaste avec une aisance et une justesse confondante. Autour d’elle, on retrouve un Mathieu Kassovitz en parfait jeune premier et une galerie de seconds rôles plus craquants et gratinés les uns que les autres. « J’aurais tant aimé tourner avec un Louis Jouvet, un Michel Simon, et avec tous ces comédiens qui faisaient des « tronches » dans leurs films. Alors je me suis trouvé les tronches dont je rêvais avec des gens comme Dominique Pinon, Rufus, Yolande Moreau, Serge Merlin, Claire Maurier, Jamel Debouze ou Urbain Cancellier, un acteur que j’ai découvert… dans une pub pour Renault! » Tous ces personnages hauts en couleur et en gueule tissent la trame humaine du Fabuleux Destin…, au fil d’apparitions drôles ou poignantes. Le tout étant ficelé par une voix « off » commentant le récit et admirablement dite par André Dussollier.

Entre autres plaisirs offerts au spectateur, Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain propose de partager un état d’émerveillement devant une réalité revue et corrigée par l’imagination. Avec son film, Jean-Pierre Jeunet nous dit qu’il peut suffire de pas grand-chose pour donner au quotidien une touche de magie. « Je crois aux petits bonheurs, déclare le cinéaste, comme celui de plonger la main dans un sac de grains, chose que j’adore faire et que fait aussi Amélie dans le film. Le réel est riche de poésie pour autant que vous y projetiez un peu de votre imaginaire, de votre sens ludique. Avec mes petites amies, je provoquais sans cesse des jeux comme vous en voyez dans le film. Elles rentraient et trouvaient une flèche sur le sol, menant vers un meuble où se trouvait une cassette vidéo sur laquelle je m’adressais à elles en indiquant une autre source d’information, avec au bout de la piste une heure et un lieu de rendez-vous, par exemple…  »

En totale harmonie avec son nouveau film, Jean-Pierre Jeunet vient de signer l’oeuvre la plus personnelle et la plus délectable du cinéma français récent. Le charme fou du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain lui vaudra sans aucun doute un succès tant public que critique. Celui qu’avaient blessé les attaques parfois méchantes contre La Cité des enfants perdus aurait facilement pu poursuivre sa carrière à Hollywood, où la réussite d’ Alien, la résurrection lui vaut un statut enviable. Il a préféré revenir au bercail et trouver au coeur du Paris qu’il aime la matière d’un film aux résonances universelles, un film qui émerveillera, touchera, rendra heureux des millions de spectateurs, bien au-delà du seul public francophone.

Louis Danvers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire