Bernanos ressuscité

Entamée en 2008, la réédition complète de son ouvre permet de (re)découvrir le grand écrivain catholique. Voici deux joyaux qui brillent d’une noire modernité.

Mais déjà le grand vent noir qui vient de l’ouest éparpille les voix dans la nuit  » : Bernanos a l’art de commencer un roman comme il pourrait finir. Publié en 1937, Nouvelle Histoire de Mouchette, qui sort enfin d’un long tunnel éditorial, avec trois autres textes, fascine par sa modernité. Etrange impression en ouvrant ce livre que les jeux sont faits, que l’histoire n’a plus qu’à dégringoler avec son héroïne les sentiers ravinés par la pluie, rouler jusqu’au fossé boueux. Insensible à la grêle et au froid, la jeune Mouchette cherche dans les bois l’unique ivresse qui chauffe encore son c£ur : fuir quelques instants un village détesté, le voir de haut, le voir de loin. Mais, un soir, elle croise un braconnier qui la viole. Cette longue nouvelle est une bouleversante pantomime, secouée par des sanglots sans larmes. Contrairement aux autres romans de Bernanos (1888-1948), nul prêtre ici à l’horizon. Mouchette ne sent pas l’encens, mais l’odeur âcre de la terre après l’orage.

Mettre cet écrivain catholique au  » purgatoire « , lui qui fustigeait les demi-mesures, les tiédeurs spirituelles, il fallait oser. C’est pourtant là que l’£uvre était rangée depuis une quinzaine d’années. Même Plon, l’éditeur historique qui avait accueilli Sous le soleil de Satan en 1926, n’y croyait plus. Coup de théâtre en 2007, les ayants droit quittent Plon, accusé de ne pas tenir ses engagements.  » Plusieurs titres étaient devenus introuvables. Nous voulions un éditeur indépendant et passionné, qui soit prêt à prendre des risques « , explique Gilles Bernanos, petit-fils de l’écrivain. Modeste mais robuste, la maison bordelaise du Castor astral accepte le défi de tout rééditer en grand format, à raison de trois titres par an. A hauteur de Mouchette, on retiendra le fascinant Monsieur Ouine, autre sommet escarpé et peu fréquenté. Si Mouchette est porté par un seul souffle – ou un seul râle douloureux – Monsieur Ouine est un livre asthmatique, dont la rédaction compliquée s’est étalée sur dix ans. Dans un village où toute vie spirituelle semble réduite à des tristesses coupables, un petit valet est découvert un matin, étranglé. Ce village pervers, avec son maire rongé de remords, sa châtelaine à moitié folle, son curé craintif, Bernanos le respire par tous les pores de son âme pour le rendre dans une hallucinante convulsion de mots. Toujours au bord de l’apostasie, comme les vrais croyants, Bernanos fait dégorger le monde de sa saleté, jusqu’à ce qu’il rende les joies refusées, les libertés enfouies.

Nouvelle Histoire de Mouchette, par Georges Bernanos, 114 p., 15 euro ; et Monsieur Ouine, 309 p., 19 euro. Le Castor astral.

PHILIPPE CHEVALLIER

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire