Bobby le magnifique

Robert Redford réalise Sous Surveillance, dans lequel il joue et retrace la vie d’un ancien militant radical. Rencontre avec un homme qui se raconte dans ses films. Un peu, beaucoup, passionnément.

Commençons par un lieu commun : Robert Redford est beau. Il faut l’avoir en face de soi, hors d’un plateau télé et des cinq couches de fond de teint, pour vraiment s’en rendre compte. Au naturel, sa cascade de rides d’homme de 76 ans ajoute à son charme et à son charisme. La poignée de main, accompagnée d’un grand sourire, est chaleureuse. Anthologique, également. Ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre, en même temps, the Sundance Kid, Jeremiah Johnson, Gatsby le magnifique et l’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux.

Jim Grant, qu’il interprète dans son dernier film, Sous surveillance, – tout juste sorti en salles – gagne également à être connu. Un activiste pacifiste devenu avocat rangé, obligé de reprendre le maquis quand, trente ans plus tard, le FBI retrouve sa trace. L’occasion pour Redford d’évoquer ses illusions perdues et sa soif d’indépendance.

Le Vif/L’Express : Vous n’en avez pas marre d’être considéré, avant tout, comme une star hollywoodienne, alors que vous vous évertuez depuis plus de trente ans à défendre le cinéma indépendant ?

Robert Redford : Disons que le statut est contraignant. A mes débuts, j’ai eu beaucoup de mal avec la célébrité. Je ne m’imaginais pas les choses ainsi. Je pensais que le phénomène allait disparaître. Ou, au moins, s’atténuer. Quand j’ai vu que ce n’était pas le cas, j’ai essayé de prendre un peu de distance, en allant vivre à l’écart, loin des grandes villes. Je me rends compte, aujourd’hui, que, malgré cet éloignement, le regard des gens n’a pas beaucoup changé.

Sous Surveillance déploie un ton assez désabusé, et démontre qu’avec le temps les plus idéalistes aspirent à un certain confort et cèdent au libéralisme. Est-ce un constat d’échec ?

Non, juste un constat. Je voulais parler de la complexité de l’engagement et comment il est remis en question dès lors qu’il cède à la violence. Le mouvement de ces activistes est détruit de l’intérieur à partir du moment où il y a mort d’homme. Obligés de se fondre dans la masse pour échapper à la loi, ils se construisent une autre vie et, au fil des années, changent. Mais combien de temps peut-on vivre sous une fausse identité ? Voilà ce que je raconte. Quand j’étais petit, un de mes romans favoris était Les Misérables, de Victor Hugo. Cette histoire du chasseur, Javert, poursuivant sans relâche sa proie, Jean Valjean, me fascinait.

Au-delà de l’inéluctabilité du destin, vous racontez surtout qu’on n’échappe pas au système.

D’abord, il y a quelque chose de fondamental avec le système, surtout quand il est régi par un gouvernement qui possède des antennes comme la police, le FBI ou la CIA : vous ne pouvez transgresser certaines règles sans qu’il y ait des conséquences. C’est impossible. Au quotidien, ce système est tout-puissant. C’est là que le défi devient intéressant : rester libre, indépendant, se démarquer des discours prémâchés. C’est un effort constant.

Partagez-vous l’avis de votre ami et réalisateur Sydney Pollack, avec qui vous avez tourné Nos plus belles années et Les Trois Jours du Condor, qui disait que tout est politique, même une histoire d’amour ?

Tout est politique, bien sûr, mais peut-être pas une histoire d’amour. Encore que Sydney adorait ce genre d’affirmation, qu’il argumentait toujours d’un raisonnement très alambiqué. Un jour, je lui avais demandé pourquoi, dans les films qu’on faisait ensemble, il ne laissait jamais mon personnage vivre une relation amoureuse jusqu’au bout : le couple se séparait ou la femme mourait. Deux choses l’intéressaient : soit ce qui précédait la naissance d’un couple, soit la frustration qu’engendre une romance non assouvie. Maintenant, si on considère l’amour comme une relation de pouvoir de l’un sur l’autre, alors oui, c’est politique. Voilà qui mérite réflexion.

Il y a un peu plus de trente ans, vous créiez le Festival de Sundance, manifestation consacrée au cinéma indépendant, devenue aujourd’hui un rendez-vous incontournable et très médiatisé. Etes-vous dépassé par son importance ?

J’avoue que ce n’est plus aussi amusant que ça l’était. J’ai créé ce festival envers et contre tous. On me disait que personne ne viendrait, que le cinéma indépendant n’intéressait personne. Je suis allé à Salt Lake City (Utah), la ville la plus proche de chez moi qui possédait un cinéma. On y a présenté quelques films, en faisant passer le mot aux cinéastes indépendants dans l’espoir de créer une communauté fondée sur le partage. Il n’y avait aucun soutien financier. Après quelques années, Sexe, mensonges et vidéo y a été montré. Le plébiscite du film a été un déclic. Le festival a pris de l’ampleur. Dans les années 2000, il est devenu gigantesque. Et on a découvert le côté obscur du succès, avec l’arrivée des publicitaires, des paparazzis, de tous ceux qui voulaient utiliser le festival dans leur propre intérêt. Il reste malgré tout destiné aux jeunes, aux indépendants, aux courts-métrages. On est passé de 150 à 60 000 spectateurs ! Et l’opération rapporte de 60 à 70 millions de dollars à l’économie locale, alors… le bilan est positif. Mais le festival a perdu de son charme.

De Steven Soderbergh à Quentin Tarantino, la plupart des réalisateurs qui ont été découverts à Sundance rejoignent Hollywood. Vous le regrettez ?

Non. Le festival est là pour aider les cinéastes, pas pour les obliger à suivre un chemin. On a créé des laboratoires pour développer leur talent et les épauler. Quand ils partent, on ne se préoccupe pas de ce qu’ils font après. On montre leur travail. S’ils veulent utiliser Sundance comme un tremplin pour aller voir les studios, c’est leur choix. Cela ne nous regarde pas.

Vous-même, comme acteur, avez participé à des films de studios très contestables. Pour n’en citer qu’un : Proposition indécente, d’Adrian Lyne…

Il n’y a qu’une raison : l’argent. En outre, le personnage de Proposition indécente est un rêve d’acteur. Un type qui propose 1 million de dollars à un homme pour coucher avec sa femme, très belle de surcroît, c’est formidable ! Après la sortie, j’ai eu un nombre incroyable de propositions de femmes qui voulaient me donner 1 million de dollars pour coucher avec moi. J’ai bien ri.

Vous venez de finir Captain America, un gros film de super-héros. Pas très indépendant, non plus !

Même réponse : pour l’argent (en français).

Que vous évoque la nouvelle version de Gatsby le magnifique, avec Leonardo DiCaprio, qui sera présentée en ouverture du Festival de Cannes ?

Que du bien. Le sujet est intemporel. Quand on a tourné notre version, en 1974, le projet était énorme. Néanmoins, je me suis toujours demandé s’il n’aurait pas dû être dirigé par un réalisateur américain. Le scénario était génial, signé Francis Ford Coppola, mais autant j’aime beaucoup Jack Clayton (le metteur en scène), autant je le trouvais trop anglais pour le film. Il a appliqué une sensibilité très britannique à une histoire typiquement américaine. J’attends aujourd’hui qu’un metteur en scène américain s’y attaque (Baz Luhrmann, le réalisateur de la nouvelle version, est australien). Mais quel plaisir de jouer ce rôle ! Moi qui venais d’une famille modeste d’ouvriers et qui rêvais d’une vie meilleure… Je ne suis pas devenu Gatsby, dans la mesure où je ne me suis pas créé un personnage, mais je voulais, comme lui, changer de vie, avoir plus de liberté.

A Cannes justement, on vous retrouvera dans All Is Lost, de J. C. Chandor, un film, paraît-il, très radical ?

Oui, car dépourvu de dialogue et d’acteurs. Je suis seul du début à la fin sur un bateau, au milieu de l’océan Indien, pris dans une violente tempête. Le film raconte en détail ce que fait le personnage pour survivre. C’était très physique à tourner, mais je suis heureux de l’avoir fait.

Sous Surveillance, aussi, vous a demandé des efforts physiques. A 76 ans, comment faites-vous ?

J’ai toujours été sportif. Et je continue tant que je peux. Je joue au tennis, je nage, je monte à cheval, je skie. Je ne veux rien prouver. Simplement, j’aime m’amuser et me dépenser.

PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE CARRIÈRE

 » Comme Gatsby, je voulais changer de vie, avoir plus de liberté « 

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