Brouillard sur les emplois à la chlorophylle

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Dans quelques années, des centaines de milliers de personnes exerceront un métier en lien avec la protection de l’environnement. Mais dans l’immédiat, ce ne sont pas ces emplois verts qui permettront à la Belgique de sortir de la crise.

Sur l’écran, un titre s’affiche :  » Gisement des déchets en Région wallonne.  » Un doigt se lève.  » Gisement, ça me fait penser à un filon d’or « , lance un étudiant.  » Bonne remarque, embraie le professeur : entre les mains de gestionnaires compétents, les déchets peuvent se transformer en or.  » Ils sont quatorze à suivre la formation en gestion de la filière déchets organisée au Centre de compétences pour l’environnement du Forem, à Mons. Un jour ou l’autre, ils occuperont… un emploi vert.

Ces postes de travail liés de près ou de loin à la réduction de l’impact de l’économie sur l’environnement et à sa protection (lire encadrés) fleurissent depuis quelques mois à tous les coins de phrases. La crise économique, jointe à la certitude que la planète est en danger, a rendu ces emplois – non délocalisables – souhaitables et souhaités. Nombreux sont les responsables politiques qui, en Europe, jurent que les millions de postes supprimés dans l’industrie classique pourront être, au moins en partie, compensés par ces nouveaux métiers. Des paroles en l’air ? Un credo ? Une évidence ?

 » Tant qu’à faire, pour sortir de la crise, autant suivre cette voie-là, lâche un expert proche du gouvernement fédéral. Souvenez-vous que les premières autoroutes ont été construites dans les années 1930 pour sortir de la crise. Idem pour la Coccinelle, lancée par le groupe Volkswagen en période économique difficile. La crise a ceci de bon qu’elle permet de faire évoluer les mentalités. Ce n’est pas facile : il faut modifier la route d’un paquebot. Mais si on ne le fait pas maintenant, on est cuits. « 

Et cuits, notamment, parce que les Etats-Unis, eux, ne tergiverseront pas. Plus volontaristes et plus flexibles que les Européens, les Américains sont capables d’assurer le  » verdissement  » de leur économie en quelques années. A politique inchangée, l’Europe sera, alors, complètement dépassée. Le Vieux Continent n’a pourtant pas le choix : ce que l’on appelle élégamment  » le paquet énergie/climat  » impose de sérieux efforts en matière de développement durable aux Etats membres. La Belgique doit réduire de 15 % ses émissions de CO2 d’ici à 2020, et porter à 13 % la part des énergies renouvelables dans sa consommation d’énergie.

S£ur Anne ne voit pas venir grand-chose

Jusqu’aux élections régionales de juin dernier, aucun message politique fort, cohérent et structuré n’avait été lancé dans notre pays en faveur des emplois verts. Tout le monde s’accordait sur la nécessité de repenser au moins partiellement l’économie en fonction d’impératifs environnementaux, mais aucun projet d’envergure n’émergeait.  » La Belgique ne dispose pas d’un état des lieux quantitatif complet et actualisé des filières créatrices d’emploi avec une plus-value environnementale, déplore le Conseil central de l’Economie. Il est donc impossible de quantifier ce que représentent, aujourd’hui, les  » emplois verts  » en termes d’emplois, de besoins en compétences, d’investissements, de subsides, etc., ou d’avoir une idée précise de leur évolution dans le temps. « 

 » On n’est nulle part, soupire un expert, et je ne suis pas optimiste. Hormis répéter que les emplois verts doivent être de qualité, on n’a pas grand-chose à dire. Mais il est clair qu’à court terme, on ne relancera pas ainsi la machine économique en Belgique. « 

Le nouveau gouvernement wallon a en tout cas ajouté un sixième pôle de compétitivité à son Plan Marshall de relance économique, consacré aux nouvelles technologies de l’environnement, et mise sur les alliances emploi et environnement, notamment via un vaste plan d’isolation de logements et d’économies d’énergie. Le budget de ce plan sera, du coup, porté de 1 milliard d’euros à 1,6 milliard. Reste à concrétiser : la Belgique compte encore 1,2 million de logements équipés de simple vitrage.

A terme, la filière verte semble juteuse : selon le PNUE (Programme des Nations unies pour l’Environnement), l’intensité en emplois des technologies vertes est plus élevée que celle des industries classiques. Des milliers d’emplois dorment dans des secteurs comme la construction, l’économie d’énergie, les transports, les énergies renouvelables, le recyclage, l’agriculture biologique, le traitement de l’eau, mais aussi dans l’industrie traditionnelle comme la sidérurgie, l’aluminium ou le papier.

En Belgique, 77 000 emplois verts existent déjà, affirme le Bureau du Plan, soit 40 % de plus qu’il y a dix ans. Le chiffre d’affaires global du secteur a évolué d’environ 2 % par an durant la même période, passant de 9,8 milliards d’euros en 1995 à 14,4 milliards en 2005. Combien d’emplois verts le pays pourrait-il compter demain ? 25 000, disent les uns,  » de 40 à 50 000 rien qu’en Région wallonne « , assure le député wallon Ecolo Bernard Westphael.

Vivement la présidence européenne !

Pour y voir un peu plus clair, la ministre fédérale de l’Emploi Joëlle Milquet a demandé, en décembre 2008, aux interlocuteurs patronaux et syndicaux réunis au sein du Conseil central de l’économie (CCE) et du Conseil national du travail (CNT) de se pencher sur la question. Elle souhaite en effet relancer le projet lorsque la Belgique occupera la présidence de l’Union européenne, au second semestre 2010.

L’avis demandé n’interviendra pas avant décembre. Patrons et syndicats ne sont pas sur la même longueur d’ondes. Les premiers considèrent que l’économie ne verdira que si elle est dynamisée, notamment en favorisant la recherche et le développement. Pour les seconds en revanche, il n’y aura de création massive d’emplois verts que si de sérieux efforts sont d’abord consentis en matière de formation. Mais les entreprises n’arrivent déjà pas aujourd’hui à respecter le quota qui leur est imposé par l’accord interprofessionnel. On comprend donc que les représentants des employeurs freinent des quatre fers…

Gare à la pénurie des petits hommes verts

La question de la formation est néanmoins cruciale : en Allemagne et en France, les pénuries de personnel qualifié existent déjà. Et en Région wallonne, selon l’enquête signée par EcoRes, une entreprise sur deux interrogée ne trouve pas les collaborateurs souhaités.

 » Les pénuries de personnel qualifié que l’on observera dans une économie verte seront le reflet des pénuries déjà observées sur le marché du travail actuel, souligne Guibert Debroux, directeur du Centre de compétences pour l’environnement du Forem. Car avec les emplois verts, on est plus dans une logique de nouvelles compétences que de nouveaux métiers à part entière.  » A part les fonctions de conseiller en énergie/éco-conseiller, gestionnaire énergétique et auditeur/consultant environnemental, les emplois verts, plutôt qualifiés, voire très qualifiés (sauf dans le secteur de la gestion des déchets), seront constitués en grande majorité d’emplois existants auxquels une nouvelle orientation plus environnementaliste sera donnée. Un exemple ? Des peintres classiques pourraient être amenés à se spécialiser dans les éco-façades…  » Autrement dit, résume Guibert Debroux, il ne sert à rien de multiplier les centres de formation aux métiers de l’environnement si l’on ne dispose pas, à la base, des bons profils de travailleurs. « 

Pour avancer dans leur réflexion, les partenaires sociaux ont réclamé auprès du gouvernement une étude SWOT (traduction : forces, faiblesses, opportunités et menaces) sur le thème des emplois verts. L’enquête globale ne sera pas terminée avant un an.  » Le but du gouvernement n’est pas d’imposer quoi que ce soit en matière de création d’emplois verts, assure un expert. Mais d’inciter les acteurs de l’économie à prendre eux-mêmes ce virage.  » Le gouvernement fédéral dispose, il est vrai, de peu de leviers en matière de politique de l’emploi…

Laurence van Ruymbeke

 » Modifier la route d’un paquebot n’est pas facile. Mais si on ne le fait pas maintenant, on est cuits « 

 » Le gouvernement n’imposera rien en matière d’emplois verts. Il incitera plutôt les acteurs de l’économie à prendre l’initiative « 

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