Une cérémonie sobre et un communiqué jugeant "inexcusables" les crimes commis le 17 octobre 1961 contre des manifestants algériens à Paris: Emmanuel Macron marche sur des oeufs dans le dossier algérien. © belga image

Ce passé qui ne passe pas

Les contextes politiques à Alger et à Paris expliquent en partie la nouvelle poussée de fièvre entre les deux pays. Mais les relations ne pourront pas être apaisées tant qu’un travail d’introspection réciproque ne sera pas mené sur les souffrances de la colonisation et de la guerre d’indépendance.

Les relations entre la France et l’Algérie sont entrées dans une profonde zone de turbulences. Si les contextes politiques intérieurs ne sont pas étrangers à cette dégradation, elle témoigne surtout de l’incapacité des deux pays à affronter les réalités de la colonisation, de la répression de l’armée française lors de la guerre d’indépendance de 1954 à 1962 et de la violence aveugle des combattants nationalistes.

L’ambassadeur algérien en France a été rappelé le 2 octobre à Alger et le survol de l’espace aérien national interdit aux avions français de l’opération Barkhane, au Mali, en représailles de la décision de Paris de réduire de moitié l’octroi de visas aux ressortissants algériens. Une mesure qui, elle-même, répondait aux réticences présumées de l’Algérie à délivrer des laissez-passer consulaires conditionnant le rapatriement d’Algériens en situation irrégulière ne disposant pas de passeport. Souveraineté, lutte contre l’insécurité, migration…: le conflit recèle tous les ingrédients d’un débat sensible en période préélectorale en France et dans le contexte fébrile de contestation populaire du Hirak, en Algérie.

Emmanuel Macron cherche à tenir d’une main les Franco-Algériens et, de l’autre, son électorat de droite sans lequel il est difficile pour lui de rester à l’Elysée.

2017-2021, quelle cohérence?

Ce sentiment est conforté, du côté français, par des déclarations controversées du président Macron. Lors d’une rencontre le 30 septembre dernier avec un groupe de jeunes à l’histoire liée au passé commun entre les deux pays, le chef de l’Etat, qui avait fait de la « réconciliation mémorielle » un des objectifs de son mandat, a dénoncé le « système politico-militaire » au pouvoir à Alger qui, par une « histoire officielle […] totalement réécrite », entretient une rente mémorielle fondée sur la haine de la France. Propos reflétant certes une réalité, mais peu diplomatiques et peu opportuns alors que l’Algérie, sous le pression de la colère d’une partie de sa jeunesse, tente de tourner le dos au système de corruption mis en place par l’ancien président Abdelaziz Bouteflika, auquel la France n’avait pas ménagé son soutien.

Plus délicat encore, Emmanuel Macron a questionné l’existence d’une « nation algérienne » antérieure à la colonisation française de 1830. De la sorte, il a réussi à s’aliéner ceux, notamment au sein du mouvement du Hirak, qui étaient plutôt enclins à partager sa diatribe sur la clique politico-militaire à la tête de l’Etat. Emmanuel Macron a ruiné le crédit qu’il avait engrangé depuis 2017 auprès des Algériens et des Franco-Algériens. Lors de la précédente campagne présidentielle française, le candidat sorti de nulle part avait en effet assuré, en déplacement à Alger, que la colonisation de l’Algérie par la France avait constitué « un crime contre l’humanité ». Cet « en même temps » improbable a fait dire au site d’information Tout sur l’Algérie qu' »Emmanuel Macron, qui joue l’équilibriste, son sport favori en politique, cherche à tenir d’une main les Franco-Algériens et de l’autre, son électorat de droite sans lequel il est difficile pour lui de rester à l’Elysée pour un second mandat ». Difficile effectivement de ne pas voir dans l’évolution du discours et de l’action du futur candidat centriste – sauf surprise -, à l’élection de 2022, une effet de la « zemmourisation » et de la droitisation du débat public en France.

Repentance ou pas

Issu d’une famille juive d’Algérie, le polémiste, autre prétendant putatif au scrutin suprême, a profité du vide de propositions de ses « adversaires » pour imposer ses thèmes favoris: le déclin du pays, l’arrêt de l’immigration, la lutte contre les criminalités… Dans cette perspective, la France, pour Eric Zemmour, n’a pas à s’abaisser à des actes de repentance mais doit, au contraire, assumer son passé. C’est ce qu’il a encore affirmé en substance à l’occasion de la commémoration du massacre des manifestants, sympathisants du Front de libération national algérien (FLN), victimes d’une terrible répression le 17 octobre 1961 à Paris – quelque deux cents d’entre eux furent assassinés par la police, atteints par balles ou jetés dans la Seine.

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune en quête de légitimité face à la contestation du Hirak.
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune en quête de légitimité face à la contestation du Hirak.© belga image

La veille, Emmanuel Macron avait assuré le service minimum dans la reconnaissance du rôle de la France dans la tragédie longtemps occultée: « Les crimes commis cette nuit-là sous l’autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République », a simplement concédé le président, semblant réduire la responsabilité des autorités au seul préfet de police de Paris de l’époque et tortionnaire des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. D’après les historiens britanniques Jim House et Neil MacMaster, cités par Fabrice Riceputi dans son livre Ici on noya les Algériens (1), cet événement, même s’il s’inscrit dans le contexte d’une lutte où le FLN s’en prenait aussi aux policiers français sur le territoire hexagonal, a été « la répression la plus meurtrière d’une manifestation pacifique de toute l’histoire contemporaine de l’Europe occidentale ».

Pouvoir algérien conforté

Le passif de la colonisation pèse toujours lourdement sur les relations entre l’Algérie et la France, faute d’avoir été débattu, analysé et reconnu. « Les Algériens n’ont pas le sentiment d’avoir été colonisés par les Turcs, alors qu’ils gardent en mémoire qu’ils ont été méprisés et traités injustement par la France », rappelait, dans une tribune au journal Le Monde, le sociologue et professeur émérite à Sciences Po Lyon Lahouari Addi. L’Empire ottoman « a régné » sur l’Algérie de 1516 à 1830. Mais la Régence d’Alger était alors un territoire autonome. La France, elle, y a instauré une « colonie de peuplement », insistait récemment, sur LCI, le journaliste Jean-Michel Aphatie, un des rares intellectuels à prôner que la France présente des excuses aux Algériens. Il s’étonne que les massacres de Français et d’Européens en Algérie soient dûment documentés alors que le nombre de victimes musulmanes de la colonisation et de la guerre n’a toujours pas été établi, soixante ans après l’indépendance…

Le ressentiment des Algériens est donc en partie compréhensible. Cela n’empêche pas son exploitation politique par le régime. Fragilisé par la persistance de la contestation populaire et par la rupture des relations avec le Maroc, le président Abdelmadjid Tebboune, installé depuis décembre 2019, n’est sans doute pas mécontent de trouver dans le différend avec la France matière à conforter son pouvoir. Depuis que celui-ci a éclaté, un mouvement prodémocratie a été dissous et un leader du Hirak a été condamné à deux ans de prison ferme. Preuve de l’échec de la stratégie d’Emmanuel Macron. Son bilan risque en tout cas de lui être rappelé quand sera commémoré le soixantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, le 19 mars 2022, à quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle.

(1) Ici on noya les Algériens. La bataille de Jean-Luc Einaudi pour la reconnaissance du massacre policier et raciste du 17 octobre 1961, par Fabrice Riceputi, Le passager clandestin, 288 p.

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