CHANSON

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Sur un lit de velours rhythm’n’blues, Guy Marchand murmure l’amour à l’oreille des femmes. Enquête sur un crooner, en tournée chez nous

« Voilà ce que France-Soir publie ce matin! rit Guy Marchand: « Vieux crooner ringard utilisant des violons dégoulinants »! Alors que le mec qui a écrit la partition des violons a dirigé le Philharmonique de Londres et est un des meilleurs jazzmen du moment… Séparés, les termes « ringard » et « crooner » ne me gênent pas, mais, mis ensemble, si! » Voyez donc comme les journalistes sont cruels, alors que L’homme qui murmure à l’oreille des femmes est un disque drôle et charmant, nappé de rhythm’n’blues cossu traquant des violons, certes sentimentaux, mais toujours placés à bon escient. « On a essayé de faire un peu comme les fantaisistes américains, qui faisaient de la légèreté avec infiniment de travail derrière, au niveau de l’harmonie. C’est pour cela que j’ai fait un hommage à Barry White, ce gros bonhomme qui transpire sur scène avec ses propos légers et son jazz très contrôlé… »

Un peu marri d’apprendre qu’il n’est pas le premier à tirer son chapeau à Big White (Fun Lovin Criminals l’a déjà fait), Guy Marchand reste enthousiaste à l’idée de ses épanchements de baryton léger qui aime « travailler sa glotte ». Et chanter, en ouverture de son disque, le très significatif Ouvrier de l’amour. « Ouvrier spécialisé, mais jamais syndiqué ni en grève, précise-t-il en riant. Cet album est une exposition de mon obsession sexuelle qui remonte à ce moment de mon enfance – je devais avoir 8 ans – où j’ai vu une petite fille nue. Attention! je n’aime pas l’amour donjuanesque, celui qui va de femme en femme, parce que ça, ce n’est pas aimer les femmes, mais s’aimer soi! » Amoureux professionnel, Marchand raconte délicieusement l’inaltérable émotion de « voir une femme qui traverse la chambre en ondulant »: « Je me rends compte de ma fragilité et de mon impuissance. Cette obsession devient alors souffrance, mais il ne faut pas que cette souffrance arrive au fusil d’Hemingway. »

Dernier tango à Paris

Le disque, qui s’écoule comme une longue dérive noctambule entre jazz, rhythmn’n’blues et chanson, se conclut néanmoins par un coup de rein latin, Mon Dernier Tango. « Après mûre réflexion et constatation de mes analyses d’urine, de sang et examen de diverses radios, je suis tango. Comme on est catholique pratiquant ou maniaco-dépressif. » C’est plus fort que lui, le tango donne à Marchand le goût de l’espagnol et des cabarets de Buenos Aires. Loin des maniaqueries puristes, mais avec toute l’architecture musicale qui rend le tango sensuel. Pour quelqu’un d’aussi peu concerné par la discipline, le tango est devenu une exigeante danseuse: « C’est sans doute parce que le tango est le blues absolu que j’en ai accepté la discipline sans fin! »

Il faut dire que la carrière chantée du légionnaire Marchand a démarré sur le coup d’une espagnolade inattendue, La Passionata, énorme tube en 1965. « Je l’ai écrit en Algérie avant l’indépendance, pour déconner. Quelques années plus tard, j’étais délégué militaire sur le tournage du Jour le plus long. Je fredonnais la chanson sur le plateau et on m’a dit de monter tout de suite à Paris la proposer à Barclay. Ce que j’ai fait: je suis passé directement de la tenue de camouflage à la tenue de rocker. » Succès immédiat, Olympia, tournée avec Adamo et… glandouille notoire: « Après, j’ai rien foutu, j’avais une moto, des sourires de jeune fille et j’étais heureux comme un pape. Mon père, garagiste le jour, régisseur à Bobino la nuit, m’a donné une dose pathologique de liberté! » Une des raisons de la pérennité de Guy Marchand en Nestor Burma télévisuel: « La télé, c’est bien, parce qu’il faut moins attendre qu’au cinéma. Je suis un acteur de série B, j’aime faire les films en vingt jours pas en six mois. Le génie, c’est fatigant. » Parole d’obsédé sexuel!

CD L’homme qui murmurait à l’oreille des femmes, chez EMI. En concert, le 9 mars au Théâtre royal de Namur, le 10 à la maison de la culture d’Arlon, et le 17 au théâtre 140, à Bruxelles (tél.: 02-733 97 08).

Philippe Cornet

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