Aux rendez-vous de l’art brut

Guy Gilsoul Journaliste

Alors que le Lam de Villeneuve-d’Ascq puise dans la collection des Suisses Korine et Max E. Ammann, Art et marges à Bruxelles invite la Fabuloserie, un des hauts lieux de l’art brut en France.

En une vingtaine d’années Max E. Ammann et sa compagne ont acheté 5 000 £uvres à plus de 500 artistes. Si leur appétit les mène souvent vers les salles de vente et les galeries spécialisées, leurs plus beaux souvenirs proviennent des rencontres directes avec ces étranges créateurs qui, à l’écart du monde, peignent, dessinent, sculptent, brodent et assemblent selon leurs seuls critères. Loin des podiums de la culture, souvent sur un coin de table ou une arrière-cuisine, ils ont partagé repas et amitiés naissantes. A Villeneuve-d’Ascq, on découvre 250 pièces ainsi rapportées non seulement des pays visités en Europe mais aussi d’horizons plus lointains comme les Etats-Unis, l’Australie ou encore la Malaisie. On aurait pu les mélanger avec le seul but d’étourdir et d’emporter le visiteur dans l’enchantement. On a ici préféré construire un parcours thématique passant des expressions humaines traduites dans le traitement des visages aux visions d’environnements urbains et à ses labyrinthiques couloirs. Plus loin, on est plongé dans les visions d’Arcadie liées aux paysages de campagne et, de là, aux scènes de violences guerrières, aux relations avec la religion, voire la spiritualité et finalement aux écritures et aux inventions ornementales.

L’exposition bruxelloise tente au contraire de recréer un peu de l’atmosphère délirante d’un des plus extraordinaires musées de la marginalité, la Fabuloserie, installé en Bourgogne. Au départ de l’aventure, en 1972, il y a la rencontre entre Jean Dubuffet dont la collection d’art brut est en partance pour Lausanne et un architecte en vue, Alain Bourbonnais. Ce dernier décide alors d’ouvrir une galerie ( » Sous le vent « ) dédiée à cette forme d’expression à Paris. Dix ans plus tard, il inaugure la Fabuloserie dans un bâtiment dont il recompose les espaces intérieurs pour en faire un véritable parcours labyrinthique qui va du tunnel au grenier blanc puis noir en passant par le tunnel, le tambour et finissant par une salle où lui-même réunit ses propres créations boursouflées et masquées. En route, on aura croisé ses compagnons de voyages, tous bricoleurs sans domicile fixe alors que la pièce maîtresse, le Manège de Petit Pierre, vingt ans de travail et une mécanique aussi affolante que monumentale, tourne et tourne dans le jardin. Car les compagnons de Bourbonnais sont des gens du commun qui souvent, à l’heure de la retraite, ont pris le large. Ils ont été marin, mineur de fer, gardien d’abeilles ou instituteur. Parfois même architecte. Ils ont souvent une vengeance au c£ur de l’âme et de très petits moyens pour l’exorciser. Alors, ils bricolent, peignent sur des toiles de sac, taillent des bûches, inventent des mondes ou des jouets qu’ils n’ont jamais eus, ou alors se racontent des histoires. L’un d’eux, conteur du côté des Halles à Paris fut d’abord boulanger. On lui achetait des pains en forme de poissons ou d’oiseaux. On trouve aussi dans l’exposition un homme qui, longtemps, vécut en bordure de la forêt de Soignes : Jephan De Villiers.

Collectionneurs de mondes, Lam, Villeneuve-d’Ascq. Allée du Musée. Jusqu’au 13 mai. Du mardi au dimanche, de 10 à 18 heures. www.musee-lam.fr

Le Fabuleux Destin des Bourbonnais, Art et Marges, 312-314 rue Haute, à Bruxelles. Jusqu’au 28 mai. Du mardi au dimanche, de 11 à 18 heures. www.artetmarges.be

GUY GILSOUL

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