Brigitte Maréchal :  » Ne plus diaboliser les Frères musulmans « 

Chercheuse à l’UCL, la sociologue Brigitte Maréchal a consacré sa thèse de doctorat à l’héritage des Frères musulmans en Europe (1). Elle promène un regard empathique sur cette mouvance controversée, qui cherche à s’assurer le leadership des musulmans et que les services de sécurité suivent avec attention

Fondée en 1928 par l’Egyptien Hassan Al Banna, la confrérie des Frères musulmans a été la principale matrice idéologique et organisationnelle de l’islamisme international. Les  » Frères  » ont pris pied en Europe comme réfugiés politiques et étudiants. Leur militantisme s’est transformé au contact de la société occidentale. Mieux formés que la plupart des musulmans issus des premières vagues migratoires, les FM ont tissé un réseau d’associations. Ils séduisent par leur engagement et leur discours identitaire. Leur objectif politique ? Devenir les représentants légitimes des musulmans auprès de l’Europe et de ses Etats membres. Décryptage.

Le Vif/L’Express : Quelles sont les références idéologiques des Frères musulmans européens ?

: L’héritage des Frères musulmans en Europe est complexe. En plus du fondateur Hassan Al Banna, ils ont été influencés par Sayyid Qutb et par Saïd Ramadan (

le père du prédicateur Tariq Ramadan), ainsi que par beaucoup d’autres personnalités, souvent en relation avec leurs pays d’origine. La figure de Zeinab al-Ghazali, qui a créé la section des S£urs musulmanes, en Egypte, au temps de Hassan Al Banna, reste très présente parmi les femmes du mouvement. Des auteurs historiques, partisans du respect intégral des textes, comme Ibn Taymiya (xive siècle) ou Ghazali (xiie siècle), sont à leurs yeux des références en raison de leurs hautes qualités intellectuelles et spirituelles. Les Frères musulmans européens se réfèrent aussi aux réformistes de la seconde moitié du xixesiècle, qui entendaient revivifier leur religion par un effort d’interprétation plutôt que par l’imitation.

Les Frères musulmans ont un projet de société totalisant, pour ne pas dire totalitaire, qui fusionne le religieux et le politique et réglemente tous les aspects de la vie privée, sociale, économique, etc. Qu’en reste-t-il en Europe ? Et que font-ils de ce que Sayyid Qutb appelle l’  » obligation absente « , non reprise dans les  » cinq piliers de l’islam « , c’est-à-dire le devoir de propager l’islam par les armes ?

Dans le monde arabo-musulman, les Frères musulmans représentent une force d’opposition parfois clandestine ou armée. Quand la situation le permet, ils se présentent aux élections (Jordanie, Egypte, Maroc) ou exercent le pouvoir (l’AKP en Turquie, le Hamas dans les Territoires palestiniens, le Congrès national au Soudan…). Dans quel registre espèrent-ils jouer un rôle en Europe ?

Le grand mufti de Bosnie a, un jour, lancé l’idée que les musulmans européens soient rattachés à l’Union européenne à l’instar d’un Etat pour ce qui concerne les matières liées à leur statut personnel (mariage, héritage, etc.). Y a-t-il une position commune aux FM en ce qui concerne l’application de la charia, la loi islamique, aux familles musulmanes ?

Peut-on parler d’une  » internationale  » des Frères ?

, mais il est de l’ordre de la consultation. D’une part, les Frères musulmans égyptiens n’ont pas les moyens – ils sortent difficilement de leur pays – ni l’envie de s’immiscer dans les affaires européennes, trop préoccupés qu’ils sont par leurs propres affaires intérieures. D’autre part, les FM européens ont trop conscience de la spécificité de leur situation pour accepter des injonctions de extérieur, qui seraient forcément inadéquates.

Comment expliquez-vous leur montée en puissance sur la scène européenne, dans les institutions nationales et auprès des communautés immigrées ?

Néanmoins, ils ont exacerbé les conflits autour du voile et des questions identitaires. Ne peut-on pas leur attribuer, en partie, un certain repli communautaire ?

A l’origine, la confrérie des Frères musulmans était une société secrète, fondée sur un serment d’allégeance. Mais son emprise, aujourd’hui, est surtout idéologique. Comment avez-vous repéré ses membres avant d’aller les rencontrer ?

(1)  » Héritage-Transmission-Organisations dans la mouvance des Frères musul- mans  » : la thèse de Brigitte Maréchal, qui est chercheuse au Centre Interdisciplinaire sur l’Islam dans le monde contemporain (UCL), va être publiée en anglais chez l’éditeur Brill (Leyde).

Entretien : Marie-Cécile Royen

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