Boeuf à la menthe blues

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Tombé dans la marmite du blues, Gomez réalise un album d’une parfaite modernité

Il y a quatre ans, on découvre Bring It On, signé d’un groupe alors inconnu – Gomez – qui s’ouvre sur le titre Get Miles: trente secondes d’intro psychorock télescopées par la voix fabuleuse d’un certain Ben Ottewell, propriétaire d’un larynx fêlé dans toute sa longueur. Une texture rauque, qui donne l’impression d’un document d’archives retrouvé dans une cave moite de Louisiane. On a tout faux, bien sûr: Gomez est strictement actuel, et anglais pure sauce menthe.

Depuis ce premier album plébiscité par la critique et le public, la formation a sorti un autre disque réussi ( Liquid Skin, en 1999), un Extended Play de cinq titres, une compil bourrée d’inédits ( Abandoned Shopping Trolley Hotline, en 2000). Et, en ce printemps 2002, In Our Gun, une nouvelle fois baigné dans le blues, mais séché sous toutes les latitudes musicales du folk, de la country, voire de l’électro.

« Le blues est une forme que nous aimons pour sa simplicité, son immédiateté. En même temps que nous mûrissons comme compositeurs, nos idées deviennent plus mélangées: on peut parfaitement mettre une ligne de basse dub sur un folk, y ajouter une guitare rock avant que quelqu’un d’autre ne vienne y rajouter un rythme brésilien: Gomez est fait de gens libres d’esprit. C’est ce qui nous permet aussi de ne jamais décider d’avance lequel des trois vocalistes va prendre une chanson en bouche: le processus est purement instinctif. » Hormis le Ben déjà cité, le quintet de Southport (au nord de Liverpool) se compose de Paul Blackburn (basse), Olly Peacock (batterie), Ian Ball (vocaux, guitares, harmonica) et Tom Gray (vocaux, claviers). C’est ce dernier qui répond le plus volontiers aux questions. In Our Gun représente sans doute le disque le plus complexe du groupe: une offrande faite de couleurs diverses, de sensations multiples. Mais jamais de ces nuances artificielles qui hantent parfois les disques comme une moisissure: « C’est peut-être une question de refus absolu du cynisme, de cette trop grande confiance en soi qui mène à la prétention. »

Le son du chaos

Parler de la musique de Gomez, et en particulier du style de In Our Gun, n’est pas des plus facile. Mais on sent néanmoins une tension sous-jacente à plusieurs chansons: « Le disque a été enregistré entre mars et septembre 2001: une période chaotique en Angleterre comme dans le monde. Catastrophes ferroviaires en Grande-Bretagne, chaos en Palestine, premiers mois de l’administration Bush et déclarations sur l’usage des missiles projeté: même si nous ne sommes pas un groupe « politique » au sens premier du terme, tout cela s’est glissé dans notre musique. » Ainsi 1 000 Times, à nouveau brillamment interprétée par Ottewell, effectue une balade au coeur de la Palestine bouleversée. Le blues n’est vraiment pas loin… « On vient d’un coin de l’Angleterre très marqué par le socialisme. Jusqu’à nos parents ou nos grands-parents, nos familles étaient ouvrières avant de glisser vers la middle class. C’est peut-être pour cela qu’on est toujours prudent avec l’argent dépensé. On sait que tous les frais seront déduits des profits du disque: à Londres, les studios Abbey Road coûtent 3 000 euros la journée. »

Enregistré en grande partie dans le Gloucestershire et terminé dans les studios Real World à Box, le disque est également teinté de virées pastorales, de ce folk british issu des années 1960. « Danny Thompson, légendaire bassiste de Pentangle, est venu jouer sur le disque: cela m’a fait un effet d’autant plus bizarre que, môme, j’écoutais ses disques chez mes parents. D’ailleurs, Thompson nous ressemble pas mal: il possède une foi quasi spirituelle en la musique mais aime aussi profiter des plaisirs de la vie. » Ces caractéristiques se ressentent amplement dans la façon dont Gomez transcende ses racines pour arriver à un tissu musical aussi généreux. On est d’autant plus impressionné par la qualité d’ In Our Gun que la moyenne d’âge des musiciens ne dépasse guère 25 ans. Tout cela avec un naturel, réellement, confondant.

CD In Our Gun, chez Virgin. Gomez sera en concert le 29 mai, au Botanique, à Bruxelles. Tél.: 02-218 37 32.

Philippe Cornet

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