Carrefour à la croisée des chemins

Temps orageux pour Carrefour en Belgique. Non seulement il a perdu le leadership de la distribution au profit de Colruyt, mais il doit aussi affronter une réorganisation majeure.

Il y a quelques jours à peine, le monde de la distribution belge a connu deux événements distincts mais aux conséquences certaines, même si elles sont encore difficilement quantifiables. D’une part, Colruyt a publié ses résultats annuels, au 31 mars, et démontré son aptitude à résister à la crise actuelle. D’autre part, Carrefour est secoué en Belgique par la mise à l’écart de son directeur général, Marc Oursin, et va devoir affronter une nouvelle réalité : il n’est plus la première enseigne de la grande distribution, dépassé par Colruyt, et sera touché par un plan de réorganisation mis en place par la direction française.

Colruyt a enregistré, l’an dernier, une progression de 11,2 % de son chiffre d’affaires à 6,3 milliards d’euros (+10,9 % dans le commerce de détail qui représente plus de deux tiers des ventes) et de 6,2 % de son bénéfice net à 306 millions d’euros. Le groupe flamand s’empare ainsi de la place tant convoitée de no 1 belge de la grande distribution, avec une part de marché de 24,7 % contre 24,5 % pour Carrefour. Alors que le premier a donc gagné 1,2 % par rapport à 2007, le second a abandonné 1,3 % pour laisser filer sa place de leader.

Pour Colruyt, le résultat est d’autant plus intéressant à souligner qu’il intervient dans un contexte difficile pour le portefeuille des consommateurs. Or ils ont continué à soutenir l’enseigne orange, face au  » hard discount « , représenté principalement par Aldi et Lidl. Certes, ces deux distributeurs ont connu une belle année 2008, enregistrant des progressions de respectivement 0,4 % (à 11,7 %) et de 0,3 % (à 5 %). Mais il ne s’agit en aucun cas du raz de marée que d’aucuns prévoyaient.

Outre le commerce de détail, Colruyt peut également se vanter d’une progression de 11,7 % du commerce de gros, à destination des enseignes Spar, et de 12,8 % de ses pompes à carburant DATS24.

Pour expliquer ce succès, il est intéressant de constater que le groupe de Hal réalise sa progression dans le commerce de détail avec une superficie totale de 313 000 mètres carrés pour… 800 000 du côté de Carrefour ! Malgré des frais de personnel et des charges d’amortissement en hausse, Colruyt est parvenu à améliorer sa marge brute et à renforcer les investissements pour sa croissance future.

Positionnement délicat

La belle santé de l’enseigne orange n’a pas échappé aux investisseurs. Malgré la crise financière, le titre tire honorablement son épingle du jeu en Bourse de Bruxelles. Traitée à plus de 167 euros en juin 2008, l’action a connu un petit passage à vide à la fin de l’année à quelque 150 euros. Mais, aujourd’hui, elle se situe de nouveau aux alentours de 165 euros. Une belle performance qui fait certainement des jaloux mais qui est surtout le résultat d’un positionnement clair. Comme l’explique Kris Opdebeek, du bureau d’études et de conseil Marketing Map, les clients savent à quoi s’en tenir :  » Avec Colruyt, ce sont les prix ; avec Delhaize, la qualité. Avec Carrefour, c’est plus flou. « 

Depuis le rachat complet de GB en 2000, Carrefour n’a jamais réussi à imposer son image. La réorganisation interne et la simplification des structures ont été menées à bien. C’est moins évident au niveau commercial. Carrefour a misé, en ordre dispersé, sur les prix, les produits, le choix, les marques propres… Mais, finalement, le client éprouve des difficultés à s’y retrouver. En outre, Carrefour est aussi tributaire d’un climat social difficile. Les remous ayant entouré l’ouverture, au printemps, de l’hypermarché brugeois ne sont pas particulièrement bons pour l’image de marque.

Le constat a déjà été effectué par les responsables du groupe français. Première victime : Marc Oursin, le directeur général chez nous, sera remplacé à la fin du mois de juillet par un homme du sérail : Gérard Lavinoy. Il a largement contribué à l’intégration de l’enseigne Champion au sein de Carrefour Market en France. En Belgique, le cas Champion est différent puisqu’il appartient au groupe Mestdagh.

Par contre, le no 2 mondial de la distribution entend bien simplifier ses structures en s’appuyant sur trois types de magasins : hyper, Market et Express, Carrefour étant leur nom de famille. Cela permettra peut-être de réduire les coûts de marketing. Toutefois, il y aura certainement un problème plus délicat à régler : rendre la confiance aux banques. Celles-ci seraient plus difficiles à convaincre dès lors qu’un indépendant choisit de tenter l’aventure de la franchise d’un Carrefour Express. Au contraire d’une demande pour un Proxi de Delhaize, notamment.

Lars Olofsson, nouveau directeur général de Carrefour Groupe, a récemment annoncé un important plan de réorganisation à l’horizon 2012. Plus de 4,5 milliards d’euros vont être nécessaires pour le mener à bien, dont 3,1 milliards pour la seule réduction de coûts. L’homme, nommé en novembre dernier, est un habitué du marketing pour avoir dirigé les opérations de Nestlé en la matière. Il entend réussir à changer l’appréciation de la clientèle tant en France qu’en Espagne, en Italie ou chez nous. Meilleure collaboration avec les fournisseurs, réduction des stocks, baisse de prix de produits de base et augmentation de certains prix pour l’accessoire, location de surfaces commerciales non utilisées dans les hyper… sont à l’étude.

Chez nous, des rumeurs de vente de Carrefour font régulièrement surface. Elles sont toujours démenties. Mais qu’en sera-t-il à terme si Carrefour ne parvient pas à fidéliser une clientèle belge au comportement visiblement très versatile, particulièrement en ces temps incertains ?

Didier Grogna

Depuis 2000, Carrefour n’a jamais réussi à imposer son image

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