© Laszlo Ruszka/Getty Images

Cinéastes à bas prix

Dur dur, de faire du documentaire en Belgique francophone. Une étude met en chiffres cette misère.

Ils et elles ne font pas du cinéma pour l’argent. Ils n’auraient, sinon, pas choisi la voie du documentaire. Ni celle d’une démarche questionnant le réel avec toute l’attention critique qu’il justifie. Aujourd’hui peut-être plus que jamais. Pour autant, ils n’ont pas mérité la précarité dans laquelle une grande majorité d’entre elles et d’entre eux vivent ou plutôt survivent aujourd’hui. La rétribution moyenne pour la réalisation d’un film s’élevant (on ose à peine le terme…) à un royal 400 euros par mois, 300 en tenant compte des retenues et pour comparer avec ce que peut gagner un employé ! Un chiffre calculé par l’étude que la Scam, société de gestion des droits d’auteur, vient de consacrer à la situation de nos documentaristes. Et ce sous le titre ironique Un métier de nantis ? (1).

L’état des lieux, alimenté par les réponses à un questionnaire et à des entretiens personnalisés avec les auteurs, révèle un malaise essentiel, intimement lié à des conditions de survie qui font dire à une réalisatrice :  » Si la culture tient en Belgique, c’est parce qu’il y a l’Onem…  » Le chômage est en effet le lot de beaucoup, un  » vrai  » métier à côté du documentaire s’imposant à plus d’un, tant il semble impossible aujourd’hui de subsister matériellement en faisant ce travail pourtant exaltant, nécessaire. En cause, des difficultés de financement permanentes, aggravées par les inquiétudes liées au renouvellement du contrat de gestion de la RTBF, diffuseur numéro un dont on se souvient qu’il sut soutenir grandement, en son temps, une création documentaire diffusée dans de bons et abondants créneaux.

Déficit démocratique

Pourtant le documentaire belge francophone continue à truster les prix dans les festivals internationaux, confirmant la richesse créatrice d’un domaine inauguré chez nous par Henri Storck et où s’illustrèrent aussi Chantal Akerman, Mary Jimenez, Richard Olivier et Boris Lehman, entre autres. Mais les prix en question, indispensables à la diffusion de leurs films, coûtent souvent cher aux cinéastes quand ils doivent financer voyage et logement. Des éléments peu ou pas pris en compte, comme aussi et surtout le temps pris à préparer chaque film. L’un des réalisateurs de l’enquête se compare ainsi à  » une machine à dossiers « , dénonçant le parcours du combattant consistant à remplir des dossiers pour producteurs, diffuseurs et pouvoirs publics (à en devenir  » subsidiologue  » – un néologisme accablant). Tant de papier, pour  » avoir le film à l’avance  » alors que la nature même du documentaire,  » matière vivante « , est de s’incarner au tournage…

Face à un discours ambiant qui consisterait à pointer la  » tendance  » à la récrimination des acteurs culturels, il n’est sans doute pas inutile de rappeler que les documentaristes font, filment et offrent des reflets du réel qui nourrissent l’ouverture, qui proposent du sens. Il y aurait bel et bien déficit démocratique à ne pas les entendre quand ils expriment un mal-être économique, une absence de reconnaissance, sans pour autant céder au découragement. Subsidier la culture, la diffuser dans le cadre de missions de service public, sont des actes dont peut s’honorer notre société. Car tout n’est pas marchandise. Et la précarisation du travail progresse partout. Un bon et fort sujet pour un documentaire…

(1) http://bit.ly/2rQZfAe

Par Louis Danvers

 » Si la culture tient en Belgique, c’est parce qu’il y a l’Onem…  »

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