Les places bruxelloises sont chargées de petites et grandes histoires. De Saint-Géry à la place Royale, elles racontent le développement de la ville à travers les siècles. Parcours fléché. Et non exhaustif.
B ruocsella, la » maison des marais « . C’est le nom donné par Charles de France, duc de Basse-Lotharingie, au terrain spongieux situé en bordure de la Senne, qui donnera naissance à Bruxelles. Située par les historiens – qui ne s’accordent pas sur la date exacte – vers la fin du xe siècle, l’origine de la ville tient à sa situation particulière, à l’extrême limite de navigabilité de la Senne. Les bateaux venant d’Anvers déchargent alors leurs marchandises sur la plus grande des trois îles parsemant le cours d’eau.
Opportunément dénommée « Grande Ile « , elle accueille la célèbre place Saint-Géry, qui est devenue un des lieux de rassemblement les plus courus des adeptes de la nuit bruxelloise. La démolition de l’église du même nom, au xviiie siècle, permet à la place Saint-Géry de se consacrer au commerce. Un marché couvert s’y installe, dédié au textile, puis à la viande, aux fromages et aux fruits. Le bâtiment des Halles, érigé en 1881, devient en 1999 un lieu d’exposition consacré au patrimoine bruxellois.
A quelques encablures de là, sur la terre ferme cette fois, bien que sur un sol sablonneux, se développe, dès les prémices de la cité, le Grand Marché. Qui ne prendra le nom de Grand-Place qu’au xviiie siècle. Siège des autorités de la Ville dès le xve siècle, la Grand-Place est bombardée en 1695 par les troupes françaises de Louis XIV. Malgré la protection de l’archan-ge Saint-Michel, perché au sommet de la tour de l’Hôtel de Ville, la Grand-Place est ravagée, en même temps qu’une bonne partie du centre de Bruxelles. Les corporations de maçons, charpentiers, ébénistes…, qui s’étaient installées dans les différents bâtiments de la place, prennent en charge la reconstruction de ce lieu souvent décrit comme » la plus belle place du monde « .
Moins glamour, la place de la Bourse, située dans le dos de la Grand-Place, logeait au xiiie siècle le couvent des Récollets. Encore partiellement visible le long de l’édifice financier, le couvent franciscain est fermé lors de la Révolution française, et abattu dans la foulée. Le site accueille alors le marché des Récollets, ou Marché au Beurre, qui donnera son nom à la rue reliant la Bourse à la Grand-Place. Un siècle plus tard, la décision est prise d’installer dans le centre-ville une Bourse de commerce – les termes sont encore visibles sur le fronton de l’institution. Les travaux de voûtement de la Senne, solution trouvée, à la fin des années 1860, à l’insalubrité permanente du cours d’eau, sont l’occasion de réaliser ce projet. La place de la Bourse devient rapidement le centre nerveux de Bruxelles, où convergent notamment plusieurs lignes d’omnibus ; les habitants l’appellent alors Point central.
Les boulevards du centre redessinent la ville
Mais le voûtement de la Senne est surtout l’occasion pour Jules Anspach, jeune bourgmestre de l’époque, qui entame son mandat à 34 ans, de lancer une vaste entreprise de rénovation urbaine. Au-dessus du cours d’eau, désormais couvert, sont tracées de nouvelles voiries, de la gare du Nord à la gare du Midi. » La réalisation des boulevards du centre est un tournant dans l’histoire de Bruxelles, raconte Yvon Leblicq, professeur d’histoire des villes à l’ULB. Les axes de circulation se retrouvent inversés. Alors qu’ils s’étiraient d’est en ouest, ils sont désormais dessinés suivant une ligne Nord-Sud. Tout un nouveau pôle commercial et hôtelier se développe alors sur cet axe. «
Ce qui permet l’émergence de la place de Brouckère comme lieu attitré de la détente bruxelloise. Un fameux changement, puisque les lieux étaient auparavant occupés par le temple des Augustins, un édifice de style baroque démonté lors du voûtement de la Senne… et remonté rue du Bailli, où il trône toujours. Libre de cet imposant bâtiment, la place de Brouckère se pare rapidement de cafés et d’hôtels, comme le Plaza, l’Astoria et le Métropole, qui est aujourd’hui le plus ancien établissement de Bruxelles (lire p. 106).
C’est également l’époque des grands magasins : le Bon Marché, l’Innovation et le Grand Bazar (lire p. 104) fleurissent aux alentours de la place, au centre de laquelle s’installe la fontaine baptisée du nom du bourgmestre Anspach. Celle-ci sera déplacée au Marché aux Poissons lors des travaux de construction du métro, qui défigureront la place pour lui donner l’aspect qu’elle a encore aujourd’hui. Le réaménagement annoncé – et plusieurs fois retardé – des boulevards du centre devrait être l’occasion de rendre à la place de Brouckère son cachet authentique.
Autre réaménagement prévu, sans doute en 2009, celui de la place de la Monnaie, qui sert de lien entre la rue Neuve et la rue des Fripiers. Si elle doit son nom à l’atelier monétaire installé par le duché de Brabant au xve siècle, la place de la Monnaie est surtout évoquée dans les livres d’histoire au chapitre » indépendance de la Belgique « . En 1830, la représentation de La Muette de Portici soulève la foule, qui descend dans les rues. C’en est fini du régime hollandais. La Belgique est née. Quinze ans plus tard, le théâtre de la Monnaie périt par les flammes. Il renaît à peine un an après sous la baguette de l’architecte Joseph Poelaert.
L’homme n’est pas un manchot. On lui doit des édifices comme l’église Sainte-Catherine, la colonne du Congrès et, cerise sur le gâteau, l’imposant palais de Justice, devant lequel est aménagée la place Poelaert. Achevé en 1879, peu après la mort de son concepteur, le mastodonte est construit sur une colline de sable répondant au doux nom de Galgenberg, la montagne de la potence, où l’on exhibait les malheureux pendus au gibet.
La montagne de la potence
A quelques enjambées de la place Poelaert, toujours dans le style sanglant, on retrouve au milieu du Petit Sablon la statue des comtes de Hornes et d’Egmont, décapités en 1567 sur ordre du duc d’Albe. Inauguré en 1860, le Petit Sablon est entouré de statuettes de bronze représentant les anciens métiers bruxellois : meunier, fripier, gantier, arquebusier… De l’autre côté de l’église, la place du Grand Sablon est bien plus ancienne. Au début du xive siècle, le terrain, vierge, appartient à l’hôpital Saint-Jean, qui l’utilise comme cimetière. La guilde des Arbalétriers du Grand Serment, une corporation à caractère civil et religieux, y bâtit alors une chapelle pour vénérer la Vierge, bientôt remplacée par l’église Notre-Dame des Victoires au Sablon.
A tout seigneur tout honneur, achevons ce tour de piste par la place Royale. Lorsque le palais des ducs de Brabant, situé sur la colline du Coudenberg, brûle en 1731, l’ancienne place des Bailles est remplacée par une vaste esplanade rectiligne, propice aux défilés militaires. En son centre, la place accueille une statue de Charles de Lorraine, déboulonnée en 1794 par les troupes françaises pour y planter un arbre de la Liberté, lui-même arraché vingt ans plus tard lors de la fuite des Français. Le croisé Godefroid de Bouillon s’installera finalement sur la place. Sous les sabots de son cheval, des fouilles commencées voici vingt ans ont permis de mettre au jour des vestiges de l’ancien palais du Coudenberg. Dont une partie de l’Aula Magna, où l’empereur Charles Quint a abdiqué en 1555. Des lieux chargés d’histoire, qui seront pour la première fois rendus accessibles au public au début de 2009.
G.Q.