Changement d’ère au Belang

Pour le Vlaams Belang, la période des succès sans limite paraît révolue. Cela rend l’extrême droite nerveuse et encore plus radicale.

Qui est président du Vlaams Belang ? Question piège, même pour des étudiants en science politique. En fonction depuis un peu plus d’un an, Bruno Valkeniers reste une énigme. Qui a entendu prononcer le nom de ce Valkeniers, un homme d’affaires anversois, né à Bruxelles il y a bientôt 54 ans ? L’oiseau ne s’est imposé ni auprès du grand public, ni chez les militants de l’extrême droite flamande, qui le lui font sentir. Aucun fait d’armes, aucune déclaration  » choc « . Etonnant quand on préside un parti censé bousculer le paysage politique… Signe des temps : les anciens champions du populisme, jouant la carte de la personnalisation, sont battus sur leur propre terrain. La Flandre n’a d’yeux que pour le nouvel agitateur formant un parti à lui seul, incarnant l’antipolitisme qui gagne du terrain et le rejet de toutes les convenances : le trublion Jean-Marie Dedecker, dont la prétention n’est sans doute pas de battre le  » Belang « , mais, à tout le moins, de l’envoyer dans l’armoire aux souvenirs. Aux côtés de l’ultramédiatique Dedecker, pourtant un vétéran proche de la soixantaine, même la locomotive électorale Filip Dewinter paraît rouillée, prise de vitesse, presque pathétique.

Dewinter ? Le  » phénomène  » des années 1990 et du début de la décennie actuelle. Notre Le Pen à nous. Un Jörg Haider bien fringué, au sourire carnassier, qui allait  » prendre  » Anvers, accéder au pouvoir régional et, qui sait ?, envoyer son bon de sortie à la famille royale de Belgique. On est loin du compte. Dewinter a échoué sur toute la ligne. Le scrutin régional et européen du dimanche 7 juin pourrait confirmer la défaite cuisante des fédérales de juin 2007, où, pour la première fois, l’envolée des extrémistes avait été enrayée. Deux grandes déceptions d’affilée, à l’échelle de cette Flandre qu’on lui jurait promise : le Vlaams Belang tremble sur ses bases. Déjà battu par le socialiste Patrick Janssens, redevenu bourgmestre d’Anvers, aux communales de 2006, Filip Dewinter s’en remettrait difficilement. Après autant d’arrogance, n’importe quel autre leader politique serait poussé vers la sortie.

Voter pour eux ne sert à rien

Nul ne pourra dire avec exactitude qui a stoppé la course de l’extrême droite flamande. Serait-ce Dedecker ou le  » cordon sanitaire « , cet engagement des partis démocratiques signé en 1989 pour faire barrage aux extrémistes et qui consiste à empêcher toute alliance avec eux, à quelque niveau de pouvoir que ce soit ? Le cordon a longtemps été controversé. Ses détracteurs jugent qu’il a contribué à diaboliser, à victimiser le Vlaams Blok, rebaptisé Vlaams Belang en 2004, juste après une cinglante condamnation pour racisme, devant la cour d’appel de Gand. On peut toutefois l’écrire aujourd’hui : la mise en quarantaine du parti  » brun  » a fonctionné à la perfection. Dans aucun recoin de Flandre, nulle part et jamais, on n’a dû constater l’arrivée au pouvoir d’un quelconque bourgmestre, échevin ou patron d’intercommunale défendant les couleurs du Vlaams Blok/Vlaams Belang. Le cordon a résisté à toutes les intempéries, même si son esprit a parfois été souillé – ses concepteurs préconisaient aussi un bannissement du parti dans les grands médias et le renoncement à tout travail d’opposition en commun, au sein des enceintes parlementaires. Si bien qu’au seuil d’un nouveau passage aux urnes, Valkeniers, Dewinter ou Gerolf Annemans, chef du groupe VB à la Chambre fédérale, ont mérité l’étiquette de  » losers  » qui leur colle depuis peu à la peau. D’eux, on a l’intuition qu’ils ne gouverneront jamais. Que leur combat restera stérile en tout point. Qu’ils n’auront été qu’un épouvantail. Bref, qu’il ne sert à rien de voter pour eux, si ce n’est pour émettre un signal de protestation.

Mais il y a l’autre hypothèse. L’échec électoral de 2007 serait un simple accident de l’histoire, indépendant de tout processus d’érosion, incontestable mais mineur. C’est la comète Dedecker qui aurait percuté le Belang et miné la confiance des partisans, au point de provoquer, ces derniers mois, une lente fuite des  » cerveaux  » vers la LDD (Lijst Dedecker). Autant le dire : si ça se confirme, le camp des démocrates aurait tout intérêt à se méfier. Depuis le premier  » dimanche noir « , celui du 24 novembre 1991, les idées de la droite extrême, raciste et xénophobe, aujourd’hui incapable de renoncer à son programme de renvoi au pays de l’importante communauté immigrée, ont contaminé la Flandre profonde. Tous les politologues l’admettent : le parti de Dewinter a déterminé l’agenda politique, imposé ses thèmes de prédilection (et rendu tabous les autres), forcé toutes les autres formations politiques à se radicaliser sur le plan institutionnel. La Flandre déteste ce constat, mais il paraît évident que le Nord aurait un autre profil, plus consensuel et ouvert, aujourd’hui, s’il n’avait tremblé durant plus de quinze ans à la perspective d’une arrivée au pouvoir de Dewinter et consorts. Lesquels ont ouvert une brèche permettant à des populistes comme Dedecker de s’engouffrer.

Or que donneraient à l’avenir des alliances ponctuelles ou structurelles entre les uns et les autres, entre les extrémistes du VB et les radicaux de droite de la LDD ? Quel serait le poids politique de ce front flamand que les nationalistes de la N-VA (Nieuw-Vlaamse Alliantie) pourraient rejoindre dès qu’il s’agirait d’évoquer l’avenir institutionnel du pays ? Les partis traditionnels s’en font des sueurs froides, obligés de planifier de plus en plus grandes coalitions hétéroclites pour faire obstruction. Bien sûr, à l’image de  » Forza Flandria « , projet mort-né il y a un an, les rapprochements de ce type ont échoué jusqu’à présent. Mais, au Vlaams Belang, on y travaillerait chaque jour qui passe.

PHILIPPE ENGELS

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