Chamfort version Duvall

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Reprenant ses tubes Manureva ou Bambou en duo avec Keren Ann ou Camélia Jordana, Alain Chamfort choisit dans ce best of masculin-féminin cinq titres – sur douze – écrits avec Jacques Duvall, le grand Belge. Rencontre sur canapé.

Sur le sofa d’un hôtel design bruxellois, alors que Jacques Duvall tente un improbable cocktail au gingembre , Alain Chamfort choisit un rouge chilien, continuant une conversation entamée il y a trois décennies, précisément avec le titre Paradis, paru au printemps 1981 sur l’album Amour année zéro. Si le prétexte du jour est une compilation de standards chamfortiens réenregistrés avec des partenaires féminins ( Elles & lui, Universal), c’est bien la complicité des deux proto-sexagénaires – Alain est né en mars 1949, Jacques en août 1952 – qui prime.

Le Vif/L’Express : Comment s’est passée votre première rencontre ?

Alain Chamfort : C’était à un moment de la collaboration avec Gainsbourg où cela commençait à se passer moins bien, il avait écrit un texte, Souviens-toi de m’oublier et puis il m’a annoncé qu’il en faisait une chanson pour Catherine Deneuve. Wanda [NDLR : Lio, sa compagne de l’époque] m’a alors proposé de travailler avec Jacques qui ferait très bien le texte manquant. Pour moi, quitter Gainsbourg, avec lequel j’avais créé Manureva et Bambou, c’était un peu comme quitter Dieu, et il me semblait impossible de revenir vers un auteur de la période Flèche (le label de Claude François où Chamfort fit entre 1972 et 1975, ses premiers disques [NDLR : de variété].

Comment sentiez-vous l’oiseau Duvall ?

AC : Je trouvais le premier album de Lio [NDLR : écrit par Jacques Duvall et Jay Alanski], magnifique, frais et intelligent par rapport à l’époque, on sentait qu’il avait quelque chose de particulier. Mais Jacques, à l’époque, n’allait pas vers les autres.

Jacques Duvall : Quand j’ai commencé avec Lio, on était sectaires, on imaginait qu’on allait sauver le monde de la variété française [rires]. Wanda et moi avions repéré l’album d’Alain, Rock’n’rose, sa première collaboration avec Gainsbourg, très originale, sortie en 1977. Avec BBH 75 d’Higelin, cet album de Chamfort annonçait la génération suivante, les Daho et consorts.

Jacques m’a souvent dit que votre travail commun était exigeant, que vous aviez un sens développé du détail et du mot !

JD : La seule collaboration un peu difficile a été sur Tendres fièvres où Wanda était encore là. Lorsqu’on s’est retrouvé à deux, cela a été plus simple : je ne le faisais plus  » pour faire plaisir  » à Wanda et lui non plus ! Un moment, je me suis rendu compte que, pour moi, Alain était plus ou moins l’interprète idéal de la chanson française : on a pas mal de défauts en commun et ce qui m’intéresse dans les chansons, c’est précisément les défauts. Lui était prêt à les explorer alors que la plupart des interprètes tiennent à apparaître triomphants, généreux.

Alain, l’ironie certaine de Jacques, son côté assez belge d’autosabotage amoureux permanent, est-il d’emblée apparu intéressant ?

AC : Quand il prenait les thèmes des chansons, ce n’était jamais l’angle attendu. Il a fallu que je comprenne pourquoi il me proposait cela ! Je lui faisais part d’une idée et puis, deux jours plus tard, il me rappelait avec quelque chose complètement à l’opposé [rires]. La confiance a remplacé le doute dès Trouble sorti en 1990. C’était une période de fusion, à trois, avec Marc [NDLR : Moulin, qui co-composera et produira plusieurs albums de Chamfort]. J’aimais beaucoup son intelligence d’analyse, son humour, et je ne connaissais personne à Paris avec qui j’avais ce genre de discussion. On était vraiment solidaires et porteurs d’un projet en commun ! Je me sentais dans une famille avec ces deux types-là ! Et puis il y a eu ce voyage à La Nouvelle-Orléans : on avait réussi à convaincre le responsable de la maison de disques qu’il fallait aller en Louisiane pour trouver l’inspiration [rires]. On est parti dans des conditions magnifiques, avec un mec de la maison de disques, dépêché pour nous surveiller.

JD : Je crois que l’on n’a rien écrit du tout pendant ce séjour. Avant cela, on était passé à New York, rencontrant un soi-disant producteur de Prince qui s’est avéré être quatrième assistant, mais, en sortant le soir, on a complètement flashé sur le rap, qui en était à ses débuts. Marc nous a dit :  » Je peux faire cela sur des chansons !  » Sur les premiers essais photo de la pochette, la maison de disques avait mis une casquette de rapper sur la tête d’Alain [rires]…

Le trio à Bruxelles, c’était la distance nécessaire avec la broyeuse machine business parisienne ?

AC : Oui, j’avais l’impression d’échapper à la pression et la façon dont les gens font ce métier-là en France. J’avais travaillé avec ce qui est considéré comme la crème parisienne, Boris Bergman par exemple (parolier de Ba-shung) et franchement, cette équipe belge n’avait rien à leur envier. Au contraire, je montais d’un étage, dans un environnement de gens qui m’élevaient. Beaucoup plus amenés à franchir des paliers et à tenter des choses que cela n’aurait été possible avec qui que ce soit en France.

Une des cinq chansons reprises sur le nouveau disque est L’Ennemi dans la glace, mélodie parfaite, texte qui pose des questions dans un clip intrigant de Mondino : quelle est son histoire ?

AC : Dans mon imagination, cette musique me semblait partir sur une évocation amoureuse et là, le texte de Jacques, parlant de l’autre, renvoie à soi-même. JD : La sagesse orientale est basée là-dessus. Nous faisons la dualité et eux pensent que nous sommes juste un océan…

Première et dernière chanson bouddhiste de Chamfort- Duvall !

AC : C’est une chance inouïe dans ma vie d’avoir croisé Jacques ! Plus belle rencontre à mon avis que celle de Gainsbourg, même si cela me donne des complexes à tout jamais d’écrire des textes. Là, cela devient impossible jusqu’à la fin : je souhaite que Jacques vive très longtemps !

Ce nouveau disque de duos reprenant vos tubes en compagnie d’interprètes féminines, c’est…

AC : … Comment rejoindre une maison de disques après une période difficile de ce point de vue-là ! [rires]. L’idée de caster des jeunes filles était plutôt glamour et c’est vrai que cela passe sur les radios FM en France alors que les originales n’étaient plus que dans le répertoire de la nostalgie, écoutables sur les vieilles radios pour les gens de mon âge [sourire].

JD : On n’enlève rien, les originaux existent toujours, donc pourquoi pas ! Si les nouvelles peuvent toucher les gens et nous rapporter argent, gloire et beauté [rires]…

Maintenant, que va-t-il se passer entre vous ?

AC : Si jamais le succès de cet album permet d’enchaîner sur quelque chose d’autre, si jamais il y a un album de chansons inédites, on le fera ensemble. JD : On est à l’âge où on a appris que les infidélités, les projets menés en dehors de notre partenariat, nourrissent aussi notre travail commun…

PHILIPPE CORNET

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