BILLET

L’avant-projet du ministre de la Justice tendant à réduire la surpopulation dans les prisons est très conjoncturel. La menace d’une révolte généralisée des détenus est en effet réelle. Il en va de même des gardiens, qui en ont soupé de devoir traiter de façon inhumaine des gens dont ils sont les premiers à constater, sur le terrain, qu’on leur réserve un sort inadmissible, très éloigné en vérité d’une simple privation de liberté, comme la loi l’exige. Les juges d’instruction eux-mêmes se lassent de travailler dans des conditions purement répressives, sans pouvoir tenir compte des cas individuels, comme l’illustre bien le nombre de justiciables qu’ils placent chaque jour sous mandat d’arrêt. Il s’agit pourtant de la décision la plus lourde que puisse prendre un juge. Mais, comment auraient-ils le loisir de peser et soupeser une telle décision quand, talonnés par les délais légaux, ils doivent décider de toute urgence, arrêter ou ne pas arrêter des flopées de justiciables que, de toute manière, ils devront relâcher s’ils n’ont pu examiner leur cas dans les vingt-quatre heures de la privation effective de liberté. L’enjeu est important, car ces justiciables qu’on leur amène sont soupçonnés de crimes ou délits les plus divers, parfois très ordinaires, parfois gravissimes.

Cette course contre la montre ne permet guère, de toute évidence, aux juges d’instruction, hantés le cas échéant par l’idée qu’ils devraient libérer quelqu’un qui pourrait rapidement récidiver, de prendre une décision aussi mûrie que les principes le voudraient.

Les remèdes que propose le ministre de la Justice sont un peu comme de l’aspirine. Ils permettront peut-être de masquer en partie le mal, mais ils ne le guériront sûrement pas. A la limite, ce sont des trucs, comme le bracelet électronique, gadget offrant l’avantage qu’on ne verrait plus les condamnés tout en les surveillant à distance. C’est Winston Churchill, je crois, qui disait que le degré de démocratie d’une société se mesure à la manière dont elle traite ceux qu’elle emprisonne. A ce sujet, il n’y a pas de quoi être fier en Belgique. Il n’est pas exagéré de soutenir que nos prisons, telles qu’elles fonctionnent, renouent avec les peines corporelles de l’Ancien Régime.

L’humiliation, la déshumanisation qu’entraîne nécessairement un séjour plus ou moins long dans les cellules où on entasse les prisonniers est une honte. C’est aussi, et peut-être certains y seront-ils plus sensibles, une formidable dépense d’argent, tout à fait contre-productive, car les prisons coûtent les yeux de la tête. Au lieu de lutter contre la criminalité, de favoriser l’amendement des condamnés, on transforme les détenus en bêtes sauvages de plus en plus redoutables.

Dit simplement, il y a beaucoup trop de gens en prison. Un grand nombre de détenus seraient, dans notre propre intérêt, moins dangereux dehors que dedans. Il ne faudrait donc peut-être pas tenter de vider les prisons par des astuces diverses, mais commencer par se demander si l’on n’y envoie pas trop de monde. Après tout, la moitié ou presque des prisonniers sont en détention préventive. C’est un constat que M. Verwilghen ne peut qu’enregistrer. Car, si l’exécution des peines le regarde, il n’a évidemment rien à dire aux juges. L’histoire de la détention préventive est déprimante. Chaque fois qu’on a fait une loi ayant pour objet de la raréfier, elle a augmenté, soit que la criminalité se soit accrue entre-temps, soit que, notre société étant ce qu’elle est, la répression, fut-elle aveugle, ait la cote. Mettre un justiciable sous mandat d’arrêt est-il toujours étranger à l’idée que, s’il devait être acquitté quand on le jugera, ou n’être condamné que modérément, on lui aura quand même donné une bonne leçon ? J’insiste là-dessus en raison de la proportion considérable des personnes détenues préventivement, et qui sont présuméés innocentes.

On dira certes que les chiffres d’agressions contre les personnes sont en augmentation effrayante et appellent une répression plus sévère, ou en tout cas des mesures de sécurité renforcées. C’est très clair, mais il faut ajouter tout aussi clairement que cette criminalité ne concerne qu’un faible pourcentage des prévenus, notamment parce qu’il s’agit de bandes si bien organisées, si performantes à leur manière, qu’elles font souvent échec à la police. En revanche, il ne sert pas à grand-chose de traiter de plus en plus durement des justiciables peu redoutables, si cela a pour effet de les faire passer dans la catégorie des pires bandits.

Le meilleur moyen de vider les prisons et de pouvoir se consacrer efficacement à lutter contre une criminalité terrible est de ne pas mélanger les pommes et les poires, de ne pas traiter de la même manière des délinquants ordinaires, qu’aucune société n’est jamais parvenue ni ne parviendra à évacuer, et de véritables ennemis que rien n’arrête, en effet, sauf la prison, où l’on en trouve relativement peu. Il y a si longtemps qu’on dit que, contrairement à l’art de la pêche, les filets de la justice retiennent mieux les petits poissons que les gros.

Philippe Toussaint, rédacteur en chef du Journal des procès

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