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Avenir énergétique de la Belgique: l’isolation des bâtiments, grande oubliée de l’accord politique (analyse)

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Une hotte remplie de nucléaire, de gaz et de renouvelable… Après les paquets de mesures destinées à aider les ménages à faire face à l’envolée des prix de l’énergie, le gouvernement De Croo a dégagé, le 18 mars, un accord sur des mesures plus structurelles pour assurer l’avenir énergétique de la Belgique. Reste à tenir les promesses: la réussite des futurs chantiers, gigantesques, ne dépendra pas que de l’exécutif. Et à ne pas oublier ce qui n’est pas repris dans le plan fédéral (isolation, mobilité…) et qui, pourtant, est nécessaire à la transition énergétique. La route reste pavée d’entraves techniques, financières ou politiques.

Le contexte

Le 18 mars, après de longues et difficiles négociations, le gouvernement De Croo décidait de prolonger de dix ans l’activité de deux des sept réacteurs nucléaires belges et d’investir vingt-cinq millions d’euros par an dans la recherche pour du nucléaire de nouvelle génération. En parallèle, il continuera de mettre en oeuvre la construction des centrales à gaz prévues par le CRM – le mécanisme de rémunération des capacités visant à faciliter la transition énergétique. Enfin, il s’est engagé à lancer des investissements pour 1,16 milliard d’euros, et à mener des réformes dans les matières qui sont de compétence fédérale, pour accélérer la transition vers la neutralité climatique et l’indépendance énergétique: éolien offshore, hydrogène vert, baisse de la TVA sur les panneaux solaires, etc.

Tous les experts le martèlent depuis des décennies: la Belgique doit réduire drastiquement sa consommation d’énergie. En 2019, près d’un tiers de celle-ci provenait du logement (19,5%) et du secteur tertiaire (11,3%), selon les données de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Le récent accord du gouvernement fédéral ne comporte pas de mesure phare dédiée à cet indispensable pilier de la transition énergétique. Rien d’illogique à cela, puisque ce sont les Régions qui disposent des grands leviers d’action en la matière, notamment pour l’isolation des bâtiments. Ces dernières n’ont d’ailleurs pas attendu la crise actuelle des prix de l’énergie pour simplifier les primes et les prêts avantageux à disposition. La Wallonie l’a fait en 2019, avec ses « primes habitation ». Elle prépare en outre une prime simplifiée (sans audit nécessaire) pour l’isolation des toitures, qui devrait entrer en vigueur probablement cet été, indique le cabinet du ministre wallon de l’Energie, Philippe Henry (Ecolo). De son côté, la Région de Bruxelles-Capitale vient de lancer son régime Rénolution. Entré en vigueur le 1er mars, il constitue une fusion de treize primes et s’apparente à un guichet unique.

Rien qu’en Wallonie, il nous faudrait 20 000 travailleurs en plus si l’on veut pouvoir absorber les chantiers de rénovation à venir.

Dans leurs plans respectifs, les deux Régions ambitionnent d’atteindre un taux de rénovation du bâti existant de 3% par an. Cela reviendrait à tripler la cadence actuelle. « En Wallonie, le nombre de permis délivrés par an pour la rénovation de bâtiments s’ élève en moyenne à 0,7% du parc immobilier total, relève Francis Carnoy, directeur général de la Confédération construction wallonne (CCW). Cette statistique est toutefois loin d’être satisfaisante. D’une part, parce que certaines rénovations ne nécessitent pas de permis, d’autre part, parce que celles qui y sont sujettes ne portent pas toujours sur l’amélioration des performances énergétiques. »

Dans la capitale, un tiers du bâti ne serait pas du tout isolé.
Dans la capitale, un tiers du bâti ne serait pas du tout isolé.© belga image

D’après les données actualisées de l’administration wallonne, 58,5 % des logements du sud du pays affichent une certification PEB E, F ou G, soit les classes les plus énergivores. En outre, 81% des bâtiments présentent une isolation de qualité « mauvaise » ou « très mauvaise », comme le souligne un rapport très détaillé du Centre d’études en habitat durable de Wallonie (CEHD). Le constat n’est guère plus positif dans la capitale. Le bâti existant y serait l’un des plus énergivores à l’échelle européenne, souligne pour sa part Bruxelles Environnement. Un tiers ne serait même pas du tout isolé.

Trois obstacles

Si les aides actuelles constituent un important levier, elles ne sont ni activables dans tous les cas de figure ni suffisantes vu l’ampleur du chantier des rénovations. Trois obstacles majeurs se dressent face aux ambitions belges.

1. Le logement

Le premier obstacle est lié au statut d’occupation des logements, qui présente d’importantes disparités selon les Régions. Comme le montrent les plus récentes estimations relayées par le CEHD, 62% des ménages bruxellois et 36% des Wallons ne sont pas propriétaires de leur logement – contre 27% seulement des Flamands. Ils sont dès lors tributaires du bon vouloir ou des finances de leur propriétaire, en sachant que les éventuelles rénovations peuvent se traduire par une augmentation substantielle du loyer. A cet égard, ce n’ est qu’en 2025 que la Wallonie compte imposer une rénovation « dans un délai déterminé » pour tout logement mis en location présentant un certificat PEB de niveau F ou G. Dans son plan énergie climat 2030, le gouvernement bruxellois s’engage pour sa part à étudier « les modalités d’une fiscalité incitative en vue d’encourager les propriétaires à améliorer la classe PEB de leur bien immobilier ».

2. Les finances

Le deuxième obstacle est financier. Même avec l’aide de primes, bon nombre de familles n’ont pas ou plus les moyens d’entreprendre des travaux de rénovation à des fins énergétiques. Le dernier baromètre de la précarité énergétique et hydrique de la Fondation roi Baudouin atteste ces difficultés. En incluant le ressenti des cinq premiers déciles de revenus, 28% des ménages wallons et bruxellois auraient été touchés en 2019 par l’une ou l’autre forme de précarité énergétique, contre 15% en Flandre. A cela s’ajoute cette masse invisible de ménages pour lesquels le niveau des dépenses ou le ratio d’endettement n’offre aucune perspective de rénovation, sans être éligibles au tarif social.

62% des ménages bruxellois et 36% des Wallons sont locataires. Ils sont dès lors tributaires de leur propriétaire pour les rénovations de leur logement.
62% des ménages bruxellois et 36% des Wallons sont locataires. Ils sont dès lors tributaires de leur propriétaire pour les rénovations de leur logement.© getty images

3. La main-d’oeuvre

Le troisième obstacle a trait à la pénurie structurelle de main-d’oeuvre dans le secteur de la construction. « Rien qu’ en Wallonie, il nous faudrait 20 000 travailleurs en plus si l’on veut pouvoir absorber les chantiers de rénovation qui, je l’espère, arriveront, poursuit Francis Carnoy. Cela signifie 80 000 salariés au total! A l’heure actuelle, 7 000 offres d’emploi ne trouvent déjà pas preneurs. Nous retournons ciel et terre pour y remédier, notamment en revalorisant l’image de nos métiers. Nous sommes aussi en contact avec les ministres compétents afin d’attirer les migrants, les Ukrainiens et les femmes. » Fin décembre, la Wallonie a confié au consortium Reno+, dont la CCW fait partie, une mission visant à établir un business modèle pour la massification de la rénovation des logements privés. Ses résultats sont attendus pour mi-2023.

Elle prépare aussi l’imposition explicite du renouvelable pour les bâtiments neufs et les rénovations importantes, précise le cabinet Henry. Autre avancée notable: l’approbation récente d’un cadre pour les communautés d’énergie, ouvrant de nouvelles possibilités pour mutualiser les investissements. A l’inverse, d’autres propositions, de la CCW notamment, sont, jusqu’ici, restées lettre morte. Parmi elles: un abattement des droits d’enregistrement pour les ménages investissant dans l’amélioration énergétique d’un bien acheté ou reçu par donation ou succession, une exonération temporaire du précompte immobilier pour les rénovations lourdes, une diminution de la TVA sur les démolitions-reconstructions ou encore l’intégration de l’impact de la facture énergétique dans la valeur d’une maison – et donc du crédit hypothécaire – afin de permettre le recours à un tiers investisseur. Les pistes ne manquent donc pas pour aller plus loin.

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