Beaucoup de bruit pour 20 ?

A la veille du sommet du G 20 à Séoul, les dirigeants des pays les plus riches veulent s’attaquer à la réforme du système monétaire international. Mais ont-ils tenu leurs précédentes promesses ? Bilan sur deux ans.

Poser les fondations d' » un nouvel ordre monétaire international « . Tel est l’objectif, pour le moins ambitieux, assigné par Nicolas Sarkozy à la réunion du G 20 à Séoul, ce 11 et 12 novembre, mais aussi celle, politiquement cruciale pour lui, qui se déroulera sous présidence française à Cannes, en juin 2011. Le sujet est brûlant : l’arme monétaire est utilisée de plus en plus ouvertement par les grands pays pour éviter la déflation et renforcer, aux dépens de leurs concurrents, la compétitivité de leurs exportations. En clair, le risque se précise d’un retour au bon vieux  » chacun pour soi « . Une ambiance délétère, donc, et peu propice aux grandes avancées institutionnelles. Les Vingt peuvent-ils, malgré tout, aboutir ? Pour répondre à cette question, un coup d’£il dans le rétroviseur s’impose : depuis sa création, il y a deux ans, le G 20 a lancé nombre de chantiers de grande ampleur (bonus, paradis fiscaux, gouvernance économique mondialeà) Les promesses ont-elles été tenues ?

L’une des principales raisons d’être du G 20 était le renforcement de la régulation financière.  » Plus jamais ça !  » juraient alors, la main sur le c£ur, les dirigeants des grands pays, encore sous le choc de l’effondrement du système financier.

Chacun appliqueles règles à sa manière

En novembre 2008, le G 20 de Washington réclamait que  » tous les marchés, produits et acteurs, fassent l’objet d’une régulation et d’une supervision adaptées « . Une idée déclinée lors du sommet de Londres, en avril de l’année suivante : les fonds spéculatifs (hedge funds) ont l’obligation de s’enregistrer, les agences de notation doivent être mieux encadrées, les normes comptables et prudentielles, réformées, et le mode de rémunération des traders doit être amendé pour ne plus encourager les comportements  » pousse-au-crime « . Enfin, cerise sur le gâteau, des listes noires et grises de paradis fiscaux étaient créées à Londres, pour pointer du doigt les pays ne respectant pas les règles internationales en matière de transparence financière. Quel arsenal ! Dommage que tout cela soit resté, pour l’essentiel, au stade des principesà  » Un certain nombre de divergences sont alors apparues, témoigne un participant aux négociations. Pour certains pays, c’était à chacun d’appliquer à sa manière les règles édictées lors des sommets, alors que pour d’autres, c’était au G 20 lui-même d’établir un certain nombre de normes précises et contraignantes.  » Les sommets de Pittsburgh, en septembre 2009, puis de Toronto, en juin 2010, font plutôt pencher la balance dans le sens de la première thèse. Dans deux domaines seulement (les bonus des traders, et les normes dites prudentielles, qui obligent les banques à détenir un certain niveau de capital pour faire face à d’éventuelles difficultés) le G 20 apporte suffisamment de précisions sur la manière d’appliquer les règles.

Salaires et bonus à un niveau record

Finalement, chaque régulateur national a fait une réforme à sa sauce, en tenant plus ou moins compte des indications du G 20. Ainsi l’Union européenne a-t-elle mis l’accent sur la surveillance des fonds spéculatifs et des produits dérivés, qui ont joué un rôle majeur dans la crise de l’euro. Les Américains, de leur côté, ont adopté cet été la loi Dodd-Frank : un épais document de 2 000 pages, certes largement édulcoré par les lobbys financiers, mais qui comprend un certain nombre d’avancées : limitation de la part des dépôts que les banques peuvent jouer au grand casino spéculatif, amélioration de la transparence des échanges sur le marché des produits dérivés, création d’une agence de protection du consommateurà

L’objectif – éviter qu’une crise majeure puisse avoir lieu à nouveau – a-t-il été atteint ? Indiscutablement, plusieurs problèmes demeurent, comme celui de la taille des banques : la crise ayant entraîné des fusions, aux Etats-Unis notamment, les grands établissements financiers sont aujourd’hui encore plus gros et encore moins nombreux. En cas de problème, c’est donc le contribuable qui risque à nouveau de devoir payer l’addition. Au demeurant, le secteur financier a su aussi faire preuve d’une grande habileté pour passer entre les mailles du filet. Ainsi, nombre de banques ont augmenté les salaires fixes, pour contourner la régulation sur la limitation des bonus. Selon le Wall Street Journal, salaires et bonus devraient atteindre, en 2010, le niveau record de 144 milliards de dollars, soit 4 % de plus que l’an passé. De même, la carte des paradis fiscaux a sans doute été légèrement modifiée, mais l’ère du secret bancaire, contrairement a ce qu’avait claironné le communiqué final du G 20 de Londres, est bien loin d’être révolue.

 » Rien n’a vraiment changé, tranche Marc Fiorentino, président d’EuroLand Finance : la spéculation est plus forte que jamais, les salaires flambent, les hedge funds font des résultats sans précédentà Les financiers ont failli faire sauter la planète, et on s’est contenté de leur confisquer les allumettes.  »  » Des avancées ont été obtenues, nuance de son côté Henri Sterdyniak, économiste à l’OFCE et signataire d’une pétition (le « Manifeste des économistes atterrés »), qui déplore la lenteur des changements en la matière. Mais l’hypertrophie de la sphère financière n’a pas été remise en question.  »

Alors, inutile, le G 20 ? Chacun peut faire le constat de la résistance au changement des banquiers. Mais, pour certains, ce n’est pas forcément une raison pour désespérer de ce type de sommet.  » En réalité, depuis un an, l’analyse des causes de la crise au sein des instances internationales s’est affinée, témoigne un expert de ces rendez-vous. Derrière l’incurie, bien réelle, des financiers, on a identifié les déséquilibres de l’économie mondiale, qui sont la cause profonde des excès spéculatifs.  » D’un côté, la Chine réalise des excédents commerciaux d’autant plus importants que le yuan, contrôlé par les autorités de Pékin, est notoirement sous-évalué. Et cette épargne est largement réinvestie en bons du Trésor américains, placement réputé sûr du fait du statut de monnaie de réserve du dollar. De l’autre, les Etats-Unis réinjectent massivement ces liquidités dans leur économie, via le système financier, quitte à accentuer un endettement déjà massif, et à alimenter de nouvelles bulles. Quand ils ne font pas purement et simplement tourner la planche à billets.

Bisbilles sino-américaines

Ce cercle vicieux, le G 20 veut s’employer à le briser. Autant dire que la décision de la banque centrale américaine, jeudi 4 novembre, de déverser des flots de cash (600 milliards de dollars !) sur l’économie a été fraîchement accueillie par la communauté internationale. Cette politique  » ne vaut plus rien « , a commenté Wolfgang Schäuble, ministre des Finances allemand, qui s’est permis au passage de suggérer aux Américains de s’inspirer du modèle allemand. Une escarmouche qui fait suite aux bisbilles sino-américaines, aux querelles européano-japonaises et aux déclarations de Guido Mantegna, ministre des Finances brésilien, le 26 septembre :  » Nous sommes au centre d’une guerre monétaire inter-nationale ! « 

Les Etats ont connu les plus grandes difficultés pour domestiquer, un tant soit peu, la sphère financière. Rien n’indique, pour l’heure, qu’ils se montreront plus aptes à se discipliner les uns les autres.

Benjamin Masse-Stamberger

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