Bye bye au bonus-malus

Depuis le 1er février, le célèbre bonus-malus, appliqué avec l’assurance automobile obligatoire (RC), a vécu. Tant mieux pour les bons conducteurs. Tant pis pour les autres ?

On en parlait depuis des années. Cette fois, c’est fait : le bonus-malus n’est plus. Depuis trente ans, tout conducteur qui assurait son véhicule en responsabilité civile (ce qui est obligatoire) était soumis à cette célébrissime méthode d’évaluation. Le principe était le même pour tout le monde : la prime payée chaque année variait en fonction du passé de l’automobiliste. Au fil des années, celle-ci évoluait sur une échelle de 23 degrés (de 0 à 22) selon un calcul très simple : 5 points en plus en cas d’accident en faute et 1 point en moins par année sans sinistre.

Jusqu’ici, ce bonus-malus fixait automatiquement le montant de la prime. Exemples : au degré 11 de l’échelle (celui auquel débute un nouvel assuré, du moins pour un usage non professionnel de son véhicule), 85% de la prime normale sont dus. Au degré 22, le montant à payer atteint 200%, tandis qu’aux degrés 0, 1 et 2 la facture n’est plus que de 54% de la prime normale. Moralité : celui qui provoque un accident se voit inévitablement sanctionné par une hausse de sa prime d’assurance. C’était la règle du jeu, imposée par la législation belge visant l’intérêt général : un seul système pour tous et connu de tous.

Libérer les tarifs

Seulement voilà : le système ne cadre plus avec le droit européen. Ce n’est pas le principe qui dérange la Commission mais bien son côté obligatoire :  » Les compagnies d’assurances doivent être entièrement libres de fixer leurs tarifs, dit-elle, pour que les automobilistes puissent choisir l’offre la plus intéressante. Or, en Belgique, l’évolution de la prime en fonction des dommages causés par les conducteurs n’est pas libre mais obéit à des critères détaillés et obligatoires définis dans une loi.  » Inacceptable, selon la Commission, car  » contraire au principe de la liberté de tarification prévue par la 3e directive sur l’assurance non-vie « , votée en 1994. Depuis lors, la Belgique est donc en infraction au droit communautaire (comme la Finlande d’ailleurs, et d’autres pays auparavant). Elle vient tout juste de rentrer dans le rang.

Ce qui a changé

Depuis le 1er février, l’assureur n’est plus obligé de se référer au bonus-malus de son client pour fixer la prime d’assurance. Pour les contrats en cours, rien ne change : le passage d’un système à l’autre ne se fera donc que progressivement, à mesure que les contrats viendront à échéance, soit dans un an au plus tard puisque la RC auto est un contrat annuel.

Le bonus-malus ne disparaîtra pas tout à fait pour autant. Pendant deux ans, les assureurs continueront à délivrer des attestations en fin de contrat, mais uniquement à titre de référence, histoire de disposer quelque temps encore d’un repère bien connu. Le 1er janvier 2004, par contre, le système bonus-malus sera définitivement enterré et remplacé par une autre formule : les assureurs s’échangeront alors une  » attestation de sinistralité  » reprenant tous les sinistres qui auront frappé la police d’assurance sur les cinq dernières années (on y fera bien sûr la différence entre les accidents en tort et en droit). Bref, comme le résume un assureur,  » on a détricoté un système. Il a bien fallu en tricoter un autre « .

L’assureur peut donc désormais fixer librement ses prix. A quoi peut-on s’attendre ? Il y a fort à parier que ce nouveau climat de compétition ouverte exercera une pression à la baisse sur les prix, ce dont le consommateur ne se plaindra pas. Mais un consommateur n’est pas l’autre. Et tous les conducteurs ne se valent pas. La concurrence ne profitera donc pas à tout le monde. Car ceux que tous les assureurs vont s’arracher, ce sont évidemment les bons conducteurs (plus de la moitié des 4 millions d’automobilistes belges se situent au degré 0 sur l’échelle actuelle), c’est-à-dire ceux qui paient mais ne coûtent rien de plus que la gestion de leur dossier. Pour eux, sans doute, la libéralisation du marché portera ses fruits.

Pour les autres, par contre, rien n’est moins sûr. Car, pour éviter les collectionneurs de crashs, les compagnies disposent maintenant d’une arme redoutable, qui leur était interdite auparavant : la prime prohibitive. Quoi de plus efficace, pour inciter un client indésirable à aller se faire assurer ailleurs, que de fixer sa prime à 2.500 ou 3.000 euros, voire davantage ?

Toutefois, les chauffards récidivistes ne seront sans doute pas les seuls à voir leur facture augmenter. Ainsi que le redoute Test-Achats, les jeunes et les personnes âgées risquent, eux aussi, de faire les frais du système. De plus en plus souvent, et même s’il subsiste des différences, ces deux catégories de conducteurs se retrouvent sous la même étiquette :  » à risque « .

Nul doute, donc, que les écarts de prix vont grandir, le marché allant dans le sens d’une segmentation et d’une personnalisation plus poussées encore qu’aujourd’hui : outre son expérience au volant, l’âge du conducteur et la puissance de son véhicule influeront de plus en plus sur le montant de sa prime, tout comme le sexe du conducteur ou la localisation de son domicile.

La palette de prix va donc s’élargir, d’autant que chaque compagnie pourra en jouer comme d’un outil commercial : pour remercier un bon client, une prime de fidélité sous la forme d’un rabais de 5 ou 10% sera possible dorénavant, et rien n’empêchera un nouveau venu de casser les prix s’il le souhaite.

Encore faut-il que la libre concurrence ne laisse personne au bord de la route. Car où pourront finalement s’assurer les conducteurs médiocres, malchanceux ou jugés à risque ?

C’est en réponse à cette question qu’une autre réforme se prépare du côté du législateur sous la forme d’un projet de loi qui devrait entrer en vigueur cette année encore. Son principal objectif est de lutter contre le phénomène grandissant de la non-assurance. On estime en effet à 100 000 le nombre d’automobilistes qui roulent sans RC en Belgique. En 2 000, ces non-assurés ont été impliqués dans plus de 7.600 accidents avec blessés (+15% par rapport à 1999). Soit une ardoise de près de 22 millions d’euros (en 2000 toujours) pour le Fonds commun de garantie automobile, sorte de pot commun financé par l’ensemble des assureurs et prévu pour ce genre de situations notamment. Pour tenter de réduire le nombre de non-assurés, dont le coût finit toujours par se répercuter sur les assurés, on procédera désormais à un croisement des fichiers des assureurs avec ceux de la Direction pour l’immatriculation des véhicules (la célèbre DIV), histoire de mieux cerner les resquilleurs.

Un bureau des réclamations

La loi en gestation prévoit une autre mesure, qui elle aussi vise à prévenir la non-assurance en même temps que les tarifs excessifs: la création d’un  » bureau de tarification  » qu’un assuré pourra solliciter après avoir essuyé un refus de couverture ou s’il juge trop élevée la prime proposée. Ledit bureau, composé de représentants des assureurs et des assurés, examinera alors son cas et déterminera une prime (ajustée à la baisse lorsque cela se justifie) que l’intéressé pourra se voir appliquer. La future loi fixera également des limites à la possibilité, dont jouit l’assureur, de  » résiliation après sinistre « . Jusqu’ici, en effet, la compagnie a le droit de mettre fin à un contrat après un sinistre et cela même si son client n’est pas en faute. Il n’aura bientôt plus le droit de  » virer  » son client qu’en cas d’accident en tort. Une exception, toutefois : l’assureur conservera le droit de se défaire des fraudeurs (dégâts exagérés, factures maquillées, etc.).

A ce train de mesures s’ajoutera encore, d’ici à la fin de cet été vraisemblablement, la transposition dans la loi belge d’une autre directive européenne qui, elle, entend mieux indemniser les victimes d’accidents à l’étranger.

Paul Gérard

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire