Canada Au bonheur des banques

Une tradition de prudence et une réglementation stricte leur ont permis d’éviter la banqueroute de leurs consours américaines. Un modèle à suivre ?

Au sommet du G 20, à Londres, le 2 avril, une pause prolongée aux toilettes a empêché le Premier ministre canadien de goûter son quart d’heure de gloire. Stephen Harper a raté la photo de famille des chefs d’Etat et de gouvernement réunis afin de remettre de l’ordre dans la finance mondiale. Un impair pour le représentant du seul pays occidental à pouvoir s’enorgueillir d’un système bancaire resté à l’écart des errements de ces dernières années. On a donc refait la photo. Cette bonne manière s’imposait d’autant plus que les sherpas d’Ottawa avaient largement imprimé leur marque sur le communiqué appelant à une meilleure régulation du système financier.

 » Dire que la classe politique canadienne nous reprochait d’être trop prudents, voire timorésà « , soupire Ed Clark, PDG de la banque Toronto-Dominion (TD). Dans la tour dessinée par l’architecte Mies van der Rohe qui abrite, à Toronto, le siège de la deuxième banque du pays, l’homme avait senti venir la catastrophe.  » A l’hiver 2005-2006, j’ai décidé d’abandonner tous ces produits financiers extrêmement rentables, mais où l’effet de levier était très élevé et auxquels personne ne comprenait plus rien, explique-t-il. Nos commerciaux étaient furieux, mais je ne pouvais plus vendre en conscience du papier incompréhensible, même s’il était gratifié d’un AAA [la note optimale] par les agences de notation.  » A la tête de la Royal Bank of Canada, la première banque du pays, Gordon Nixon raconte la même histoire :  » Les trois quarts de notre business concernent la banque de détail et commerciale. A la différence des Européens, nous avons toujours voulu limiter nos activités sur le marché des capitaux et la banque d’investissement. Et ce malgré les médias et les analystes qui nous poussaient à débarquer en force sur le marché américain et se plaignaient parce qu’on était ennuyeuxà « 

Cette prudence s’est avérée payante.  » Ennuyeux est devenu le nouveau mot sexy dans la finance « , ironise Jim Flaherty, ministre canadien des Finances, qui peut la jouer plutôt cool. A la différence du voisin américain, aucune grande institution de Toronto ou de Montréal n’a sombré dans la tourmente. De ce côté-ci des Grands Lacs, pas de plan de renflouement à coups de milliards de dollars, pas d’entités publiques montées en catastrophe pour isoler les actifs toxiques, pas de banqueroute. Le jugement du Forum économique mondial, qui, en octobre 2008, estimait que le Canada avait le système financier le plus sain au monde (avec une note de 6,8 sur 7), a été confirmé par les faits. Mieux, les banques canadiennes ont profité de la déconfiture de leurs rivales internationales pour hisser cinq des leurs dans le palmarès des 50 plus grosses capitalisations de la planète financière : voilà dix ans, il n’y en avait aucune. Preuve de cette bonne santé, alors que l’économie mondiale souffrait d’un resserrement du crédit, les prêts bancaires canadiens aux entreprises ont continué de croître à un rythme de 9,4 % entre février 2008 et février 2009.

 » Notre atout, c’est l’absence de copinage « 

La prudence naturelle et le bon sens du petit monde des banquiers de Toronto, pétris d’une culture protestante et d’une discrétion toute canadienne, peuvent-ils tout expliquer ? Ce serait trop simple. La réglementation nationale a aussi joué un rôle positif. Le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), autorité de contrôle à l’indépendance reconnue, a imposé très vite l’application des normes dites de Bâle II, qui encadrent le risque de crédit. Les établissements canadiens ont surenchéri dans la précaution : alors que le ratio sur l’exigence de fonds propres de leurs homologues européens était probablement entre 3 et 4 %, celui des canadiens était de 9,6 % en décembre 2007.  » Ce qui en fait les mieux dotés au monde « , confirme Terry Campbell, vice-président de l’Association des banquiers canadiens. L’effet de levier était ici de 1 à 20, alors qu’au Royaume-Uni il a grimpé de 1 à 60.  » Notre mandat nous oblige à comprendre les conditions du système bancaire et à prendre les mesures nécessaires afin de s’y adapter, explique Julie Dickson, surintendante du BSIF. Cela veut dire, par exemple, qu’aucune banque ne préparerait une acquisition sans nous en parler au préalable ni répondre à toutes nos demandes d’informations.  » La superflic du monde financier a prévenu qu’elle allait désormais examiner les rémunérations des banquiers.

Economiste en chef à la Banque de Montréal, l’Américano-Canadiene Sherry Cooper est régulièrement invitée sur tous les plateaux de télévision, où son franc-parler l’a rendue populaire :  » Le BSIF a des griffes, témoigne-t-elle. Il veille à l’application de la loi, pas seulement du texte mais aussi de son esprit. Toronto n’a rien à voir avec Wall Street, où l’on n’arrête pas d’inventer de nouveaux instruments financiers pour contourner la réglementation. Dans ce pays, on a coutume de respecter la loi.  » PDG de la Banque nationale, Louis Vachon confirme l’importance du dialogue avec les régulateurs dans une communauté financière où tout le monde se connaît :  » Notre atout, c’est l’absence de copinage, assure-t-il. Je me souviens d’une tentative passée d’introduire chez nous un produit américain. Il a suffi que le gouverneur de la Banque centrale du Canada fasse part de ses réticences pour qu’aussitôt le papier en question disparaisse. Aux Etats-Unis, des armées de lobbyistes se seraient levées pour le défendreà  » Le contrôle réglementaire est tant pris au sérieux que la loi sur les banques du Canada est mise à jour par le Parlement tous les cinq ans, afin de vérifier que la réglementation n’est pas distanciée par l’évolution de l’industrie bancaire.

Les choix en matière de politique fiscale ont également contribué à la stabilité du système. Au Canada, l’épargne est plus encouragée que la dette. Si, aux Etats-Unis, l’intérêt du crédit immobilier est déductible des impôts, ce n’est pas le cas ici. En outre, lorsqu’un prêt est assorti d’une mise de fonds inférieure à 20 %, il doit être garanti, contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis. De quoi limiter le risque de bulle.

Les leçons du modèle canadien porteront-elles ? Forts du bon fonctionnement de leur sytème de régulation, les négociateurs canadiens au sommet de Londres ont imposé leurs vues. Alors que certains Etats plaidaient pour la création d’un système de réglementation internationale qui aurait mis du temps à se mettre en place, les Canadiens ont joué le pragmatisme :  » Nous avons obtenu plutôt que chaque pays fasse le ménage chez lui, explique un haut fonctionnaire du ministère des Finances à Ottawa. Et que chaque système national soit régulièrement évalué par les experts du Fonds monétaire international. Nous l’avons fait deux fois au Canada et ce fut très utile.  » Comme le dit diplomatiquement le ministre Jim Flaherty :  » Une bonne régulation, c’est bien. Mais le résultat dépend aussi pour beaucoup de l’application effective des règles.  » Les épargnants ne sont pas les seuls gagnants. Les investisseurs aussi. Les banques canadiennes n’ont jamais taillé dans leurs dividendes depuis 1930à

l Jean-Michel Demetz

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