Aux larmes et cætera

En contemplant cette année 2013 depuis le balcon du mois de décembre, que retient-on sur le terrain glissant de la culture ? Que la bêtise humaine se porte très bien, merci. Les plats surgelés à la viande de cheval, bien qu’impropres à la consommation, garnissent toujours les rayons du supermarché artistique. On peut même chiffrer les dégâts : Les Schtroumpfs 2, Fast and Furious 6, Thor 2, Iron Man 3… Les industriels auraient tort de ne pas en profiter puisque le peuple en redemande : les classements des meilleures ventes de disques et le box-office du cinéma affichent des taux de cholestérol inquiétants. Pour un peu on croirait à un suicide intellectuel massif…

Mais si le verre est aux trois quarts vide, c’est qu’il reste quand même un quart pour se désaltérer. De nombreux artistes font de la résistance, persévérant contre les vents et marées du formatage et du rendement immédiat à ouvrir grand les fenêtres de nos esprits pour en chasser les mauvaises odeurs. Parmi eux : Miguel Gomes (Tabu), Abdellatif Kechiche (La vie d’Adèle), les Coen (Inside Llewyn Davis), Tristan Garcia (Faber), Richard Ford (Canada), Robert Hunter (La carte des jours), Tom Tirabosco (Kongo), Bill Callahan (Dream River), Tamikrest (Chatma)… La plupart sont condamnés aux circuits parallèles, aux audiences confidentielles, faute de relais dans les cercles qui comptent – la télé ne leur offre plus que des miettes nocturnes – et/ou d’intérêt du public.

Pour aller à leur rencontre, il faut donc lutter contre la paresse, l’inertie et le pouvoir anesthésiant de cette pâtée infâme qui tombe tout cuit dans l’assiette. Victimes de la rotation rapide des films en salle, de la surproduction chronique (les éditeurs de BD, de littérature ou les studios de ciné ont choisi l’obésité plutôt que la qualité), ou encore du piratage intensif et de la concurrence déloyale des web marchands, les musiciens, réalisateurs, chorégraphes ou écrivains qui n’entrent pas dans le moule se marginalisent. Et ce n’est pas les coupes claires dans les budgets structurels ou le génocide programmé des techniciens et intérimaires du secteur (ils ont crié leur désarroi dans la rue) qui vont aider à combler la fracture grandissante entre, d’une part, le haut du panier salarial et les hordes de crève-la-faim, et d’autre part, sans que les deux se superposent, entre une culture qui interroge, défriche, dérange, et le jus de chaussette qu’on nous sert à l’heure du repas.

Qui dit nouveau jeu dit nouvelles règles. Personne n’est plus à l’abri de la relégation. Que vous soyez puissant ou misérable, mainstream ou indé, vous devez sacrifier au rituel du show pour espérer attirer la lumière sur votre travail. Du coup, c’est un peu à qui trouvera la meilleure idée pour faire grimper la température et s’imposer sur le radar de la hype. C’est sans doute le fait marquant de cette année : pour percer, il faut du talent certes mais il faut surtout être un sacré chauffeur de buzz.

Une fois n’est pas coutume, le champion toutes catégories en la matière est belge. Avec son marketing lasagne, le régional de l’étape a multiplié les couches promo pour finir par mettre le monde entier (enfin presque) dans sa poche aux motifs géométriques. Enfant du Web, Stromae a bien compris qu’un hit ne se fabrique pas qu’à la sueur de son front et de son synthé, mais aussi avec un sens aiguisé du spectacle et du contre-pied. Depuis le clip alcopop de Formidable jusqu’à son entrée horizontale aux derniers NRJ Awards en passant par son dédoublement de genre sur le plateau de Canal, le bonhomme orchestre de main de maître son plan de com.

De leur côté, Bowie et Beyoncé ont joué sur l’effet de surprise, balançant leur nouvel album sans prévenir personne, Jay-Z et Pharrell Williams ont plongé dans le grand bain arty (concert performance dans une galerie pour l’un, clip marathon pour l’autre), Arcade Fire a fait monter le désir en lâchant les indices au compte-gouttes et en transformant ses concerts en happenings. L’effet pervers de cette logique se fait déjà sentir. A force de surenchérir, certains tombent dans le piège de l’imposture. Miley Cyrus ou Lady Gaga confondent déjà l’emballage avec le contenu. On a hâte d’avoir traversé le tunnel. Peut-être qu’à l’autre bout, la création retrouvera sa place centrale. On peut toujours rêver, après tout le sommeil n’a pas encore été privatisé.

LAURENT RAPHAËL

Pour percer, il faut du talent mais il faut surtout être un sacré chauffeur de buzz

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