» Ce sera une nouvelle histoire « 

Le président candidat a reçu Le Vif/L’Express à l’Elysée. S’il est réélu, il prendra des initiatives internationales dès l’été et pourrait organiser deux référendums avant la fin de l’année. Dernières cartouches avant le premier tour.

Le Vif/L’Express : Vous vous présentez à des élections depuis 1977, vous n’en aurez plus en ligne de mire après celle-ci. Qu’est-ce que cela change en vous ?

Nicolas Sarkozy : Je me souviens de l’émotion et de la fierté qui étaient les miennes quand j’ai été élu conseiller municipal de Neuilly, dernier de la liste ! J’avais 22 ans. Cette campagne de 2012 est ma dernière. Je l’ai voulu ainsi : il fallait mettre un terme à ces carrières qui n’en finissent plus. Ma sérénité est entière.

Un second mandat, est-ce plus de liberté ou un risque d’affaiblissement ?

Je ne crois pas au thème de l’affaiblissement, parce qu’il y a l’autorité morale du président. Une liberté, oui, mais une liberté très encadrée par les contre-pouvoirs : l’opinion publique, les élections intermédiaires, le Parlement. Il ne faut pas voir ce second mandat comme un continuum, ce sera une nouvelle histoire, dans un nouveau contexte.

Comprenez-vous qu’il puisse y avoir un désir d’alternance après dix ans de droite au pouvoir ?

Bien sûr, mais je m’inscris dans un paysage politique où la quasi-totalité des régions sont à gauche, où le Sénat est à gauche, où la majorité des médias est à gauche. Si la gauche remporte la présidentielle, elle aura tous les pouvoirs : médiatique, syndical, politiqueà Cela ne sera ni sain ni équilibré pour la République.

Un mot sur vos relations avec les syndicats : diriez-vous que les histoires d’amour finissent mal, en général ?

Je leur ai rendu hommage à plusieurs reprises. On a besoin de syndicats. Mais les Français doivent savoir que nous sommes le seul pays au monde où les syndicats font de la politique.

Laurence Parisot, la présidente du Medef (le patronat français) n’en fait-elle pas aussi quand elle rend hommage à votre politique ?

Elle a rendu hommage à la politique du gouvernement en faveur des entreprises, mais jamais elle n’a exprimé un choix politique.

En citant la situation de l’Espagne comme un contre-exemple, ne vous soumettez-vous pas à la loi des marchés ?

C’est un argument ridicule : le meilleur moyen d’échapper à la loi des marchés, c’est de rembourser ses dettes et de réduire ses déficits. J’ai refusé la rigueur, qui se traduit par la baisse des salaires et des pensions ; c’est ce qui a permis de conserver la croissance. Je continuerai à réduire les dépenses publiques, les effectifs dans la fonction publique et je ne toucherai pas à la réforme des retraites, qui rapporte 22 milliards d’euros de recettes. En 2017, l’assurance-vieillesse sera équilibrée. Cela me permet de dire aujourd’hui aux Français :  » Nous avons sauvé vos régimes de retraite, nous allons pouvoir payer vos pensions le premier de chaque mois au lieu du 8.  » Ce n’est pas aux retraités de faire la trésorerie de l’assurance-vieillesse.

Ce qui va coûter de l’argentà

Non, c’est de la trésorerie.

Mais vous allez devoir emprunter cet argent !

Du 1er au 8 de chaque mois seulement, et comme la Sécurité sociale, grâce à la réforme, a une trésorerie plus abondante, on peut assumer cette dépense modeste sans dégrader les comptes.

Ça coûte combien ?

Les avis divergent, mais c’est 200 millions par an au maximum.

C’est beaucoup !

Mais c’est juste ! Est-ce que vous considérez comme équitable que les retraités soient payés le 8 du mois, alors que les loyers, le gaz, l’électricité sont prélevés le 1er ? Cela fait plus de soixante ans que les retraités attendent que cette injustice soit réparée ! Un autre sujet me préoccupe, le surendettement : 1 million de personnes sont surendettées, dans l’immense majorité des cas parce qu’elles ont connu un accident de la vie, un licenciement économique, un divorce, un accident de santé, etc., et elles n’y sont pour rien. Aujourd’hui, ces familles traînent cette situation pendant des années avec le sentiment qu’elles ne pourront jamais s’en sortir. Pour ces personnes – attention, celles qui sont de bonne foi -, je demanderai à René Ricol [NDLR : le médiateur du crédit] de conduire des négociations avec les créanciers, comme je l’ai fait pour la Grèce ou pour les banques, notamment Dexia. Je proposerai que le système mosellan et alsacien de faillite civile s’applique à ces personnes. On négociera avec elles, on examinera leur patrimoine, on vendra ce qui peut l’être pour rembourser les dettes, tout en leur laissant le minimum pour vivre. Et ce qui ne peut être remboursé sera annulé. Ainsi, la question de leurs dettes sera réglée une fois pour toutes et elles pourront prendre un nouveau départ dans la vie. C’est le juge qui prononcera la faillite. Je créerai aussi un fichier positif : à partir du moment où vous vous endetterez, la banque connaîtra la réalité des dettes que vous avez contractées ailleurs. Cela permettra d’éviter qu’une famille ne contracte trop de dettes et se retrouve en situation de surendettement. C’est le système en vigueur dans presque tous les pays d’Europe. Les établissements de crédit seront ainsi placés face à leurs responsabilités dans le surendettement d’un certain nombre de personnes dont on a, au fond, joué des faiblesses. Alors que l’Europe et la France sont convalescentes, après cette succession de crises, c’est le moment de donner cette chance à toutes ces familles engluées dans le surendettement. J’ajoute que, au fond, il me semble juste de leur dire :  » Voilà, ce que l’on a fait pour des pays, pour des banques, il est équitable de le faire pour des familles. « 

Si la croissance n’est pas au rendez-vous, respecterez-vous quand même votre objectif de réduction des déficits ?

Absolument. Dans ce cas, nous poursuivrions la réduction des dépenses, nous ne prendrions aucune liberté avec la ligne de réduction des déficits.

On ne saurait vous reprocher de ne pas avoir réglé tous les problèmes, mais, dans certains cas, vous revenez vous-même sur vos propres réformes, comme celle de la formation professionnelleà

La réforme de la formation professionnelle était très partielle parce que je ne pouvais pas l’imposer en même temps que celle des retraites.

Mais elle a été adoptée avant !

Nous avons conduit la réforme de la formation professionnelle avec le souci du consensus. Les choses ont été améliorées, mais ce n’était pas la réforme structurelle que je voulais. Voilà pourquoi je propose aujourd’hui de s’en remettre aux choix des Français en cas de blocage. Dans cette situation, il y aura donc référendum.

A quelle échéance ?

Avant la fin de 2012. Je souhaite la création d’une commission nationale, composée de chefs d’entreprise, de syndicalistes, d’experts. Elle identifiera chaque année les secteurs en tension et les formations permettant d’y être employé. On proposera à chaque chômeur l’une de ces formations, qu’il ne pourra refuser. Au lieu d’une indemnité chômage, il sera rémunéré pour la formation qu’il suivra. A l’arrivée, il ne pourra pas refuser une offre d’emploi correspondant à cette formation. Droits et devoirs. Cette réforme devra être conduite avant la fin de l’année. Je précise : si les partenaires sociaux, pour des raisons que je peux comprendre – notamment parce que leur financement dépend pour beaucoup du système actuel de la formation professionnelle – ne veulent pas aller assez loin, il y aura référendum, qui permettra de trancher deux questions. Doit-il y avoir, quel que soit l’âge, un droit à la formation professionnelle pour chacun ? L’exercice de ce droit doit-il rendre obligatoire d’accepter une offre d’emploi correspondant à cette formation ?

Vous pourriez réformer le mode de financement des syndicats ?

Il faudra le faire, mais les syndicats, patronaux et salariaux, ne sont pas les seuls en cause. Il y a le problème des régions. Le choix de leur confier un rôle actif dans la formation professionnelle était-il pertinent ? La région est-elle la bonne entité pour imaginer, à l’horizon de dix ans, les orientations et métiers sous tension ?

La Cour des comptes épingle les inégalités dans la politique de l’Education (Le Monde du 13 avril). Ses reproches sont-ils fondés ?

D’abord, il s’agit d’un prérapport qui n’a pas encore été soumis à la procédure contradictoire, c’est donc une manipulation. Allons toutefois au fond. Pourquoi la Cour des comptes laisse-t-elle entendre que l’école investit davantage pour un enfant favorisé ? Parce que, depuis la Libération, le système fait que les enseignants qui ont le moins de points, donc ceux qui coûtent le moins cher, sont affectés dans les établissements où les enfants sont les plus pauvres. Et que les enseignants qui ont le plus de points, donc payés le plus cher, vont dans les établissements les plus prestigieux. C’est une réalité que je dénonce. Comment peut-on avoir l’audace de dire que cela dépend de moi et que cela commence en 2007 ? A l’inverse, nous avons permis, dans le cadre du programme Eclair, le recrutement de professeurs sur la base du volontariat dans les établissements les plus difficiles. C’est un programme que je généraliserai. C’est également nous qui avons mis en place, entre autres, des internats d’excellence pour les enfants les moins favorisés et fait obligation à toutes les classes préparatoires, même les plus prestigieuses, d’accueillir 30 % de boursiers.

Quand organiserez-vous un référendum pour confier les contentieux de l’immigration au seul juge administratif ?

D’ici à la fin de 2012, si le Sénat d’aujourd’hui, majoritairement à gauche, s’oppose à la réforme de la Constitution, nécessaire sur ce point.

Dans votre lettre au peuple français, vous évoquez le  » modèle républicain d’intégration et d’assimilation « . L’intégration passe-t-elle par l’assimilation ?

Il y a un débat sur ces mots que je n’ai pas voulu trancher. Certains préfèrent le mot  » assimilation « , qui désigne mieux le fait d’adhérer du fond de son c£ur aux valeurs de la République, alors que le mot  » intégration  » désigne davantage le fait d’avoir un emploi, de scolariser ses enfants, de parler notre langue. C’est aussi une référence à l’islam de France, que j’appelle de mes v£ux, et à l’islam en France, que je refuse.

Qu’est-ce qu’être un président  » différent  » ? Avez-vous trop communiqué ?

Trop communiqué ? Non ! Dans un second mandat, je souhaite me consacrer à d’autres réformes majeures, celles dont j’ai parlé, et à des initiatives internationales importantes que je prendrai dès l’été 2012. L’Europe et la France doivent aider les Israéliens et les Palestiniens à conclure enfin un accord de paix. Le temps est venu de donner aux Palestiniens un statut d’Etat observateur aux Nations unies, à condition qu’ils réaffirment le droit d’Israël à l’existence et à la sécurité, et que les deux parties progressent vers la coexistence de deux Etats-nations. La question la plus sensible n’est pas celle des frontières, c’est celle du droit au retour : si on crée un Etat palestinien, c’est pour que les Palestiniens puissent vivre dans l’Etat de Palestine. Deuxième sujet : je prendrai des initiatives très fortes en faveur de l’Union pour la Méditerranée, paralysée par le conflit israélo-palestinien. Les  » Printemps arabes « , la disparition des dictatures ou des régimes forts, permettent de créer un véritable partenariat entre les démocraties au Nord et les démocraties émergentes au Sud. Cela change beaucoup de choses, par exemple pour les accords d’immigration. On comprend aisément que les élites libyennes aient voulu échapper à Kadhafi. Aujourd’hui, la Libye a besoin de ses élites. Nous devons former plus de professeurs, plus de chercheurs, plus de médecins pour qu’ils puissent ensuite exercer dans leur pays. Et cinquante ans après la décolonisation, il faut achever sans tarder avec l’Algérie la renégociation des accords préférentiels en matière d’immigration, qui datent de 1968.

Cela veut aussi dire plus d’étudiants chez nousà

Depuis que je suis président, le nombre d’étudiants étrangers en France a augmenté de 35 %. La gauche essaie de créer un problème où il n’y en a pas. La troisième initiative, ce sera le Liban. L’armée française doit aider à la stabilisation d’un Liban libre, pas d’un Liban dominé par le Hezbollah. Enfin, il faut réformer le Conseil de sécurité des Nations unies, en élargissant le nombre de membres permanents et non permanents. Qui peut comprendre qu’aujourd’hui, des pays comme l’Inde, le Japon, le Brésil ou l’Allemagne ne disposent pas d’un siège permanent, pas plus que l’Afrique ou le monde arabe ?

Jean-Pierre Raffarin écrit dans son livre [Je marcherai toujours à l’affectif. Flammarion] que vous êtes un affectif contrarié. Est-ce ce qui a manqué à votre présidence : ne pas avoir su dire aux Français que vous les aimiez ? François Hollande, lui, a dit  » J’aime les gens  » !

Même avec beaucoup d’efforts, je ne pourrai pas m’en tenir à des phrases aussi creuses. Aimer, ce n’est pas le dire, c’est le montrer et le démontrer. Je me suis toujours méfié de ceux qui n’ont que ce mot à la bouche, en général, ce sont de piètres pratiquants. Je n’aime pas le mot  » affectif « , je préfère le mot  » sentimental « .

Pourquoi dites-vous que François Hollande veut régulariser massivement tous les sans-papiers, alors que c’est faux ?

C’est vrai ! Je me réfère au document signé au nom de François Hollande par son mandataire, Michel Sapin, et par Eva Joly, qui prévoit la régularisation de tous les immigrés en situation irrégulière. Ce n’est pas un accord signé par le Parti en tant que tel, sans quoi c’est Martine Aubry qui l’aurait signé. On a le droit de penser que les accords signés par François Hollande l’engagent. Le mensonge, il est là !

Vous dites aussi qu’il veut supprimer le quotient familial, mais ce n’est plus exactà

Manuel Valls a d’abord annoncé qu’il le remettait en cause, oui ou non ? Là où ça devient compliqué avec M. Hollande, c’est qu’il a dit tout et le contraire de tout. Il a dit qu’il était pour l’intégration de la Turquie dans l’Europe, c’est son droit, moi, je suis contre. Puis il a dit :  » Pas pendant le quinquennat.  » La Turquie aura changé d’adresse à la fin du quinquennat ? Le droit de vote aux immigrés ? Il va à Mayotte et il dit, là où il y a 20 % d’étrangers en situation régulière, 40 % en situation irrégulière, que le droit de vote pour les étrangers ne les concernera pas. Ah bon ? Si le droit de vote est donné aux étrangers, il s’applique à Mayotte comme en métropole. Toutes les idées sont défendables, mais quelles sont les idées de M. Hollande ?

En quoi une campagne de second tour est-elle si différente de celle du premier tour ?

Au second tour, il y aura une tout autre ambiance. Les règles médiatiques n’auront rien à voir. C’est un candidat contre l’autre. La vérité des projets et la vérité des personnes. C’est cela, la démocratie.

Quel est le contour de ce  » rassemblement pour l’unité nationale  » que vous avez évoqué ?

François Hollande parle à la gauche, il se préoccupe d’un rassemblement à trois têtes, Eva Joly, Jean-Luc Mélenchon et lui-même. Moi, je parle au peuple de France, je m’adresserai à tous ceux, y compris à gauche, qui considèrent qu’il ne serait pas pertinent de faire le choix d’un candidat pris en otage par des alliés aussi encombrants.

Comment François Bayrou pourrait-il être utile dans ce rassemblement ?

Ceux de mes amis qui lui font des offres de service et prévoient des postes se trompent. Rien n’est à négocier ou à promettre avant que les Français aient fait leur choix. Nous verrons après le premier tour ce qu’il y a lieu de faire, et dans quelles conditions.

Et Dominique de Villepin ?

Je serai ouvert à l’endroit de tous ceux, y compris Dominique de Villepin, qui veulent participer au choix historique consistant à dire aux Français : pas de retour en arrière. Je n’ai pas le droit de tenir compte d’oppositions politiques ou personnelles anciennes pour limiter ce rassemblement. Nous aurons besoin de tout le monde.

Si vous échouez, à quoi imputerez-vous votre défaite ?

S’il y a succès, nous y aurons tous contribué ; s’il y a échec, je serai le seul responsable. J’ai une longue expérience de la vie, je ne me définis pas par rapport au pouvoir. C’est d’ailleurs parce que vous savez que les choses peuvent s’arrêter qu’elles ne s’arrêteront pas.

PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE BARBIER, CORINNE LHAÏK, ÉRIC MANDONNET ET BENJAMIN SPORTOUCH PHOTO

Le référendum sur l’immigration aura lieu  » d’ici à la fin de 2012, si le Sénat s’oppose à la réforme de la Constitution « 

 » Là où ça devient compliqué avec M. Hollande, c’est qu’il a dit tout et le contraire de tout « 

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