« C’est un retour aux « indulgences », le sésame qui ouvre à une vie libre »

Pour Jean-Michel Longneaux, philosophe et chargé de cours à la faculté de droit de l’UNamur, forcer les individus récalcitrants à se laisser vacciner ou imposer un passeport vaccinal revient au même. « La pression est maximale pour convaincre les hésitants. »

Pensez-vous que le passeport vaccinal s’imposera à bas bruit, puisqu’il offre la possibilité d’un retour à la vie sociale?

J’ai plutôt le sentiment d’un retour aux « indulgences ». Au Moyen Age, le clergé et les notables religieux vendaient l’accès au paradis en échange d’indulgences en monnaie sonnante et trébuchante. Grâce à l’argent, le fidèle pouvait s’acheter le paradis et la rémission de ses péchés. L’Eglise en avait fait un commerce lucratif, qui lui a permis de s’enrichir. J’y vois une analogie avec la création d’un passeport vaccinal: en l’obtenant, le vacciné acquiert une vie libre, et, dans ce cas, ce sont les industries pharmaceutiques qui en profitent.

Pour vous, rendre obligatoire un tel « sésame » relève davantage de la croyance que de la science…

Conditionner l’accès à certains lieux en l’absence de certitudes scientifiques sur le fait que les vaccins permettent de ne plus être porteur du virus n’apporte pas de sécurité en matière de prophylaxie. On ignore également la durée de protection des vaccins ainsi que leur efficacité contre les variants. Or, un passeport vaccinal repose sur l’hypothèse que les vaccinés ne sont plus contagieux et sur l’idée d’un monde sain. C’est en cela que nous sommes dans le registre de la croyance, non de la science. Sans oublier l’écueil qui réside dans la difficulté d’accès aux vaccins et qui crée, donc, un effet d’exclusion et d’inégalité en tant que citoyen.

Le passeport s’est élargi à d’autres éléments dont des tests négatifs ou à la présence d’anticorps, qui atténuent le caractère discriminatoire.

Là aussi il y a des couacs, des faux positifs et des faux négatifs. Faire reposer le passeport vaccinal sur les tests relève également, pour moi, de la croyance. Imaginez-vous dans un avion, cet été, au côté d’un individu vacciné mais porteur ou d’un individu testé négatif mais, en réalité, positif? On est en train de construire une espèce de croyance collective autour d’une sécurité sanitaire totale. Mais un « pass Covid » ne peut pas apporter une garantie sanitaire totale, et seules des investigations plus approfondies permettront d’estimer la part réelle des vaccinés en état de transmettre le virus. Savoir si un tel niveau de protection est acceptable ou non relèvera ensuite d’un débat politique.

De telles dispositions ne résisteraient pas au principe essentiel d’égalité?

Instaurer la possibilité de tests pour éviter toute discrimination, c’est une intention politique louable. Elle vise d’ailleurs, mais sans le dire clairement, à satisfaire également ceux qui refusent de se faire vacciner. Pour autant, soumettre la liberté de circuler et d’accéder à des services à un certificat sanitaire crée une société inégalitaire, puisque demeureront des personnes qui ne l’obtiendront pas, parce qu’elles seront positives et contaminantes, parce qu’elles n’auront pas accès aux informations, etc. Le virus lui-même créé de la discrimination. Par ailleurs, n’y a-t-il pas, sur le plan juridique, une disproportion entre la création d’un passeport et le mal que l’on veut éviter? Le taux de mortalité dû au virus s’élève à 0,17% de la population. Rapporté au nombre de personnes contaminées, à 2,9%. Est-ce là un péril pour la santé publique? La mesure discriminante est-elle inférieure au bénéfice recherché?

Cette croyance collective peut-elle quand même amener des éléments positifs?

Le fait d’obtenir un sésame, de créer ainsi une autre ambiance, de retrouver de l’espérance entraîne-t-il une hausse de la réponse immunitaire? On sait que vivre dans la peur, dans le stress induit une oxydation du corps, un affaiblissement du système immunitaire. Donc, il y a peut-être là un bénéfice involontaire d’un éventuel passeport, comme lorsque les fidèles, une fois achetées leurs indulgences, retrouvaient un bien-être parce qu’ils avaient réussi à sauver leur âme.

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