Blessures de guerre restées à vif
La crosse en l’air des soldats flamands. Mai 1940. L’armée belge, à bout de souffle, engage la bataille de la Lys. C’est le drame : légèrement bombardé, le 15e de Ligne lâche aussitôt prise. Les Chasseurs ardennais encaissent héroïquement le choc de la défection du régiment flamand.
L’unité qui a flanché était réputée pour son » mauvais esprit « , pour être travaillée par la propagande séparatiste des nationalistes flamands. Le cas n’est pas isolé : lors de la campagne des dix-huit jours, la démoralisation et les redditions massives gagnent surtout les unités d’infanterie néerlandophones, » soit par manque de cadres compétents, soit du fait d’un antimilitarisme plus présent en Flandre, accentué par la propagande défaitiste du Vlaams Nationaal Verbond » (1).
A la Libération, l’armée passe au peigne fin la conduite au combat de ses unités. Le 15e de Ligne ne sera jamais reconstitué, les gradés flamands sortent les plus sévèrement punis de l’épreuve.
Professeur d’histoire militaire à l’Ecole royale militaire, Luc De Vos pourfend cette » épuration. » » Le classement établi ne valait pas tripette. 80 % des enquêteurs étaient francophones. Attribuer les défections aux agissements du nationalisme flamand était un peu court. C’est l’Etat belge qui avait commis l’erreur de constituer des unités unilingues, recrutées sur une base régionale. A la demande des francophones. » L’affaire laissera de nombreux officiers flamands éc£urés.
La ranc£ur des prisonniers de guerre wallons. Hitler, semeur de zizanie parmi les prisonniers de guerre belges de l’an 40. Alors que les Flamands sont rapidement autorisés à rentrer au bercail, les Wallons sont priés de rester derrière les barbelés.
Dans les stalags, la réalité est plus complexe : » De 65 000 à 70 000 Wallons resteront jusqu’en 1945 dans les camps. Soit moins d’un quart des prisonniers de guerre wallons retenus au départ « , nuance Luc De Vos. » Des Flamands, notamment tous les militaires d’active, sont restés en captivité « , confirme l’historien Francis Balace (ULg).
Dans la mémoire des gens, le mal est fait. Des milliers de foyers wallons n’ont jamais pu le digérer. Ni pardonner.
1995, 50e anniversaire de la libération des camps : un hommage officiel est rendu à tous les anciens prisonniers de guerre, y compris d’origine flamande. Mais il n’a rien de national. La cérémonie se déroule à Liège. C’est le gouvernement régional wallon qui invite, et l’Institut Jules Destrée qui est à la man£uvre. Les autorités fédérales et flamandes brillent par leur absence.
Robert Collignon (PS), alors ministre-président wallon, assume : » J’ai pris cette initiative parce qu’elle était politiquement incorrecte. Je voulais qu’hommage soit rendu à ces Wallons qui avaient payé dans leur chair leur appartenance à une communauté. «
La main vainement tendue des Flamands. Août 2000, pèlerinage de l’Yser. Frans-Jos Verdoot fait sensation. Ce fils de collabo flamand lourdement condamné présente le pardon historique de la Flandre pour sa collaboration. Geste courageux, que le parlement flamand traduit en 2002 en une résolution adoptée par tous les partis démocratiques flamands (N-VA exceptée).
L’appel aux francophones à examiner sereinement le passé de guerre, sans verser dans les outrances de l’amnistie, reste sans suite. Et le cri d’espoir de Verdoot et de ses amis, sans écho de l’autre côté de la frontière linguistique : » Voorwaarts, maar niet vergeten. » » Avancer mais ne pas oublier. «
(1) P. Aron – J. Gotovitch, Dictionnaire de la Seconde Guerre mondiale en Belgique, éd. A Versaille.
Les affiches qui illustrent ce reportage proviennent des Archives de la ville de Bruxelles. Nous remercions tout particulièrement Julien Bohain, archiviste-bibliothécaire.
P. HX
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